Claude-Renée VEXLER

1938 - 1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Claude-Renée VEXLER

Sur la photo ci-contre, prise sur les marches de la villa de Louveciennes, Claude-Renée et sa sœur cadette Marie-Anne posent dans le groupe d’enfants avec leur monitrice Denise Hostein.

Une famille comme une autre…

Claude-Renée, née le 6 décembre 1936 et Marie-Anne Florica, née le 17 octobre 1938 à Saint-Cyr-sur-Morin (77 750), sont les filles du Docteur Iancu Vexler, né le 29 juillet 1907 à Husi en Roumanie, et de Fajga Vexler, née Elbaum le 23 janvier 1906 à Varsovie en Pologne.
Le couple habite au 14 rue de la Ferté-sous-Jouarre depuis 1936.
Après des études de médecine, Iancu ouvre un cabinet de généraliste à Saint-Cyr-sur–Morin.
Le couple a quatre filles. Claude-Renée, née en 1936, Marie-Anne Florica, née en 1938, Hélène-Sarah, née en 1940 et Jeanne-Marie, née en 1941.
Pendant la guerre, Iancu se porte volontaire comme soldat et incorpore la 4e Section de l’Infanterie le 9 juin 1940. Après l’armistice, il rentre à Saint-Cyr-sur-Morin où il exerce son métier de médecin généraliste.
Malgré les lois antisémites en France, notamment celle du 7 octobre 1940, visant à exclure de l’exercice de la médecine tous les médecins hospitaliers juifs, puis les lois du 2 juin et du 24 juin 1941, sur la limitation du nombre de médecins juifs exerçant par département, le docteur Vexler continue d’exercer dans la commune.

 Iancu et Fajga Vexler,

Photographie provenant de  l’ouvrage « Les Vexler : une famille juive déchirée par la guerre »

L’arrestation

Le 21 octobre 1942, des gendarmes français sous le commandement du maréchal des logis-chef Bonnet[1], arrivent au domicile et arrêtent le couple.
Cette date est connue comme étant une rafle importante en Seine-et-Marne où seront arrêtés 81 Juifs étrangers. Les époux sont envoyés à Drancy, puis déportés le 6 novembre 1942 à Auschwitz par le convoi 42. Les deux cadettes du couple, Hélène-Sarah, née en 1940 et Jeanne-Marie, née en 1941, sont confiées à Lucien Clément et sa femme, amis du couple. Elles seront cachées à la Croix-Verte, un hameau de la commune de Bassevelle, en Seine-et-Marne. En 1943, elles partent rejoindre leur grand-mère maternelle à Bussières[2], commune de Seine-et-Marne où elles vivront cachées jusqu’à la libération.
Claude-Renée et Marie-Anne se trouvent chez leur nourrice au Hameau de Mauroy, commune de Doue en Seine-et-Marne.

L’arrivée à Auschwitz

Le 11 novembre, à son arrivée à Auschwitz, Fajga est directement gazée. Elle n’a que 36 ans. Iancu est sélectionné sous le matricule 74154 pour travailler dans un sonderkommando. Le 2 juin 1943, il est affecté à l’hôpital de Birkenau au côté du docteur Josef Mengele, « l’ange de la mort »[3]  et devient le médecin des Tziganes. Il est libéré en mai 1945 par les troupes soviétiques[4].

Destin des filles aînées, Claude-Renée et Marie-Anne Florica

Lors de l’arrestation de leurs parents, Claude-Renée et Marie-Anne Florica sont en pension chez une nourrice, Mme Cauturon, à Mauroy[5], un hameau de Doue, à quelques kilomètres de Saint-Cyr-sur-Morin.
Mais dès septembre 1943, malgré les réticences de la nourrice, elles sont confiées à l’Union générale des israélites de France (UGIF[6]). Après un passage au centre 28, rue Lamark à Paris, centre de tri pour enfants juifs, elles sont envoyées au centre 59 de Louveciennes[7], dans la banlieue ouest de Paris.
Elles y passent une année dans des conditions difficiles. Manque de nourriture, manque de soins, manque d’habits, mais pas manque d’amour. Les deux fillettes sont prises en charge par Denise Holstein[8], adolescente de 17 ans, qui a la responsabilité de 9 jeunes enfants. Marie est une « merveilleuse petite fille pétillante » avec [des] grands yeux bleus et [des] cheveux noirs », selon Denise Holstein[9].

