Volf (Wolf) AGREST
Volf Agrest est né le 21 octobre 1933 à Nancy et assassiné le 5 août 1944 à Auschwitz. Il a eu une enfance volée et tourmentée. Au printemps 1940, sa famille fuit Nancy ; c’est le début du déracinement, des changements de domicile fréquents, de l’inconnu.
Wolf Agrest est né le 21 octobre 1933 à Nancy. Dans les documents officiels, on trouve parfois la date du 24 ou du 27 octobre. Il est le fils de Chaïa, Golda, Agrest, couturière, née le 6 septembre 1899 à Lukow, ville d’environ 30 000 habitants située à l’est de la Pologne à environ 90 kilomètres au nord de Lublin.
Sa mère, Golda, après la mort de son mari, vit alors avec un dénommé Weiss[1]. Wolf porte le nom de sa mère car son père biologique est encore marié et ne l’a pas reconnu.
[1] Information donnée par Martine Boréal, fille du demi-frère de Volf, Henik Bornsztajn.
Volf est le dernier d’une fratrie d’une famille modeste. Il a un demi-frère aîné, Henrik-Albert Bornsztajn, né le 19 mars 1925, et deux demi-sœurs Liki, née le 26 août 1927 et Marthe-Odile née le 4 mai 1929 à Belfort. Sa mère et son premier mari, Mordka, avait perdu une petite Ida, morte avant ses un an le 14 juillet 1927.
On n’a pas d’information sur le père de Volf, mais l’on sait que sa mère est venue en France dans les années 1920, sans doute pour travailler et/ou fuir un climat d’antisémitisme. Après la Première Guerre mondiale, en raison des pertes militaires élevées, la France accueille de nombreux travailleurs et travailleuses polonais. Les deux gouvernements ont signé, le 3 septembre 1919, une convention d’immigration qui prévoit un recrutement collectif de citoyens polonais, des contrats de travail et l’égalité des salaires avec la main-d’œuvre française.
Golda et ses enfants habitent au 87, rue de la Hache, un quartier central de Nancy. L’immeuble de l’époque n’existe plus.
Nous ne savons pas précisément quelle école devait fréquenter Volf à Nancy, mais alors que la guerre commence, il doit effectuer sa première année à l’école primaire. Les enfants sont scolarisés à l’époque à partir de 6 ans. Toutefois, dès le 1er septembre 1939 et la déclaration de guerre, l’ordre d’évacuation a été donné pour les villes d’Alsace, de Moselle et de Meurthe & Moselle, le département de Nancy. Sa famille est-elle partie à ce moment-là dans le sud-ouest, à Saint-Jean-de-Blaignac (Gironde)où on la retrouve après la « drôle de guerre », au moment de l’offensive allemande en mai 1940 ?
A-t-il bien effectué sa rentrée le 2 octobre 1939, à Nancy ou à Saint-Jean-de-Blaignac, une petite commune de quelques centaines d’habitants située sur la Dordogne au sud de Libourne, ou bien à Bordeaux où la famille se serait ensuite installée ? Sa scolarité a sans doute été très perturbée.
D’autres familles venant de Nancy et de sa région se sont installées dans le département de la Gironde.
Toute la côte atlantique est en zone occupée (zone interdite à partir de 1941) y compris Bordeaux, occupée à partir du 28 juin 1940. Le département de la Vienne, comme 12 autres départements, est coupé en deux par la ligne de démarcation. Poitiers, Loudun et Châtellerault sont en zone occupée. La législation antisémite allemande s’y applique dès l’été 1940. Fin 1940, les Allemands expulsent vers le département de la Vienne les juifs réfugiés en mai 1940 car la Gironde est un département côtier et les Allemands ont peur d’être espionnés.
La famille Agrest-Bornstajn s’installe alors à Savigny-sous-Faye, une petite commune rurale située à 30 km au sud de Loudun et très près de Lencloître, où sont aussi réfugiées des familles juives.
