Marie BERKOWICZ

1924-2009 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Marie BERKOWICZ

Notre démarche

En novembre 2022, nous avons présenté aux élèves de Terminale spécialité Histoire-géographie-géopolitique-sciences politiques le projet d’écriture des deux biographies d’un couple de déportés – Marie et Jacques Berkowicz. L’intérêt immédiat d’une majorité d’entre eux nous a conduit à organiser rapidement une première séance méthodologique afin de les familiariser les élèves – une dizaine pour chaque membre du couple – au travail d’analyse d’archives. Nous avons débuté à partir d’archives provenant du Service Historique de la Défense de Caen. La Division archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC) conserve les archives sur les victimes civiles des deux guerres mondiales. Les éléments du dossier datent dans leur grande majorité de l’après-guerre (milieu des années 1950) et relatent le parcours effectué par Marie Berkowicz pour obtenir le statut officiel de déportée politique et ainsi toucher une indemnisation. Ils nous ont apporté des informations concernant l’état civil de Marie Berkowicz, ses lieux de résidences avant et après guerre. Immédiatement, deux informations contradictoires sur la date de naissance et la date de déportation de Marie ont amené les élèves à émettre de nombreuses hypothèses.

Passées les épreuves anticipées de spécialités, nous avons repris notre travail en cherchant à compléter notre fonds documentaire, afin de retracer les événements marquants de la vie de Marie avant et durant la guerre, et de résoudre l’énigme sur ses dates de naissance et de déportation. Pour cela, nous avons bénéficié de l’aide décisive de deux femmes. Une amie de longue date, Isabelle Zdroui, enfant cachée pendant la guerre et férue d’histoire locale, nous a transmis des documents issus des archives d’Orsay où Marie a vécu avant la guerre ; elle nous a également délivré d’autres documents issus du SHD de Caen sur la belle-sœur de Marie, lesquels nous ont permis d’en savoir plus sur l’identité de Marie. Nous avons également contacté Claire Stanislawski, archiviste au Mémorial de la Shoah, qui nous a reçus le 16 mai 2023. Madame Stanislawski a trouvé pour nous de nouveaux documents sur la période de la guerre. Il s’agit d’abord des fiches de recensement individuel établies par la préfecture de la Seine en 1940. Elles comportent des informations sur l’état-civil, la profession et la date d’arrestation et de déportation de Jacques et de Marie. Les fiches du fichier de contrôle établies par la préfecture de la Seine en 1941 complètent ces informations ainsi que les fiches d’internement du camp de Drancy.

Nous avons pu avoir accès à la période centrale : l’occupation, l’arrestation et la déportation de Jacques et de Marie. Enfin, l’un de nos élèves a contacté les archives Arolsen de Berlin qui nous ont communiqué la liste des détenus déportés de Drancy à Auschwitz le 31 juillet 1944.

Séance de travail au Mémorial de la Shoah

Notre notice biographique

Marie BERKOWICZ est née Kupferberg ou Kuperberg. Son nom de jeune fille est même orthographié Krygerberg sur la liste originale du convoi 77. Elle est née le 4 avril 1924 à Paris dans le XIIe arrondissement. Cette date de naissance du 4 avril 1924 est la plus mentionnée et reconnue par Marie elle-même dans la fiche d’état civil qu’elle signe en novembre 1953. Sur le registre d’Acte de naissance, il est mentionné que Marie est née le 4 avril 1924 à 16h50 au 15 rue Santerre, dans le XIIe arrondissement. Une rapide recherche sur Googlemap nous a permis de découvrir qu’il s’agissait de l’hôpital Rothschild.

Pourtant, d’autres documents – une fiche de Drancy, un courrier de l’office national des anciens combattants, une liste de déportés du Mémorial de la Shoah – stipulent qu’elle serait née le 17 avril 1924 ou mentionnent les deux dates. Très tôt dans leurs recherches, les élèves se sont interrogés. S’agit-il d’une homonyme ? D’une simple erreur ? Marie aurait-elle au cours de la guerre menti sur sa véritable date de naissance et si oui, pourquoi ?

Samuel et Gitla, les parents de Marie

D’après une note du service des naturalisations du Ministère français de la justice datant de 1936, le père de Marie est polonais, il se nomme Samuel Kupferberg ; il est né le 17 juillet 1895 à Radom en Pologne, ville située à exactement 100 km au sud de Varsovie. Cependant, d’après le registre d’Acte de naissance, Samuel est né le 10 juillet 1895. Les parents de Samuel – grands-parents de Marie – se nomment Szmerk Kupferberg et Fajda Nacha Frajman.

