Rosa GRYNBERG
Le 05 février 2024, la classe de Troisième de l’EIB La Jonchère, composée de 13 élèves, s’est lancée dans un projet unique : l’écriture de la biographie de Rosa, enfant déportée du Convoi 77, parti de Drancy le 31 juillet 1944. Nous savons que six millions de Juifs ont péri, que ce chiffre est sans précédent mais qu’il reste aussi, à bien des égards, non représentable par l’esprit humain. La noblesse du projet du Convoi 77 est de rendre sa singularité à chacune des victimes. Pour les 50 ans à venir, Rosa Grynberg sera plus qu’un nom lu sur une plaque. Son souvenir sera vivant dans la mémoire des 13 élèves de la classe, de ceux qui les ont aidés de moi-même, leur professeur. D. Caquet
Une première version de ce travail a d’abord été éditée sous forme de journal, dédié à la famille de Rosa. Chaque élève a pris une part personnelle dans la rédaction des articles et le choix des illustrations.
La photographie de Rosa est présente dans les Mémoires de Léon Grynberg et se trouve aujourd’hui conservée au Mémorial de la Shoah. Nous ne savons pas quand elle a été prise. On y voit la petite Rosa avec une couette. Selon Henri, son frère adoptif, elle avait les yeux marrons. Sur la partie la basse de la photographie, elle tient un personnage en bois avec une coiffe de lutin dans la main.
Notre année 2024 à la découverte de Rosa Grynberg
Cette partie a été rédigée par Nayla A.F.
« Écrire la biographie de la petite Rosa a été une expérience très émouvante. J’ai pu en apprendre davantage sur l’histoire de la famille et rendre hommage à Rosa. Cela m’a permis de mieux comprendre l’horreur de la Shoah. » Nayla A.F.
Le Convoi 77 a choisi de nous confier l’histoire de Rosa Grynberg parce qu’elle a vécu à Louveciennes, une ville proche de notre collège à La Celle-Saint-Cloud.
Nous avions au départ quelques documents, des pièces d’état-civil, du dossier de déportation, deux photographies… Nous avons rapidement découvert que Léon, le père de Rosa, avait également écrit ses Mémoires et il nous a fallu plusieurs heures de travail pour bien comprendre chaque document. Il fallait ensuite les combiner entre eux pour restituer dans l’ordre, la vie de Rosa.
- Dépouillement des sources principales (février). Nous avons pris le temps d’étudier de nombreux passages des Mémoires de Léon Grynberg, le père de Rosa, ainsi que tous les documents administratifs. Merci à Rosa, la mère de Léon, qui l’avait encouragé à écrire son histoire très jeune !
1. Examen, restitution et écriture (de février à mai). Après avoir reconstitué l’arbre généalogique familial, nous avons étudié chaque grand moment comme les trois rafles qu’a vécues Rose. Merci à Mme Caquet qui nous a accompagnés et encouragés !
2. Découverte des descendants de Léon ! (28 février 2024) Après des semaines de recherches par Internet, courrier et téléphone, nous avons pu retrouver la trace de la famille Grynberg-Mosewicz. Merci à Claire Podetti qui a épuisé les pages blanches de l’annuaire !
3. Participation aux cérémonies mémorielles (28 avril et 8 mai 2024). Quatre élèves avec leurs familles et professeur ont participé à la Journée du Souvenir de la déportation et au 8 mai à Louveciennes. Nous avons également été suivis par la presse locale. Merci à nos amis de la mairie de Louveciennes qui ont offert les gerbes !
4. Sortie au Mémorial de la Shoah (13 mai 2024). Nous avons trouvé sur le Mur des noms, Rosa et ses parents. Nous avons étudié de multiples documents sur l’internement de Rosa. Merci à Claire St. pour son accueil et ses jolies trouvailles !
5. Visioconférence avec Henri (27 mai 2024). La classe a reçu Henri, le frère adoptif de Rosa, pour répondre à d’ultimes questions sur l’histoire de la famille, avant et après la guerre. Merci à Madame M., épouse de Henri, pour sa patience avec Zoom !
6. Remise de nos travaux à la famille de Rosa Grynberg (14 juin 2024). Après plusieurs mois de travail, nous avons terminé notre travail et édité notre travail. Nous sommes heureux de remettre notre publication à la famille !