Le 9 octobre 1942, Golda et ses trois enfants sont raflés et internés au camp de la route de Limoges à Poitiers.
Dès octobre 1939, des réfugiés politiques espagnols ont été internés dans ce camp, puis à partir de fin 1940 ceux que Vichy appelle les « Nomades ». En 1942, ils sont plus de 400. Les premiers internés juifs le sont durant l’été 1941.
Ce camp est insalubre car les installations sanitaires sont insuffisantes et les rations alimentaires sont très limitées. Les familles sont entassées dans trois baraques Adrian (en bois, démontables) et doivent dormir à même le sol sur de la paille. Il n’existe pas de dortoirs spécifiques pour les enfants, et aucune école n’a été créée. Volf ne suit donc pas de cours.
Golda est transférée le 15 octobre 1942 à Drancy. Elle fait partie d’un groupe de 231 personnes dont 94 femmes, 86 hommes et 51 enfants. Plus de la moitié des membres de ce groupe sont des Polonais. Ses trois enfants demeurent au camp de Poitiers, car ils ont la nationalité française, ce qui n’est pas le cas de Golda. On peut imaginer sa douleur de devoir quitter ses enfants pour une destination inconnue. On peut imaginer la tristesse de ses enfants qui désormais sont seuls. Golda est déportée à Auschwitz le 6 novembre de la même année, par le convoi n° 42.
Le rabbin Elie Bloch, secondé en secret par le père Fleury, aumônier catholique des Nomades, parvient à faire sortir des enfants du camp officiellement. Il argue auprès des autorités de leur statut de Français. Jean-Marie Lemoine, intendant de police de la région de Poitiers, accepte la « libération » de 11 enfants en raison « de leur qualité de Français » en novembre 1942.
Ainsi Volf, et ses demi-sœurs Liki et Marthe sont libérés le 12 novembre 1942. Ils sont assignés à résidence chez des familles paysannes du Poitou.
On note que la date de naissance de Volf ne correspond pas à celle du registre d’état civil, qui est plus fiable ; il s’agit d’une erreur de transcription.
Les trois enfants sont arrêtés le 23 juillet 1943 par des gendarmes français et détenus à nouveau à Poitiers, au camp de la route de Limoges. Puis, dûment gardés par des gendarmes, ils sont transférés à Paris, dans un wagon à bestiaux ou de marchandise, le 19 août 1943.
Dès leur arrivée gare d’Austerlitz, selon ce qui a été convenu entre les Autorités Allemandes et Amédée Bussière, préfet de Paris, ils sont alors pris en charge par les services de l’Union générale des Israélites de France (UGIF), au centre de la rue Lamarck, qui est comme un centre de tri où les enfants sont mis en quarantaine pendant 15 jours pour éviter la transmission de maladie et de poux. Leur tête est rasée et leurs vêtements et leurs effets personnels leur sont enlevés. On les habille avec ce qui se trouve là, des dons pour la plupart. La fratrie est ensuite séparée. Liki est placée dans le centre pour jeunes filles de la rue Vauquelin ; Wolf est envoyé dans la maison des orphelins de La Varenne, en banlieue parisienne. Cette maison, acquise en 1929 par la communauté juive de La Varenne, est aménagée pour recevoir des orphelins. L’orphelinat « Beiss Yessoïmim » (Orphelinat B Y de la Varenne) a été inauguré en 1934.
Le sort de Marthe est inconnu. Va-t-elle avec Liki ? Comme Marthe n’est pas raflée avec Liki, il semble qu’elle ait été recueillie ailleurs, d’autant que le centre de la rue Vauquelin n’accueillait des jeunes filles qu’à partir de 15 ans.
En juillet 1944, le SS Aloïs Brünner, commandant du camp de Drancy depuis fin juin 1943, adjoint au chef de la police allemande de Paris, décide de déporter les enfants, soi-disant « libres » mais en fait « bloqués » dans les maisons d’enfants. En effet, tous les enfants confiés à l’UGIF étaient fichés et connus des autorités allemandes. Il fait arrêter tous les enfants et le personnel des maisons de l’UGIF, et parmi eux les 28 jeunes enfants de La Varenne, dont Volf, dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944.
