Sur le fronton d’établissements scolaires de nombreuses villes de France sont apposées des plaques commémorent le souvenir de la déportation d’enfants juifs.
Afin que ces plaques voient le jour, des bénévoles ont mené des recherches, il s’agit de membres des AMEJD, les Associations pour la mémoire des enfants juifs déportés.
Mme Corinne Rachel Kalifa est secrétaire générale du Conseil national pour la mémoire des enfants juifs déportés (COMEJD). Aux côtés de son président, M. Alain Panczer, elle fédère l’action de toutes les AMEJD de France. Elle a bien voulu parler de son action en faveur de la mémoire de ces enfants.
Convoi 77: Quel bilan tirez-vous de l’action des AMEJD sur leur deux décennies d’existence?
Mme Corinne Rachel Kalifa: Tout a commencé avec un comité né dans le XXe arrondissement de Paris autour de l’école de la rue Tlemcem. Les travaux de ses membres ont permis d’y apposer la toute première plaque commémorative du genre, en 1997. Puis, les AMEJD ont été créés en 1999 sur ce modèle. Depuis, 450 plaques ont été apposées sur des établissements parisiens, principalement des écoles, mais aussi quelques collèges et lycées. Il existe aussi des AMEJD hors de région parisienne qui ont permis d’inaugurer une cinquantaine de plaques.
Le succès des AMEJD vient, selon moi, du caractère local des projets. Chaque membre travaille sur le quartier où il a grandi, ou sur son école, cela permet de se sentir impliqué. Moi j’ai énormément de respect et de reconnaissance pour les membres, le travail qu’ils ont accompli est immense. Comme le dirait mon ami Sabi Soulam, les plaques sont un devoir de mémoire, et aux AMEJD nous continuons à faire ce nécessaire travail de mémoire.
De quelle manière les membres des AMEJD permettent-ils de tirer de l’oubli les enfants déportés?
Les premiers membres des AMEJD sont des amis d’enfants déportés. Écoliers, ils ont constaté la disparition d’un de leurs petits camarades. Une fois adultes, ils ont voulu retrouver leur trace. Pour des jeunes enfants, l’école représente une grosse partie de leur monde, c’est un lieu de vie et un lieu de joie pour eux. C’est aussi l’école qui consigne l’une des rares traces officielles de la vie d’un jeune enfant. Ces plaques permettent de se souvenir d’eux.
Les noms des enfants déportés figurent déjà sur le mur du Mémorial de la Shoah, mais ce que font les AMEJD, c’est de l’inscrire dans leur ancien espace de vie, dans le quartier où ils ont grandi. Quant aux tout petits qui n’étaient pas scolarisés, leur nom est inscrit sur une stèle dans un jardin public de leur ancien arrondissement. Car il faut se rappeler que durant l’Occupation, les jardins publics étaient interdits aux juifs. Le travail des AMEJD permet de prouver que tous ces enfants ont existé.
Comment se passe le travail de recherche en amont? Quels documents vous permettent de retrouver les noms des enfants déportés?
Les membres des AMEJD font des recherches dans les archives de la ville de Paris et celles du ministère de l’Éducation nationale. Nous allons consulter en priorité les registres scolaires pour retrouver les noms. Malheureusement il manque des registres, certaines écoles les ayant jetés. Mais des fois on retrouve des photos de classe. Concernant les images, l’association Mémoire juive de Paris a fait un gros travail de collecte de photos, dont celles d’écoliers, et on peut les consulter aujourd’hui au Mémorial de la Shoah. Les dossiers de naturalisation sont très importants aussi, ils nous en apprennent sur la composition des familles et leur lieu de vie, sur les profession des parents…
Quand nous avons leurs noms, nous croisons ensuite avec le Mémorial des enfants juifs déportés de France publié par Serge Klarsfeld en 1995, qui contient les listes des convois de déportations. Enfin, nous nous mettons en lien avec la mairie de Paris qui finance chaque plaque. Une cérémonie est organisée à chaque nouvelle pose, et nous essayons d’y faire venir des témoins, des frères et sœurs, ou des enfants de déportés.
Comment accompagnez-vous les enseignants des écoles où sont apposées les plaques?
Il y a toujours un travail pédagogique associé à la préparation et à la pose des plaques. Cela peut être du témoignage ou de l’accompagnement. Les membres des AMEJD sont allés témoigner dans les établissements scolaires pour parler de déportation. Mais aussi dans des lycées, des classes ont travaillé – souvent avec leur professeur d’histoire – pour aider à retrouver les noms d’anciens élèves déportés. Dans ces cas là, les AMEJD peuvent leur venir en aide pour trouver des informations. J’ai moi-même donné un coup de main à des écoles situées loin de Paris: je suis allée chercher pour eux des documents aux archives de région parisienne.
Et puis, chaque année pour les commémorations du 27-Janvier, les plaques servent de support pour parler de la mémoire de la déportation et du génocide. Les établissements concernés organisent une petite cérémonie avec lecture des noms d’enfants. Les gens qui passent devant une école voient la plaque extérieure, mais ignorent souvent qu’il y a toujours une deuxième plaque à l’intérieur, avec les noms des enfants inscrits dessus.
Avec qui travaillez-vous dans ces entreprises mémorielles?
Le Mémorial de la Shoah est un partenaire essentiel, et notamment le CERCIL. Nous échangeons aussi avec beaucoup d’associations pour trouver des informations, comme celles travaillant sur des convois de déportés, dont Convoi 77. Quand les gens sont impliqués, il sont souvent dans plusieurs associations.
Les AMEJD ont pu compter sur le soutien fort des maires de Paris, que ce soit MM. Tibéri et Delanoë, ou encore aujourd’hui de Mme Hidalgo et de son adjointe en charge de la mémoire, Mme Laurence Patrice. Le rectorat a aussi facilité les recherches dans ses archives, et en nous ouvrant les portes des établissements scolaires.
Maintenant que nous sommes reconnus, nous sommes régulièrement contactés par des professeurs qui mènent un travail sur la déportation. Le mémorial et les mairies d’arrondissement nous font régulièrement suivre des demandes d’information. Alors nous aidons des familles de déportés dans leurs recherches généalogiques. D’autres fois, des personnes nous proposent même leurs archives familiales pour documenter cette histoire.
Quels sont les chantiers futurs pour les AMEJD?
Le travail est en train d’être mené dans plusieurs villes mais nous sommes loin d’avoir couvert toute la France. À titre personnel j’aimerais aider aux recherches sur Rouen, ma ville de naissance. Mais nous aurions bien besoin de nouveaux membres pour avancer car il y a encore du travail à faire, même à Paris et notamment sur les lycées.
J’ai aussi un projet d’ouvrage qui serait un Mémorial des enfants scolarisés et qui raconterait aussi l’histoire de chaque AMEJD et des personnes qui l’ont constitué. En attendant ,je collecte les archives des associations pour les sauvegarder. Il me parait important qu’un tel livre voie le jour, pour la reconnaissance des personnes qui ont permis à cette mémoire d’exister.
La prochaine plaque commémorative sera apposée le 21 janvier 2025 au lycée Louis-le-grand, à Paris.
Le site de la mairie de Paris propose une carte interactive de toute les plaques déjà posées, et certaines AMEJD ont réalisé des cartes interactives des lieux d’habitation des enfants déportés (par exemple dans le XIe arrondissement).