7. Et maintenant ? La famille de Rosa a été raflée en 1941 et en 1942 à Levallois-Perret. Nous avons entrepris des démarches pour qu’avec la Fondation Spuren, la municipalité de Levallois accepte l’installation des pavés sur le domaine public, devant la porte de l’ancien immeuble de la famille. Nous sommes partis pour deux ans de projet environ ! Notre collège a accepté de financer l’intégralité des pavés.
Frise chronologique
Cette partie ainsi que l’illustration sont prises en charge par Hugo V.
« Ce qui m’a touché, c’est de savoir que la famille de Léon aujourd’hui ne connaissait pas forcément toute l’histoire et que mon travail pouvait un peu l’aider à comprendre la vie d’une enfant qu’ils n’avaient jamais connue ». Hugo V.
Nous avons travaillé sur deux grandes frises : une frise resserrée sur la seule existence de Rosa, qui a donné la version sur cette page et une frise plus large sur tout le XXème siècle.
En effet, il fallait à la fois connaître la vie des parents de Rosa, depuis le début du XXème siècle jusqu’à leur disparition, mais aussi s’intéresser à toute l’enquête menée par Léon après la guerre pour comprendre ce qui s’était passé. Les différents dossiers de disparition, d’attribution du titre de déporté, de demande de
naturalisation ou de dépôt d’une mention « mort pour la France » montrent par exemple qu’il y a eu circulation de pièces sur Rosa au moins jusqu’en 1972 !
La date de la déportation équivaut à la date de décès officielle. Une erreur s’est glissée à l’état-civil : Rosa aurait été déportée par le convoi du 15 septembre 1942 alors qu’il s’agit bien du convoi 77.
Le 15 septembre 1942 est mentionné par le Bureau des déportés qui a établi l’acte de disparition en février 1955 (Rose Grynberg (c) SHD de Caen 21P459463). Or ce convoi n’est pas celui de sa mère (août 1942). Nous ne savons pas comment l’erreur a été commise mais elle persiste sur l’acte de décès de 1964 et l’extrait du registre de Levallois-Perret.
L’arbre généalogique de Rosa
Cette partie est rédigée et illustrée par Marie Ange S.
« J’ai été touchée par la puissance silencieuse des noms gravés sur le Mur du Mémorial de la Shoah à Paris, représentant des vies volées et des histoires brisées. C’est un rappel poignant qu’il est important de ne pas oublier de tels crimes. » Marie Ange S.
Quand nous avons commencé le travail, nous pensions que nous n’arriverions pas à dépasser les informations sur l’ascendance de Rosa et que nous ne pourrions pas remonter bien haut car la famille venait de Pologne. Tout a changé quand, avec les Mémoires de Léon, nous avons compris que le père de Rosa s’était remarié et qu’il avait eu une descendance. Nous avons tous été très heureux de voir que Léon a même été arrière-grand-père plusieurs fois ! Il était donc important pour nous de faire un deuxième arbre généalogique. Cet arbre a été joint dans le livret mais du fait des photographies des membres actuels de la famille, nous préférons ne pas le publier ici.
Les origines de la famille
Les Grynberg viennent de Novo-Minsk (Pologne) et se sont installés en France dans les années 1930
Cette partie est rédigée par Marina A.
« Ce qui m’a le plus bouleversée, c’est de voir que Rosa, sa mère et son père ont tous été déportés à Auschwitz à des moments différents, sans se voir. Que c’est triste d’être arrachée à sa propre famille pour une petite fille. » Marina A.
Les Mémoires de Léon Grynberg ont été très précieux pour restituer le détail de la branche paternelle de Rosa Grynberg. La famille fait partie des nombreux Polonais qui ont rejoint notre pays pendant l’Entre-deux-guerres. Elle vient de Novo-Minsk en Pologne, aussi appelée Minsk-Mazowiecki à environ 40 km à l’Est de Varsovie.
Notre arbre remonte aux arrière-grands-parents de Rosa Grynberg qui étaient, tous les deux très « versés dans l’étude du Talmud » selon le témoignage de Léon. Ils ont eu Itzrak-Yossef qui, avec le départ de son père en Eretz-Israël, a été confié à une tante. Dans sa maison, on respectait aussi strictement la religion. Il épouse en 1902 l’une des filles de sa tante, Rosa Lipinska. Mais Rosa s’intéresse à des sujets qui inquiètent progressivement sa famille.
