Victoria PISANTI
Nous sommes des élèves du collège les Blés d’or en classe de 3ème, Steven, Evan, Matteo, Roméo et Gaétan et, tout au long de cette année, nous avons eu l’opportunité de travailler sur le projet Convoi77. C’est un projet éducatif qui a pour but de retracer la vie d’une personne déportée dans le dernier convoi parti de Drancy le 31 juillet 1944 d’où son numéro. Ici, la personne choisie s’appelle Victoria Pisanti, le reste de la classe travaillant sur les deux sœurs et le père, tous déportés dans le même convoi. Nous avons pu retracer la vie de cette personne en regardant des témoignages sur le site du Mémorial de la Shoah (surtout le témoignage de la sœur de Victoria, Béqui), en analysant leurs documents d’archives donnés par l’association et en visitant le mémorial du camp de Drancy.
Le document ci-dessous présente la famille Pisanti : on y voit Fortunée à gauche, Victoria dans les bras d’Albert à droite, Louise devant sa mère et Béqui agenouillée.
Je m’appelle Victoria Pisanti et je suis née le 3 mars 1927 dans le 12e arrondissement de Paris. Ma mère s’appelle Fortunée Tchiproul et mon père Albert Pisanti. Mes parents sont Turcs, ils sont arrivés en France chacun de leur côté à la suite de la montée de l’antisémitisme en Turquie. Ma mère est une cousine de mon père. Il est électricien et elle est couturière. J’ai deux sœurs, Louise née en 1930 et Bequi, née en 1925. Durant ma jeunesse, j’ai habité au 49 rue du moulin Vert dans le 14e arrondissement de Paris. Je suis juive mais durant mon enfance je n’ai pas eu d’éducation religieuse. J’allais à l’école publique et j’avais une enfance heureuse, normale et sans soucis.
Ce document est l’acte de naissance de Victoria Pisanti. Il nous a permis de savoir quand et où elle est née.
1939, à l’annonce de l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne, mon père a commencé à s’inquiéter pour notre avenir du fait de l’antisémitisme allemand revendiqué. A l’armistice, en juin 1940, le soulagement est de courte durée car les Allemands occupent la France et surtout je les vois dans les rues de Paris. Je continue à aller à l’école avec Louise mais de nombreuses mesures antisémites entravent notre quotidien. En octobre 1942, lorsqu’on nous a distribué et demandé de porter l’étoile Juive, je me suis sentie vraiment discriminée. Mes camarades me regardaient différemment et j’étais très triste.
Ce document nous a permis de savoir son origine, son travail, où elle habitait quand elle a été arrêtée…
Pendant l’occupation, ma famille et moi allons souvent nous cacher à Villepinte où ma mère avait un appartement à 50 mètres de celui de sa sœur. Le 7 juillet la police arrête mon père sur son lieu de travail. Et le 12 juillet, bien que réfugiées à Villepinte dans l’appartement de ma tante, mes sœurs et moi sommes arrêtées à notre tour. Nous étions effrayées car notre mère n’était pas là.
Après deux nuits dans un dépôt, nous retrouvons notre père à Drancy le 17 juillet 1944, toujours autant apeurés. Drancy était un grand bâtiment en forme de U où la plupart des personnes internées étaient des Juifs. A Drancy, comme ma mère n’est pas arrêtée, elle allait régulièrement dans un bar que l’on apercevait depuis notre « chambre » derrière un grillage. C’était très dangereux car à tout moment, elle pouvait se faire arrêter. Un soir, on nous a demandé de prendre toutes nos affaires car nous partions le lendemain et nous avons dû dormir à l’extrémité du bâtiment. Nous avons été conduits en bus tôt le matin à la gare de Bobigny. Nous ne savions pas où nous allions. Nous sommes montés dans des wagons à bestiaux et tous contenaient un seau pour que nous puissions faire nos besoins. L’odeur était insoutenable, nous étions fatigués et affamés. Le trajet a duré deux jours et trois nuits. Lors de notre arrivée, les gardes nous ont brutalement fait sortir pour ensuite nous diviser en deux groupes suivant notre sexe. Je suis entrée dans le camp après avoir perdu de vue mes proches et j’ai été dirigée dans une salle où ils nous ont rasé et tatoué un numéro de déporté que nous devions retenir par cœur en allemand. Ma sœur Bequi et moi avons été choisies pour travailler et nous n’avons plus jamais revu Louise et mon père.
Photo de l’entrée de Birkenau
Fin octobre, nous avons été transférées au camp de Kratzau en Tchécoslovaquie. Là-bas, il faisait très froid et nous portions des vêtements trop grands et pas assez chauds, nous étions toujours autant affamées et considérées comme des objets corvéables à merci. Les règles étaient bien plus strictes qu’à Auschwitz. Il fallait cacher que l’on était malade pour ne pas aller dans le soi-disant hôpital car on ne revoyait que rarement les personnes qui y rentraient. Cet endroit nous effrayait.
Voici le document qui nus a permis de retracer ces déportations, en commençant par sa date d’arrestation à Villepinte.
Un matin d’hiver, j’étais étonnée de me réveiller alors qu’il faisait jour. Avec les autres femmes du block, nous sommes sorties dehors et nous avons découvert qu’il n’y avait plus de gardes, un sentiment d’étonnement mêlé à du bonheur m’envahit. Nous ne parlions pas. Il n’y avait plus aucun Allemand, à la place, nous vîmes défiler un peu plus tard des chars de l’armée rouge. Nous avons tout de suite été prises en charge par les soldats. Nous étions le 8 mai 1945. Puis quelques jours plus tard, ils nous ont rapatriées à la gare de l’Est à Paris. Nous avons ensuite pu joindre notre mère à l’hôtel Lutetia le 24 mai 1945 : les retrouvailles ont été très fortes et émouvantes.
Ma sœur et moi étions très tristes car quand nous sommes revenues en France, nous avons compris que notre père et notre petite sœur Louise étaient morts, sûrement tués dès leur descente du wagon comme tant d’autres à la sélection. Nous sommes retournées à notre domicile, malades. Nous avons dû suivre un traitement médical pour réapprendre à manger : on ne pouvait qu’ingérer que de la purée pendant 2 à 3 semaines. J’ai continué ma vie en travaillant dans la couture et je me suis par la suite mariée avec Robert Kohen. La vie a repris son court petit à petit, mais les vagues d’antisémitisme existaient encore. Je n’ai jamais pu avoir l’esprit tranquille.
Arbre Généalogique :
Sources :
- documents d’archives donnés par Convoi 77
- témoignages de Béqui Pisanti, de Marceline Loridan et d’Yvette Levi présents sur le site du mémorial de la Shoah
- courtes biographies sur le site de Yad Vashem
- livres de Simone Veil, Jeunesse au temps de la Shoah ; de Ginette Kolinka, Retour à Birkenau; d’Henri Borlant, Merci d’avoir survécu et de Ida Grinspan, J’ai pas pleuré
- photos prises au mémorial de Drancy
This biography of Victoria PISANTI has been translated into English.
VICTORIA SAIT REMARIEE AVEC GABRIEL NACACHE EN 1964