Victor ALGAZI
(Photo ci-contre : Victor et ses sœurs)
Nous sommes des élèves en classe de 3ème qui nous sommes engagés dans un devoir de mémoire avec Convoi 77, une association mondiale qui œuvre pour la mémoire des déportés de ce convoi. Nous parlerons de Victor Algazi un des déportés du convoi qui est parti le 31 juillet 1944 de Drancy. Nous avons travaillé à partir des documents fournis par l’association et aussi de nos lectures et vidéos étudiées cette année.
Je m’appelle Israël Victor Algazi. Je suis né le 03 octobre 1928 dans le 12ème arrondissement de Paris au 22 rue de Lutèce. Son acte de naissance est délivré à Paris le 06 novembre 1951 dans le même arrondissement. Je suis donc de nationalité française. Mes parents, Samuel Algazi et Violette Sunboul Ganon, sont mariés. Nous habitons ensemble au 20 rue Lamartine dans le 9ème arrondissement, à Paris. J’ai une grande sœur Yvette, ayant pour nom d’origine Zelma, née le 20 septembre 1927 et une petite sœur Huguette née le 02 février 1930. Ma mère est malheureusement morte à la suite de cet accouchement.
19ème arrondissement de Paris.
J’ai une enfance plutôt normale, je vais à l’école, j’ai de copains et je m’amuse bien mais ma mère me manque car je ne l’ai pas beaucoup connue. J’ai 11 ans quand la guerre commence et en mai 1940, j’ai 12 ans lorsque les Allemands attaquent puis occupent la France : le maréchal Pétain signe l’armistice en juin et fait le choix de la collaboration. En octobre 1940 une loi sur le statut des juifs a été instaurée, on nous interdit l’accès aux parcs, commerces, cinémas…et les adultes juifs doivent se faire recenser.
J’ai 13 ans quand les premières rafles commencent, des Juifs du quartier sont arrêtés et on ne les revoit plus. A 14 ans, je dois désormais porter une étoile jaune cousue sur mes vêtements quand je sors. Même si nous ne sommes que des enfants, nous comprenons vite que nous sommes inférieurs au reste de la population. Mes sœurs et moi vivons à l’orphelinat depuis que mon père nous y a déposés, j’en ai des souvenirs très vagues mais il voulait sûrement nous protéger car qui aurait pu penser qu’on irait nous chercher et il pouvait ainsi facilement se cacher lui-même. Les orphelinats sont gérés par l’U.G.I.F (Union Générale des Israélites de France) Le bâtiment de l’orphelinat se situait au départ dans la rue de Secrétan dans le département de La Seine. Nous déménageons assez souvent de lieu au gré des bombardements et nous finissons à l’école Lucien de Hirsch. Elle était la plus ancienne école israélite de France. 125 enfants et 52 adultes y vivent.
École Lucien de Hirsh, 19 ème arrondissement de Paris, 1911.
Fonds Lucien de Hirsch – Les Archives du Consistoire Central de Paris.
A 15 ans, je suis arrêté à Villejuif à l’école Lucien-de-Hirsch, puis envoyé à Drancy avec mes sœurs. L’arrestation se fait dans la nuit : nous dormions profondément, nous ne comprenons pas vraiment ce qu’il nous arrive mais sentons que cela n’est pas pour notre bien qu’ils sont là ! Nous étions en pyjama et nous avons à peine le temps de prendre quelques affaires !
Il est interné du 22 juillet 1944 au 30 juillet de la même année à Drancy comme nous l’apprend sa fiche d’arrestation. Il fait partie des 300 enfants raflés cette nuit-là dans les différents orphelinats gérés par l’U.G.I.F., 6 en tout. Le camp de Drancy est l’endroit de rassemblement et de transit en vue de la déportation de tous les juifs de France. Cet immense bâtiment en U haut de quatre étages sert de prison avant la déportation vers l’Est. Les Juifs sont répartis en vue de leur départ en plusieurs sections. Plus la section dans laquelle on se trouve est proche de la sortie, plus le moment du départ est imminent. Le camp est cerné d’une double rangée de barbelés. Une douzaine d’escaliers desservent les étages et les W-C étaient situés dans un bâtiment en briques. Le bâtiment entourait une cour d’environ 200m de long et 40m de large.