L’année suivante, le jeune couple accueille son premier enfant, Szlama Leibl (Léon en français), le futur père de Rosa, puis en 1905, un autre fils, Moshé. Leur union a donné naissance à une nouvelle branche de la famille. Mais le bonheur ne dure pas car Itzrak-Yossef tombe malade et reste hospitalisé. Par ailleurs, en 1906, Avrumkè, le père de Rosa, est presque ruiné après une escroquerie et il meurt brutalement. Sa veuve, Tchipè, est particulièrement affectée et elle s’entend de plus en plus mal avec sa fille. Finalement, Rosa et ses deux fils préfèrent s’installer à part. Léon s’efforce d’aider au mieux sa mère, même s’il se dispute avec elle car il s’intéresse à la religion. En 1914, Itzrak-Yossef finit par mourir et Rosa se retrouve très seule, sans emploi et avec deux enfants. Elle se remarie avec Aron Bricks mais le couple ne s’entend pas et divorce au milieu de l’été 1924. Les fils ont entre-temps bien grandi et Tchipè a souhaité s’installer en Eretz-Israël.
À la découverte de la famille de Rosa…
Son père Léon
Léon a progressivement abandonné la religion et s’est intéressé à la Haskalah, un courant de pensée inspiré des Lumières, ainsi qu’au mouvement ouvrier Poalé Tsion. Professionnellement, il a d’abord été imprimeur puis il a appris le métier de tailleur sous l’influence de son beau-père. Avec la naissance de l’URSS, il devient communiste et participe aux activités clandestines. Il est même jeté en prison pendant plus d’un an jusqu’en 1930. Il part ensuite en France.
Sa mère Guitlé
Nous savons très peu de choses sur Guitlè (ou Jutla Rotsztejn). Elle vient de Falenica, un village près de Varsovie en Pologne. Elle est née en 1914 et a deux frères, Noutché et Szmul Aron. Elle partage le même intérêt pour le communisme que son mari. Ils se sont rencontrés en France. On sait qu’à Paris, son frère Szmul Rotsztejn s’est marié à Ruchla Grunberg, et qu’ils ont donné naissance à une fille, Fanny Rotsztejn. Les trois sont morts en déportation.
Et puis vient Rosa
Rosa est née rapidement après le mariage de ses parents, célébré le 30 avril 1938. Sa date de naissance, mal retranscrite pendant son internement sur plusieurs documents, est bien établie au 12 mars 1939 à Clichy (registre d’état civil). Rosa porte le prénom de sa grand-mère, disparue en 1938 et qui avait été une source d’inspiration pour Léon. Après la naissance de Rosa, le couple s’installe au 16 rue Carnot à Levallois- Perret.
La première rafle
La famille Grynberg, depuis le début de la guerre jusqu’à la rafle du « Billet vert » (mai 1941)
Cette partie est rédigée par Antonio F.V.
« La chose que j’ai le plus aimée, c’était la joie de la famille de Rosa lorsqu’ils ont appris qu’on s’intéressait à leur histoire. C’était très inspirant de travailler sur un projet pour donner vie à une histoire qui n’a jamais pu être vécue à cause des camps ». Antonio F.V.
Rosa n’a que quelques mois quand commence la Deuxième Guerre Mondiale en septembre 1939, avec l’invasion de la Pologne. Elle reste forcément ignorante de la gravité de la situation et du drame dans lequel sa famille est plongée, notamment à partir de mai 1940 quand la France est envahie et Paris livrée aux bombardements.
Le mois précédent, la famille était encore en vacances avec les frères de Guitlè. Ils séjournaient alors tous dans un petit village près de Paris : Dammarie-les-Lys.
Dans ses Mémoires, Léon affirme qu’à l’annonce de la guerre, les hommes voulurent répondre à l’appel des affiches de mobilisation et s’engager comme volontaires dans l’armée française. Mais comme il faut attendre la réponse officielle de l’armée, la famille a le temps de rentrer à Paris. Dans la capitale, il n’y a pas de travail et Léon raconte que « des femmes françaises les regardaient avec animosité ». Finalement, le père de Rose est mobilisé dans la Légion étrangère.
En mai 1940, l’armée hitlérienne envahit la France et la panique se répand : c’est l’Exode. La mère de Rosa, Guitlè, a la chance d’attraper le dernier train de Paris vers Niort. La foule est telle que Léon passe Rosa à sa femme par la fenêtre ! Guitlè espère retrouver sa sœur en province.
La séparation est de courte durée. Léon s’est finalement engagé dans l’armée polonaise stationnée en France à Bressuire dans les Deux-Sèvres. Léon peut donc voir sa famille le soir. L’approche des Allemands met en déroute les troupes polonaises et Léon, simple engagé, se retrouve avec d’autres quasiment abandonné aux mains de l’ennemi. Il réussit à s’échapper, retrouve sa famille et rentre à Paris quelques jours plus tard.
