« La France et la SNCF ont toutes deux une histoire de résistance et une autre, moins sympathique »

Alain Leray est le conseiller Mémoire et Histoire du comité exécutif de la SNCF, qui est partenaire du projet Convoi 77. Il a répondu à nos questions sur le rôle de cette grande entreprise française durant la Seconde Guerre mondiale et son implication dans le processus de conservation de la mémoire. Entretien.

  • Pourquoi un poste comme le vôtre existe-t-il au sein de la SNCF ?

Nous voulons nous souvenir. La SNCF a eu, comme beaucoup d’entreprises nationales, un passé particulier lors de deuxième guerre mondiale et nous avons été trop impliqués dans cette tragédie pour esquiver le souvenir.

Nous avons voulu développer notre action en prenant en compte quatre dimensions différentes : l’histoire, la transparence absolue, la mémoire et l’éducation.

Pour ce qui est de la transparence et de la mémoire, nous avons, depuis 2012, mis en ligne nos archives. Cela représente 1 350 000 documents. En faisant cela, nous montrons que nous ne cachons rien. Ce n’est plus possible de nous accuser de dissimulation à partir du moment où nous mettons en ligne tous les documents sur 39-45 dont nous disposons.

Nous voulons aussi œuvrer pour que ces événements ne se reproduisent plus, même si cela a déjà été le cas avec notamment le génocide au Rwanda. La prévention par l’éducation est une des solutions. C’est dans ce cadre-là que nous intervenons aux côtés du projet Convoi 77.

  • Qu’est-ce qui vous motive justement dans ce projet ? 

D’abord Georges Mayer. Ce type-là est extraordinaire. Il a un pouvoir de persuasion, une sincérité et un enthousiasme qui, pour moi, sont très touchants.

Il y a une dimension internationale à son projet, et il faut bien admettre malheureusement que la Shoah a une dimension internationale. Ce convoi 77 est très particulier car il y avait un nombre incroyable de nationalités qui était représenté dans ce train.

  • Vous parliez d’accusations. Y a-t-il des vérités à rétablir en ce qui concerne le passé de la SNCF ?

Beaucoup de choses inexactes ont été dites sur ce passé. Aux Etats-Unis, notamment, on nous a accusés à plusieurs reprises de choses complètement fausses, par exemple d’avoir volé des biens aux déportés.

Il a également été dit que la SNCF avait à l’époque le choix de tracter ou non ces convois [qui allaient vers les camps d’extermination, ndlr]. C’est complètement faux. Il n’était pas possible de se soustraire à cet ordre de tracter ces convois et le prétendre c’est avoir une totale méconnaissance de la manière dont nous opérions. Car l’armistice en 1940 nous a placés sous le commandement du département des transports de l’armée allemande.

En vérité, la SNCF a eu deux visages pendant la guerre : celui de la collaboration, c’est indéniable, et celui de la résistance. Certains dirigeants de la SNCF étaient nommés par Vichy. Il est clair qu’il y a eu de la collaboration de la part de ces dirigeants. Mais, il y a aussi eu de nombreux faits de résistance. Vouloir simplement réduire l’entreprise à un rôle de collaboration, c’est tout simplement faux.

D’un autre côté, il y a eu une volonté pendant des années de ne pas assumer la réalité et d’entretenir le mythe de cette France et de cette SNCF uniquement résistantes, à travers des œuvres comme le film « La bataille du rail » par exemple [film à la gloire de la résistance ferroviaire daté de 1946, ndlr].

Or la France et la SNCF ont un peu la même histoire : une histoire de résistants qui ont sauvé, et puis une histoire moins sympathique, il faut bien le dire.

Il faut regarder les choses en face, qu’elles soient tout à l’honneur de la SNCF ou qu’elles ne le soient pas.

  • Quels faits de résistance voudriez-vous mettre en avant ?

Il ne faut pas oublier qu’il y a eu 2.229 cheminots qui ont été assassinés par les nazis pour fait de résistance. Très souvent, des Juifs ont été sauvés grâce à la complicité des cheminots. Il y en a même qui ont réussi à s’échapper d’un convoi en mouvement grâce à eux.

En ce moment, la SNCF soutient le travail de trois historiens ainsi qu’un film documentaire intitulé « Sauvons les Enfants » qui portent tous sur le sauvetage de Lille-Fives [du nom de la gare lilloise, ndlr]. Ce sauvetage a eu lieu lors de la rafle du 11 septembre 1942. Ce jour-là, 24 cheminots ont sauvé une soixantaine de personnes, dont 42 enfants. C’est un fait de résistance extrêmement touchant et bouleversant qui est totalement méconnu. Ces enfants n’auraient jamais été sauvés sans la chaîne de solidarité extraordinaire qui s’est mise en place et dont les premiers maillons étaient ces 24 cheminots.

Certains d’entre eux ont par la suite été assassinés par les nazis. Récemment l’un d’entre eux, Marcel Hoffman, qui a survécu à la guerre, a été reconnu Juste parmi les Nations par Yad Vashem [le mémorial de la Shoah de Jérusalem, ndlr]. Sa famille recevra prochainement la médaille des Justes des mains de l’ambassadeur d’Israël en France.

Je suis confiant que le travail considérable que font bon nombre d’historiens finira par donner une image plus exacte de ce que fut la SNCF pendant cette tragédie. Je pense qu’il est encore trop tôt car ceux qui se font l’écho de fictions plutôt que d’histoires réelles ont souvent un intérêt personnel à le faire.

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