Les conditions de vie sont terribles et Pierrette Grisel, assistante sociale membre de la Croix Rouge, veut les exfiltrer[10]. Elle est membre de l’OSE[11], organisation clandestine animée par des résistants infiltrés dans les rangs de l’UGIF. Mais le projet ne voit pas le jour et le 22 juillet 1944, les enfants du centre, soit trente-quatre enfants, et cinq moniteurs sont déportés. Seuls trois reviendront d’Auschwitz.
Entre le 20 et le 22 juillet, huit foyers de l’UGIF sont touchés par la rafle organisée par Aloïs Brunner[12]. Plus de 345 enfants âgés de 1 an à 15 ans des centres pour enfants de la région parisienne sont arrêtés et déportés jusqu’au camp de Drancy.
Claude-Renée et Marie-Anne sont déportées vers Auschwitz le 31 juillet, lors du dernier convoi, le convoi 77. Le voyage est très long. D’après le témoignage de Denise Holstein [13], le voyage dure deux jours et demi. Les deux sœurs Vexler sont regroupées avec les enfants de Louveciennes dans le même wagon. Les conditions sont terribles : « le ravitaillement ne manque pas, mais l’eau si. Nous ne pouvions rien avaler : nous avions tous si soif. Les enfants pleuraient, il fallait les consoler ».
Les deux fillettes seront gazées dès leur arrivée, le 2 août 1944. Claude-Renée était âgée de 7 ans et 8 mois et Marie-Anne Florica de 5 ans et 2 mois.

Dessin réalisé par Cassioppée Perraguin, élève de TL

 

Deux vies fauchées, deux courtes vies

Claude-Renée et Marie-Anne Florica sont donc assassinées par les nazis car elles sont nées juives. Elles n’ont pas eu le temps de vivre. Leurs noms sont présents sur les plaques commémoratives du monument aux Morts de Saint-Cyr-sur-Morin ainsi que sur les pages de noms au musée national d’Auschwitz-Birkenau et sur le mur des noms au Mémorial de la Shoah à Paris.

Musée National d’Auschwitz-Birkenau, visite avec les élèves le 28 novembre 2019

Mémorial de la Shoah, le 21 janvier 2020

On peut voir les deux fillettes avec Denise Holstein au centre de Louveciennes.


 