Le 17 juin, le maréchal Pétain annonce qu’il faut « cesser le combat » et le 22 juin, l’armistice est signé à Rethondes. À Paris, la fin des bombardements ne signifie pas la fin des ennuis. Les menaces pesant sur les Juifs s’accentuent. Léon ne trouve toujours pas de travail.
« Il fut interdit aux Juifs d’accéder à la fonction publique ou d’exercer une profession libérale. Dans les entreprises industrielles ou commerciales, on nommait des administrateurs aryens qui devenaient les maîtres effectifs des biens juifs. Sur les vitrines des boutiques et magasins juifs devaient être apposées des affiches mentionnant leur origine juive. » Les parents de Rose survivent grâce à de menus travaux de couture. Léon refuse tout travail pour les nazis. Il ne veut pas courir derrière le « Veau d’or » allemand et fabriquer des tricots pour la Kommandantur. Il retourne parfois à Bressuire pour acheter des pommes de terre, du beurre, des légumes verts car le marché noir était hors de prix.
Au chapitre 8 de ses Mémoires, Léon raconte qu’il a fallu se présenter dans les commissariats de quartier et se faire enregistrer comme Juif ». Le 13 mai 1941, Léon reçoit la visite de deux policiers qui lui remettent une convocation de couleur verte pour qu’il se présente le lendemain à huit heures au commissariat de Levallois-Perret avec un membre de sa famille. S’il ne se présente pas, le document promet de « sévères sanctions ».
Après de très longues discussions en famille, Léon décide d’honorer la convocation. Le 14 mai, Léon et Guitlè se présentent devant le bâtiment pendant que la petite Rosa est encore au lit. Mais un agent de la Gestapo prend leurs papiers et réclame que Guitlè parte chercher valise et nourriture pour son mari. Guitlè s’exécute. Elle ramène avec elle sa fille, maintenant réveillée. Puis vint le moment terrible de la séparation.
« Toutes les autres femmes étaient là, elles aussi, avec leurs valises, et un spectacle insoutenable se déroula sous nos yeux. Les femmes et les enfants s’étaient jetés dans les bras des hommes en criant et en pleurant désespérément. Les policiers les séparaient brutalement, arrachant les enfants des bras de leurs pères. Ma petite Rosa, elle aussi, m’avait pris la main et ne voulait plus me lâcher. ‘Viens Papa, viens, rentrons à la maison, disait-elle, tu m’achèteras un nouveau joujou… ». Extrait du chapitre 8 des Mémoires de Léon Grynberg.
Comment Léon a découvert le sort de sa famille à son retour en France
Cette partie est écrite par Charmaine E.
« Ce projet a été révélateur des tristes et déchirantes violences dont ont été victimes les Juifs. L’étude des documents sur la petite Rosa m’a beaucoup émue, notamment son acte de disparition. J’ai senti que Léon perdait espoir de retrouver sa famille. » Par Charmaine E.
Après le passage à Beaune-La-Rolande en 1941, Léon est déporté par le Convoi n°5 à Auschwitz. Selon le Service historique de la Défense, Il y reste jusqu’au 8 octobre 1943 avant d’être transféré à Varsovie jusqu’en juin 1944. Il est ensuite envoyé à Dachau puis à Mühldorf jusqu’à la fin de la guerre. Revenu à Paris, il a l’espoir de retrouver sa famille.
Il retourne à son immeuble de Levallois-Perret mais son logement est occupé par des inconnus. On lui indique l’étage de la famille Flageollet, d’anciens voisins. Madame Flageollet, voyant l’état de Léon, ne souhaite pas lui dire la vérité. Léon se rend alors chez sa belle-sœur Mania mais elle est elle-même trop abattue pour parler. Il apprend vraisemblablement plus tard que son frère, Moshé, est mort. Très inquiet, il décide de retourner chez Mme Flageollet qui accepte enfin de tout lui dire. Le 16 juillet 1942, Madame Flageollet a entendu que des policiers étaient venus arrêter à l’aube Rosa et Guitlè. Elles ont été emmenées au Vélodrome d’Hiver puis internées au même camp d’internement que lui à Beaune-La-Rolande. Sa femme a été envoyée à Auschwitz et sa fille a été confiée à l’Union Générale dés Israélites de France. Il se précipite au siège de l’UGIF mais un homme lui apprend que Rosa a été déportée le 31 juillet 1944. Cette découverte n’est pas précisément datée dans les Mémoires.