Parmi les jeunes enfants arrêtés, 12 étaient originaires de l’est de la France (Nancy, Metz, Sedan ou Strasbourg). Il faut retenir que leurs parents ont été déportés depuis 1942.
Transféré à Drancy, Volf retrouve Liki, arrêtée la même nuit fatidique. Ils sont déportés ensemble à Auschwitz le 31 juillet 1944 dans le convoi 77, et assassinés dès leur arrivée.
La politique antisémite de Vichy et des occupants allemands a détruit une grande partie de leur famille.
Marthe a survécu, ainsi qu’Henrik Albert.
Le frère aîné, Henrik-Albert réside dans les dépendances du château de la Plaine, comme en rend compte ce document de 1943. Il est homme à tout faire dans les fermes de la région. Avec 6 autres juifs (3 femmes et 3 hommes), il demande à changer de résidence. Un document préfectoral ultérieur montre que finalement, il reste à Savigny-sous-Faye.
Henik a rejoint la Résistance dans la région de Loudun, en août 1943. Sous l’allias Albert Boréal, il assure de nombreuses liaisons et missions, dont le transport d’armes, d’explosifs, de cartes d’alimentation et de fausses cartes d’identités ; il navigue entre plusieurs maquis, deux dans le département de la Charente et un en Haute-Vienne. Il est arrêté le 5 février 1944 par la police de Vichy et interné à la prison de Limoges jusqu’à la libération de la ville, le 21 août 1944. Il participe ensuite à la campagne d’Allemagne. Il prend le nom d’Albert Boréal, qu’il pourra porter officiellement à partir de 1987. Il a obtenu les titres de déporté et interné de la Résistance (DIR), et de membre des Forces Françaises de l’intérieur (FFI).
Durant le temps qu’il a passé au château à Savigny- sous-Faye, il rencontre Rosa Apter qui deviendra ensuite sa femme. C’est elle qui remplit en 1998 les feuilles de témoignage que l’on trouve sur le site de Yad-Vashem. Albert est mort à Lyon, le 4 décembre 2004 ; Rosa le 13 octobre 2012, à Avignon. Marthe s’est éteinte en 1984.
Dans les années 1980, Nelly Wolf, ancienne secrétaire de l’orphelinat B Y de la Varenne, déploie de très grands efforts pour qu’un hommage soit rendu aux enfants et au personnel encadrant déportés.
Dans un courrier adressé en 1989 au secrétariat d’État des Anciens Combattants, elle explique qu’elle œuvre pour « la mémoire » de ces « petits martyrs ».
Son combat aboutit en 1991 à la pose d’une plaque rendant hommage au 28 enfants arrêtés, déportés et assassinés en 1944. Cette cérémonie a lieu en présence de Serge Klarsfeld.
Sources
Service Historique de la Défense à Caen
- Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC), dossier 21 P 482609
Service historique de la Défense à Vincennes
- Bureau Résistance, dossier GR 16 P 74640
Mémorial de la Shoah
- Fiches Drancy, carnet de fouilles et cahier de mutations
- Collection Serge Klarsfeld
Archives départementales du Territoire de Belfort : Registre décennal des naissances, 1 E TD 2
Archives municipales de Nancy :
- Registre des décès de l’état civil de Nancy, 4 E 372
- Registres des tables décennales de naissances
Contacts via les réseaux sociaux avec Martine Boréal, une des deux filles d’Albert Boréal, frère aîné de Liki.
Bibliographie
- Paul Lévy, Un camp de concentration : Poitiers 1939-1945, Paris, Sedes,1999.
En complément : Consulter les biographies de Liki BORNSZTAJN et de Henri, Léon et Kiwa ZYLBERMANN
This biography of Wolf AGREST has been translated into English.