Le retour à la vie… et à la reconnaissance

 
Iancu Vexler regagne Saint-Cyr-sur-Morin pour y reprendre son travail. Il y retrouve ses deux petites filles, Hélène-Sarah et Jeanne-Marie.
En 1952 il se remarie avec Aimée Barreau avec qui il aura deux enfants. Catherine, née en 1951 et François-Ruben, né en 1957.
Mais ce retour à la vie passe par un long combat auprès des institutions françaises pour faire reconnaître le crime dont a été victime sa femme Fajga, et ses deux filles aînées, Claude-Renée et Marie-Anne.
Le 1er mai 1959, Iancu Vexler envoie une lettre au Ministre des anciens combattants et victimes de guerre pour obtenir les actes de décès de ses deux filles. Il veut également que la mention : « Morts pour la France » soit précisée sur les actes de décès. Le Ministère des anciens combattants adresse alors une lettre au préfet de Seine-et-Marne le 23 juin 1959 pour obtenir des informations sur les deux fillettes. Celui-ci lui répond le 18 juillet 1959 d’une façon très complète sur les circonstances de l’arrestation et de la disparition des deux filles de Iancu Vexler. Le préfet précise « que les faits sont notoirement connus dans la région et que l’arrestation des membres de cette famille est incontestablement attribuée à leur origine confessionnelle »[14].
Parallèlement, le docteur Vexler reçoit un courrier le 23 juin 1959 du Ministère des anciens combattants en réponse à sa demande d’obtenir des actes de décès et la mention « Morts pour la France » pour ses filles. Celui-ci l’informe qu’il ne peut répondre à sa demande car le Ministère ne dispose pas d’informations sur le lieu et la date du décès des deux fillettes. Seule une attestation de disparition peut être fournie après enquête.
Le docteur Vexler poursuit alors son combat. Il sollicite, dès le 3 juillet 1960 auprès du Ministère des anciens combattants et des victimes de guerre une demande de régularisation de l’état-civil d’un « non rentré » pour Claude-Renée et Marie-Anne. Sur le formulaire émanant du ministère des anciens combattants et victimes de guerre, il est notifié qu’il s’agit d’une demande pour un « déporté racial », et que celui-ci, ici les deux fillettes, ont été arrêtées par un émissaire de l’Union des Juifs de France (mandataire des Allemands). Mais ce n’est que le 22 avril 1961, que le maire de Saint-Cyr-sur–Morin atteste que Claude-Renée et Marie-Anne ne sont pas reparues au domicile du docteur Vexler depuis la fin de la guerre.
Le Ministère des anciens combattants et victimes de guerre va donc adresser le 26 avril 1961 deux formulaires de demande d’attestation de disparition au docteur Vexler. Celui-ci les renverra complétés le 27 avril 1961 et recevra les documents le 1er mai 1961, soit 2 ans après sa requête, ce qui lui permettra d’obtenir un jugement déclaratif de décès. Sans ce document, le Ministre des anciens combattants ne peut pas répondre positivement à la demande de notification « Morts pour la France ».
Une fois les attestations de disparition des deux fillettes obtenues, Mr Vexler peut saisir le Tribunal de grande Instance afin d’obtenir la déclaration judiciaire du décès de ses deux filles. Il obtient la transcription du jugement de décès sur le registre de l’état civil de la commune de Saint-Cyr-sur–Morin le 06 septembre 1961.
Le 5 juillet 1962, le docteur Vexler, reconnu déporté politique, est naturalisé français.[15]
Il poursuit alors son combat pour que la mention « Morts pour la France » soit attribuée à sa femme et à ses filles. Le 26 avril 1979, il écrit un courrier au Ministère des anciens combattants et des victimes de guerre, plus précisément à la direction des statuts et des services médicaux où il adresse les extraits de naissance portant la déclaration de décès de ses filles. Il joint également les certificats de nationalité française des deux fillettes. Claude-Renée était française en application de l’article 3 de la loi du 10 Août 1927 (déclaration enregistrée au Ministère de la justice le 8 décembre 1938) et sa sœur par la même déclaration enregistrée au Tribunal de première Instance de Coulommiers le 7 avril 1939.
Le Ministère des anciens combattants rédige un courrier au maire de Saint-Cyr-sur–Morin le 11 juillet 1979 afin d’obtenir la retranscription des deux jugements déclaratifs de décès des deux fillettes. Le maire envoie le 17 juillet 1979 les extraits d’acte de naissance de Claude-Renée et de Marie-Anne Vexler avec la mention décédées en Pologne le 31 juillet 1944, date à laquelle le convoi 77 quitte la gare de Bobigny pour Auschwitz.
Le 4 janvier 1980 le maire de Saint-Cyr-sur-Morin reçoit la notification du secrétaire d’État aux anciens combattants qu’il peut inscrire « Morts pour la France » sur les actes de décès des deux filles Vexler.
Après de longues années de démarches, le docteur Vexler obtient que la mention : « Morts pour la France » figure sur les actes d’état-civil de ses filles et de sa femme, assassinées à Auschwitz.
Iancu Vexler meurt le 12 juin 1990 à l’âge de 83 ans.

Monument aux Morts de Saint-Cyr-sur-Morin

Cette histoire est terrible. La vie d’une famille brisée parce qu’ils étaient juifs. Deux enfants qui ont vécu des choses horribles, « coupables » d’être nées juives, dans la patrie des droits de l’Homme. Des arrestations par la gendarmerie française, des déportations de Drancy, des assassinats de masse, quels que soient la nationalité, le sexe et l’âge.
Et ce long combat, très long combat d’un père acharné pour redonner une identité, un nom, une reconnaissance à ses filles dans la commune où elles sont nées. Pour qu’on n’oublie pas… pour qu’on ne les oublie pas.