Bouleversé, il écrit un poème pour Rosa dans le Cantal en 1951. Il est inscrit en ouverture de ses Mémoires, publiés par sa seconde épouse Ester Grynberg et sa fille adoptive Renée. L’examen des documents administratifs révèle que Léon a déposé une demande de naturalisation pour sa fille, qui lui a été refusée le 20 novembre 1972. Au moment de la naissance de Rosa, il n’était pas en possession d’un titre de séjour supérieur à un an comme l’exigeait le décret du 12 novembre 1938.
L’hôtel Lutétia accueille Léon
Situé près de Saint-Germain-des-Près, dans le quartier de Notre-Dame-des-Champs dans le VIème arrondissement, l’hôtel, construit en 1910, avait d’abord été réquisitionné par les nazis. À la Libération, les chambres ont hébergé environ 18 000 déportés successivement. Les rescapés étaient souvent dans un état déplorable.
Selon le témoignage d’Henri Mosewicz, Léon a souffert toute sa vie des suites de la déportation. Il faisait souvent des cauchemars : il se réveillait en sursaut, se mettait debout dans le lit et revivait l’appel matinal au camp où il devait constamment annoncer son numéro.
Les témoignages de l’arrestation le 16 juillet 1942
Le 21 juillet 1953, Léon entame des démarches pour que l’État français attribue à Rosa le titre de déporté politique. L’étape suivante consiste à attester que Rosa fait partie des « déportés non rentrés » : Léon demande une régularisation d’état-civil le 22 avril 1954. Cette procédure échoue une première fois : la police, qui doit enquêter, prétend ne pas avoir trouvé trace du passage de la famille au 16 rue Carnot de Levallois ! Mais Léon persiste et obtient les témoignages de deux voisins. Madame Flageollet atteste que l’adresse est la bonne et qu’il y a eu une arrestation le 16 juillet 1942. Léon obtient bien sûr gain de cause.
La seconde rafle
Guitlè et Rosa sont victimes de la rafle du Vel d’Hiv (16 juillet 1942)
Cet article est rédigé par Marc D.
« J’ai pu me représenter avec émotion la scène terrible de la Rafle du Vel’d’Hiv où Rosa a sans doute vécu beaucoup d’atroces angoisses alors qu’elle n’avait que trois ans. » Marc D.
Léon arrêté et déporté, nous n’avons plus de témoignages directs qui permettent de décrire la vie de Rosa et de sa mère. Toutefois, nous avons trouvé la preuve que les deux femmes ont été victimes de la pire rafle antisémite survenue en Europe occidentale : la voisine, Madame Flageollet, a assisté impuissante à l’arrestation et a témoigné à la Libération.
Dans ses Mémoires, Léon raconte comment l’arrestation s’est déroulée à son domicile du 16 rue Carnot à Levallois.
« Le 16 juillet 1942, à l’aube, une voiture noire s’arrêta devant notre immeuble. Des policiers français en descendirent et se mirent à frapper violemment à la porte.
Ma femme, réveillée brutalement, ouvrit la fenêtre et se mit à s’exclamer « au secours ! » mais à cette heure matinale, les voisins dorment encore et tous les volets étaient fermés. Affolée par les cris et la vue des policiers en uniforme qui lui rappelaient ceux qui nous avaient déjà séparés, ma petite Rosa s’enfuit et courut se réfugier chez les Flageollet.» L’enfant pleure et se débat. Mais le policier l’emmène de force.
Rosa et Guitlè sont d’abord déposées au commissariat avec d’autres familles juives. Un autobus les emmène ensuite au Vélodrome d’Hiver de Paris dans le 15eme arrondissement.
La journée est longue. Parquées avec beaucoup d’autres familles, Rosa et Guitlè se serrent l’une contre l’autre. La nuit est horrible : des angoisses, des pleurs… Il n’y pas de matelas, tout le monde dort à même le sol. La chaleur est suffocante. On imagine que Guitlè et Rosa ont sans doute bien peur.
En deux jours, plus 12 800 personnes ont été arrêtées, dont 4115 enfants !
Les autorités allemandes ont censuré leurs méfaits. En tout, il y a 50 bus déposant environ 7000 juifs au Vélodrome d’Hiver dans le 15e arrondissement à Paris. La photographie a été prise par un photographe inconnu, du quotidien Paris-Midi.