Camp de Drancy.
À notre arrivée, on nous demande de déposer tous nos papiers, bijoux, objets de valeurs et notre argent liquide mais je n’ai rien à leur donner. On est très mal installés, nous n’avons pas de lits, l’hygiène est plus que mauvaise et la nourriture manque. Nous n’avons le droit qu’à une ration de pain et pas même tous les jours, nous sommes affamés et Huguette se plaint beaucoup parce qu’elle a faim. Des maladies circulent et nous ne pouvons que peu nous laver. Ce sont les grands qui s’occupent des petits chaque jour. Nous patientons. Le jour de mon départ est le 31 juillet 1944.
Nous avons tout d’abord pris un bus jusqu’à la gare de Bobigny. Il y a un silence de mort, personne n’ose parler. Une fois arrivés, nous avons dû embarquer dans des wagons à bestiaux. La porte est haute, de sorte que cela est difficile de monter. C’est une épreuve déjà périlleuse pour les personnes âgées ou les mères qui étaient déportées avec leur enfant. Nous sommes une soixantaine par wagon, tous chargés d’une valise. Nous n’avons donc pas assez de places et sommes obligés de nous tenir debout et de faire des roulements pour être assis durant tout le voyage. Nous n’avons pas non plus à manger et à boire. Nous n’avons qu’une sorte de seau dans lequel faire nos besoins. Il se remplit très rapidement et l’odeur est insoutenable. En plus de cela, c’est extrêmement gênant, nous nous sentons honteux et humiliés. Il fait une chaleur insupportable et nous ne savons même pas où nous allons. Le trajet dure près de trois jours et trois nuits.
Wagons à bestiaux.
Arrivés à Auschwitz, on nous demande si nous sommes fatigués. Si tel était le cas, nous devons monter dans un camion. Les personnes âgées, les mères et leurs enfants et d’autres personnes montent et sont emmenées.
Je suis séparé de mes sœurs qui elles, sont restés toutes les deux car les garçons et les filles sont séparés. Je ne les ai plus revues et j’ai pleuré car j’étais tout seul. Les gardes nous ont forcés à laisser nos valises dans le wagon. Nous avons marché un long moment vers le camp. Nous entendons des cris, des hurlements et des aboiements.
Je pars avec un grand groupe de personnes vers un endroit inconnu. Nous arrivons dans des douches où des gardes nous demandent de nous déshabiller.
Il est déclaré mort le 5 août 1944 au camp d’Auschwitz, soit le jour de son arrivée, ainsi que sa sœur Huguette. Il devait paraître pas assez âgé pour être sélectionné au travail. Son acte de décès a été délivré à son père le 14 janvier 1948 (dossier 26.199; fait dans le 7è arrondissement de Paris). Une demande de renseignement sur Victor est faite le 1er juin 1953 au bureau des fichiers et recherches pour reconnaître son statut de déporté racial. La réponse est délivrée le 27 juillet de la même année. On peut noter qu’au départ, il était noté « mort à Drancy ». On lui a ensuite attribué le titre de « déporté politique » le 20 mars 1954. Le document de paiement du pécule est envoyé le 14 mars 1955. Les bénéficiaires sont ses ascendants car il n’a pas d’enfants et ils reçoivent 12 000 francs.
Yvette seule survivante de la famille sur ce convoi est décédée bien plus tard, le 27 décembre 2017 à l’âge de 90 ans.
Fiche bleue avec le tampon « déporté politique ».
Acte de naissance.
Fiche de renseignement sur le « non rentré ».
Sources
- documents d’archives donnés par Convoi 77
- témoignages de Béqui Pisanti, de Marceline Loridan et d’Yvette Levi présents sur le site du mémorial de la Shoah
- livres de Simone Veil, Jeunesse au temps de la Shoah ; de Ginette Kolinka, Retour à Birkenau; d’Henri Borlant, Merci d’avoir survécu et de Ida Grinspan, J’ai pas pleuré
- photo prises au mémorial de Drancy
This biography of Victor ALGAZI has been translated into English.