 

Références

[1] Source Ajpn Anonymes, Justes et persécutés durant la période nazie.  Recherches réalisées par Fréderic Viey, historien.
[2] Lettre du préfet du 23 juillet 1959.
[3] Source Ajpn Anonymes, Justes et persécutés durant la période nazie. Recherches réalisées par Fréderic Viey Le docteur Vexler a écrit un article qui raconte son quotidien auprès des Tsiganes d’Auschwitz-Birkenau : « J’étais médecin des Tsiganes à Auschwitz », paru en 1973 dans les pages du Monde Gitan, 1973 n°27 p. 1 à 10
[4] Les Vexler : une famille juive déchirée par la guerre. Éditions Terroirs
[5] Et non Mme Couturon comme mentionné dans le courrier du préfet en date du 23 juin 1959. Information trouvée dans une lettre de l’Union Générale des Israélites de France en date du 12 novembre 1944.
Source : Les Vexler : une famille juive déchirée par la guerre. Editions Terroirs, 2012.
[6] L’Union Générale des Israélites de France est créée, sur injonction des Allemands, par une loi du gouvernement de Vichy en date du 29 novembre 1941.  L’organisation assure la représentation des juifs et est chargée de l’action sociale ; elle verse des allocations aux foyers privés de revenus, finance les cantines populaires et les hospices. Après les rafles de l’été 1942, elle ouvre des centres pour enfants juifs à Paris et en banlieue (foyers de la rue Lamarck, de la rue Vauquelin, rue des Rosiers, et à Louveciennes, La Varenne, Montreuil, Neuilly, Saint-Mandé).
[7] À Louveciennes, il existe un centre de l’UGIF où trente-neuf enfants juifs sont hébergés dans un orphelinat créé en 1880 par Jules Beer. À la suite des rafles lancées par Aloïs Brunner, le chef du camp de Drancy, la Gestapo arrête le 22 juillet 1944 l’ensemble des enfants réfugiés à Louveciennes et leurs moniteurs. Là, à un mois de la Libération, trente-quatre enfants et cinq moniteurs et monitrices sont raflés pour être conduits à Drancy avant de prendre le dernier grand convoi pour Auschwitz, le 31 juillet 1944. Note SJ (éditeur) : Denise Holstein rapporte qu’il y eut deux centres à Louveciennes – un grand centre où passeront notamment Charlotte Schuhmann et son amie également prénommée Charlotte, puis un plus petit centre, sur les marches duquel la photo des enfants fut prise. Denise se souvient bien des enfants de la seconde maison, mais dit aujourd’hui que la première était trop grande pour qu’elle en garde le souvenir.
[8] Denise Holstein est alors une adolescente, née en 1927. Elle se trouve au centre de Louveciennes en 1943. Elle est arrêtée le 22 juillet 1944 et déportée par le dernier convoi vers Auschwitz. Elle est l’une des rares survivantes de ce centre pour enfants juifs.
[9] « Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz », Denise Holstein,

[10] Témoignage de Pierrette Grisel, recueilli par Mme Gudelette, Archives nationales, 20 juin 1946.

[11] L’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants) est une association juive créée le 28 octobre 1912 destinée au secours des enfants et à l’assistance médicale aux juifs persécutés.

[12] Aloïs Brunner est un criminel de guerre nazi né le 8 avril 1912 à Rohrbrunn en Autriche. Il prend en main le camp de Drancy à partir du 2 juillet 1943. Il fait déporter en un an plus de 22 000 juifs français ou résidents en France, soit 1/3 des déportés juifs de France.
[13] Témoignage de Denise Holstein, publié en 1992. Article du journal Libération, le 20 avril 1999.

[14] Courrier du préfet de Seine-et-Marne en date du 18 juillet 1959 au Ministre des anciens combattants et victimes de guerre à propos du docteur Vexler, apatride et titulaire d’une carte de « Résident Privilégié »
[15] Les Vexler : une famille juive déchirée par la guerre. Éditions Terroirs, 2012.

Contributeur(s)

12th grade students from the Combs la Ville high school, under the supervision of their history teachers, Coralie Surget and librarian Françoise Olhagaray.

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