Rosa et sa mère sont envoyées à Beaune-la-Rolande
Cet article est écrit par Jaimie-Lyne A.L.
« J’ai été touchée par le fait qu’une petite fille et des millions d’autres ont été séparés de leurs parents si brusquement et ont dû faire face à la mort. Aujourd’hui, nous nous plaignons souvent pour peu de chose, sans nous rendre compte que ce sont des petits problèmes. » Jaimie-Lyne A.L.
Beaune-la-Rolande est un grand camp d’internement et de transit dans le Loiret. Dans le même département, il y a également le camp de Pithiviers.
La mère de Rosa disparaît
C’est à ce moment-là que Guitlè est déportée vers la Pologne. Nous trouvons son nom sur la liste du convoi n°16 du 07 août 1942. Mais le convoi démarre à Pithiviers ce qui suggère que Guitlè a été déplacée. Par ailleurs, Guitlé et Rosa ont été raflées le même jour que Ruchla et Fanny Rotsztejn, la femme et la fille de son frère Szmul. Mais ces deux femmes partent dans des convois différents.
Rosa tombe malade
Rosa est séparée de sa mère car elle est tombée malade. On la transporte à l’hôpital local. Elle a contracté une maladie contagieuse. À un si jeune âge, elle a dû éprouver une grande tristesse, de la solitude et un sentiment d’abandon. Rosa est ensuite prise en charge par l’UGIF chargée des enfants juifs de déportés. Selon Léon Grynberg, Mme Flageollet a demandé sa garde mais l’UGIF a refusé au prétexte qu’elle avait déjà un fils.
Rosa est accueillie à Louveciennes à la maison d’enfants de l’UGIF
Cet article est rédigé par Stella V.
« J’ai été émue par Rosa et sa triste histoire, le fait que cette pauvre petite fille si jeune, si douce et si innocente a vu son destin bouleversé à jamais. Dans
des époques compliquées comme la nôtre, c’est aussi un moyen d’avertir contre la violence et l’antisémitisme. » Stella V.
Après avoir été hospitalisée, Rosa est confiée à l’UGIF qui la place dans plusieurs maisons d’enfants. Elle a par exemple été dans celle de Neuilly jusqu’au 25 août 1943, puis elle est arrivée à Louveciennes. Nous en avons trouvé la trace dans les cahiers d’entrée et de sortie pendant notre visite du Mémorial de la Shoah.
Louveciennes est une petite ville à l’ouest de Paris avec des bois et un étang, près de notre collège. En 1911, elle ne comptait qu’un millier d’habitants à peine. Cette maison d’enfants connait plusieurs adresses, d’abord, au Séjour Voisins (1 place Dreux), une grande maison avec un immense jardin rempli de plantes et d’arbres qui a servi d’établissement agricole.
Puis, durant l’été 1944, la maison d’enfants est déplacée au 18 rue de la Paix, une maison plus petite où a été prise la photographie de groupe ci-contre. Sa monitrice s’appelle Denise Holstein. Elle n’a que 17 ans. mais elle s’occupe, de jour comme de nuit, d’une dizaine de jeunes enfants entre 5 et 8 ans qui pour la plupart, comme Rosa, ne vont pas à l’école.
Denise Holstein et les autres monitrices essayent de les distraire pour que ces pauvres enfants pensent à autre chose qu’à leur triste sort. Ils font des promenades, chantent des chansons et font toute sorte de jeux.
Cet accompagnement fonctionne la plupart du temps, excepté à l’heure du coucher où les enfants, selon le témoignage de Denise, pleurent et appellent leurs parents. Un des enfants a même, un jour, appelé Denise « Maman». Il est très probable que Rosa ait beaucoup souffert de l’absence de ses parents.
La troisième rafle. Rosa est victime de la rafle de Louveciennes le 22 juillet 1944
Cet article est rédigé par Romy D.
« Je suis très heureuse d’avoir pu participer aux cérémonies du 28 avril et du 8 mai. J’ai pu expliquer notre projet. Je remercie beaucoup mon professeur sans qui ce projet n’aurait pas pu voir le jour et toute la famille de Rosa Grynberg que je n’oublierai jamais. » Romy D.
Les Mémoires de Léon Grynberg affirment que l’UGIF a livré aux Allemands toutes les listes d’enfants qu’elle devait protéger.
Une arrestation à l’aube
Grâce au récit de Denise Holstein, on apprend que tout le monde est surpris de voir « un officier allemand et des civils portant l’étoile». Denise et les autres monitrices doivent se dépêcher d’habiller les petits. « Les enfants hébétés ne comprennent rien, on les rassure en leur promettant une belle promenade en autobus(…) Le trajet se fait en chantant ».
Des chansons pour oublier
L’autobus les emmène à Drancy. Rosa y reste quelques jours. Le camp de Drancy est un ensemble d’immeubles des années 1930 avec des barbelés qui ferment autour. Pas de visite, pas d’hygiène, pas de nourriture : la vie est dure. Denise « n’a pas le temps de s’inquiéter »: les enfants « s’accrochent plus que jamais » à elle.
Le camp est dirigé par Aloïs Brunner depuis 1943
Brunner est né le 08 avril 1912 en Hongrie. C’était un SS responsable de la mort de 24 000 Juifs en France. Il a été un des criminels nazis les plus recherchés après la guerre. Il est mort à Damas en 2001 ou en 2010. Il a été condamné en France par contumace pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en 2001. Rosa fait partie des 70 000 prisonniers qui passent par Drancy avant la déportation depuis 1941.
Du Convoi 77 à Auschwitz, les derniers jours de la petite Rosa
Cet article est écrit par Caspar M.
« J’ai beaucoup aimé discuter avec les nièces de Rosa, Stéphanie et Emmanuelle, qui ont travaillé avec mon groupe pendant la visite au Mémorial de la Shoah. On a même vu une photographie avec Léon et Stéphanie dans une poussette ». Caspar M.
Séparée de sa famille depuis plusieurs mois, Rosa est déportée dans le dernier grand convoi parti de Drancy vers Auschwitz. Au total, 986 hommes et femmes, ainsi que 324 enfants sont emportés vers le centre de mise à mort polonais.
Le 31 juillet 1944, Rosa est placée dans un wagon avec ses camarades de Louveciennes. Sa monitrice Denise a survécu et a pu témoigner.
Rosa est entourée d’inconnus, tous entassés les uns sur les autres et transportés dans des conditions inhumaines. Les conditions de vie dans le wagon sont déplorables pour tout le monde, en raison du manque d’hygiène, de nourriture et de place. Beaucoup d’enfants pleurent.
Lorsque le train arrive à Auschwitz le 03 août 1944, elle est séparée de sa monitrice Denise. Rosa se retrouve abandonnée avec des centaines d’enfants sur le quai. En effet, Denise a écouté les conseils d’un détenu qui lui a dit de « lâcher la main des enfants ». De cette façon, elle a pu être placée dans la file de ceux qu’on emmenait dans le camp de concentration.
Les autres comme Rosa ont été envoyés dans la chambre à gaz. Denise Holstein raconte avoir vu une petite fille qui avait égaré une partie de ses affaires dans le trajet. Elle “n’avait [même] pas ses chaussures et pleurait, et est allée pieds nus dans la chambre à gaz”.
Parce que les enfants sont encore faibles et incapables de fournir un travail physique, les nazis les mettent à mort sans attendre. C’est ainsi que la vie de la jeune Rosa Grynberg se termine tragiquement alors qu’elle n’a que 5 ans, le 3 août 1944.
Notre dernier témoin. À 97 ans, Denise Holstein est la dernière personne à avoir connu Rosa et à être encore en vie
Cet article est rédigé par Channelle D.
« Ce qui m’a le plus touchée aura été ces millions d’enfants n’ayant pas pu construire leur vie. Je n’oublierai pas. » Channelle D.
À son retour en France, Denise Holstein rédige durant l’été 1945 ses souvenirs mais ne parle pas avec d’autres de son expérience. Il faut attendre 1990 et sa rencontre avec Serge Klarsfeld pour qu’elle se décide à témoigner. Pendant plus de vingt ans, elle a visité de nombreux établissements scolaires et a participé à plusieurs documentaires.
Nous aurions beaucoup aimé discuter avec elle mais malheureusement, elle est très affaiblie. Nous nous contenterons de présenter sa vie à partir notamment d’un témoignage vidéo.
Adolescente, elle passe son temps auprès de ses parents, Bernard Holstein et Juliette Cohen. Elle poursuit ses études au lycée Corneille et au lycée Jeanne-d’arc à Rouen.
Le soir du 15 janvier 1943, Denise et sa famille sont arrêtés chez eux lors de la rafle de Rouen et sont internés à Drancy. Denise tombe malade et doit se faire hospitaliser, tandis que ses parents sont déportés par le convoi 62 : elle ne les reverra plus.
Denise se retrouve seule et malade. “Je ne sais pas où nous serons pour tes 17 ans mais je te promets, pour tes 18 ans, tu auras une belle fête », lui avait promis son père. Un serment qu’il n’a jamais pu tenir.
Denise est prise en charge par l’UGIF et elle peut quitter Drancy. À 17 ans, elle est hébergée dans la maison d’enfants de Louveciennes et devient monitrice d’un groupe d’enfants dont les parents sont également déportés.
C’est là qu’elle rencontre la petite Rosa, une petite fille si mignonne. Dans son livre, elle ne parle pas précisément d’elle. Ses souvenirs sont vraisemblablement trop douloureux pour remonter à la surface. Il y avait aussi 34 autres enfants dans le foyer.
Le 31 juillet 1944, Denise et les enfants sont déportés dans les camps d’Auschwitz. Denise est sélectionnée pour le travail forcé au camp. Après quelques temps, Denise contracte la scarlatine et subit des choses épouvantables, un vrai cauchemar. En avril 1945, elle est libérée des camps. Elle a attendu plusieurs années avant de témoigner à “ceux qui n’avaient pas connu les camps, ne pouvaient pas comprendre”.
Denise a écrit également Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz, publié en 1995.
Rosa est victime d’un génocide. Les enfants dans la Shoah, de petites victimes systématiquement exterminées dans les camps de la mort
Cet article est rédigé par Aja N.S.
« J’ai été bouleversée d’apprendre le sort des enfants juifs pendant la Shoah. Découvrir comment des adolescents semblables à moi ont souffert et ont trouvé la mort à un si jeune âge a été un choc. C’est pour nous une grande leçon. »
La Shoah désigne la mise à mort d’environ 6 millions de Juifs d’Europe par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la période de la Seconde Guerre Mondiale. Elle signifie « catastrophe » en hébreu. Les nazis déportent et assassinent systématiquement des Juifs dans des centres de mise à mort tels qu’Auschwitz-Birkenau, Sobibor, Majdanek, Treblinka, Belzec et Chelmno.
En France 11 400 enfants juifs sont déportés entre 1942-44. Lors de la rafle du Vél d’Hiv, entre les 16 et 17 juillet 1942, sur 13 000 personnes arrêtées, près d’un tiers sont des enfants, détenus dans des conditions d’hygiène déplorables.
Les enfants déportés dans les camps comme Rosa, âgés de moins de 12 ans, ont bien moins de chance de survivre car ils sont trop jeunes pour être soumis au travail forcé. De ce point de vue, ils représentent un coût pour le régime nazi. C’est la raison pour laquelle ils font partie des premiers à être éliminés.
Pendant la Shoah, les enfants trouvent la mort en différentes circonstances : une grande majorité des enfants meurent dans les ghettos par manque de nourriture,
d’hygiène et des soins essentiels. Ils vivent dans des conditions atroces. D’autres enfants sont victimes des expériences médicales. C’est notamment le cas des
jumeaux.
Prétendant que la race aryenne était supérieure aux autres peuples, les nazis tuent également des enfants tsiganes. Ils ont aussi euthanasié des enfants handicapés dès 1938. Le régime nazi ne tolère pas la différence.
Vers la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les enfants, comme Rosa, qui arrivent dans un camp sont généralement envoyés directement dans les chambres à gaz.
À titre d’exemple, Anne Frank est l’une des enfants qui a pu se cacher avant d’être déportée à son tour. C’est une jeune adolescente juive, née à Francfort, le 12 juin 1929. Tout comme Rosa, Anne Frank a souffert d’antisémitisme dès son plus jeune âge : elle a dû porter l’étoile jaune, fréquenter une école réservée aux enfants juifs et vivre dans l’angoisse permanente. Pour échapper aux persécutions, sa famille déménage à Amsterdam au Pays-Bas en 1933. Cependant, l’Allemagne envahit les Pays-Bas le 10 mai 1940. En juillet 1942, elle se cache avec sa famille dans un appartement secret dans l’annexe de l’entreprise de son père. Pendant deux ans, Anne écrit un journal intime dans lequel elle décrit tout. Sa famille est dénoncée. Sept mois après son arrestation, Anne meurt du typhus dans le camp de Bergen-Belsen en Allemagne. Son père publie le Journal après la guerre.
This biography of Rosa GRYNBERG has been translated into English.