La mère de Marie est également polonaise : elle se nomme Gitla Zylberberg née le 25 mai 1895 à Radom. Les parents de Gitla se nomment Majlich Icek Zylberberg et Chana Ruchla Grynberg.

Samuel est tailleur, Gitla sans profession. D’après un extrait leur acte de mariage traduit du polonais par une élève du lycée, Gitla Zylberberg s’est mariée avec Szmul-Wigdor Kupferberg (appelé aussi Samuel Kupferberg) le 16 juin1918 à Radom en présence du rabbin de Radom Chil Kestenberg, et de deux témoins enseignants. La famille vit au 33 rue Pali Kao à Paris 20e dans le quartier ouvrier de Belleville d’après l’acte de naissance de Marie. Nous ignorons quand ils arrivent en France.

D’après l’Acte de décès établi par la mairie d’Orsay le 24 juillet 1964, Gitla a divorcé de Samuel Kupferberg. D’après un acte de naissance de la mairie d’Orsay, Roger Jacubowicz né le 6 juin 1931 à Orsay, est le deuxième enfant de Gitla après Marie, il est né de la nouvelle union de Gitla avec Jacob Jakubowicz, brocanteur, né en Pologne le 13 janvier 1899. Ils vivent alors avenue des Platanes à Orsay où Roger est né.

Gitla est déportée et assassinée. D’après les archives d’Orsay, plus précisément le registre de décès à Orsay de 1956, Gitla serait décédée à Auschwitz le 16 novembre 1942. Mais d’après plusieurs personnes témoignant auprès du Ministère des anciens combattants, Gitla serait morte en 1943 : la lettre de Madame Dora Lipskind indique que Gitla serait décédée à l’été 43 au lager B, la lettre de Madame Ita Friedman mentionne que Gitla serait décédée en juillet 43 à l’infirmerie de Birkenau de la dysenterie, bloc 27, lager B. Son corps aurait été brûlé.

La vie avant l’arrestation

A l’âge de 10 ans, Marie a acquis la nationalité française, le 30 janvier 1935. En décembre 1936, elle vit au 74 rue de Dunkerque dans le IXe Arrondissement de Paris d’après une note du service des naturalisations. En octobre 1940, les autorités de Vichy réclament le recensement des juifs en zone occupée. Marie dispose d’une fiche de recensement dans les archives du Mémorial de la Shoah.

Elle déclare alors être domiciliée au 17 rue Thiers à Grenoble. Jacques, son futur mari, déclare la même adresse à Grenoble. Or les recensements n’ont lieu qu’à Paris. Marie et Jacques ont-ils menti en indiquant une adresse à Grenoble ? Ou bien vivent-ils réellement à Grenoble mais seraient simplement de passage à Paris ? Marie dispose d’une seconde fiche à la suite d’un deuxième recensement en 1941. L’adresse à Grenoble est toujours mentionnée alors que Jacques désormais se déclare vivre boulevard Saint-Martin à Paris.

Les élèves devant les fiches de la préfecture lors de leur visite au Mémorial en mai 2023.

Marie est dénaturalisée le 13 juillet 1941 (Jacques dénaturalisé en décembre 1941). En février 1942, d’après une note du commissaire de police de Palaiseau, Marie est domiciliée au 50 rue de Monthléry à Orsay. Le commissaire précise que la carte d’identité de Marie (carte n° 40-ALOI278) est alors tamponnée d’une mention « Juive ».

Marie épouse Icchok dit Jacques Berkowicz (né le 1er août 1919 à Varsovie) à Montauban le 15 avril 1943 d’après l’extrait du livret de famille.

Les multiples adresses de Marie ainsi que le lieu de son mariage avec Jacques ont de quoi étonner. Alors que les contrôles d’identité visant les juifs se multiplient au fil de la guerre, comment Marie a-t-elle pu se déplacer si souvent, non seulement en région parisienne mais aussi dans plusieurs villes de France ? Pourquoi aurait-elle pris ce risque ?

Avant la déportation, sa dernière résidence connue est 59 bd de Monthléry à Orsay (d’après la fiche médicale élaborée par les autorités françaises à son retour). Mais sur le formulaire de demande d’attribution du titre de déportée, il est mentionné que son adresse au moment de l’arrestation est l’hôtel Clignancourt, 65 rue de Clignancourt. Enfin, sur le registre d’Auschwitz à l’arrivée, elle est domiciliée 5 rue de l’Asile Popincourt. Il est à noter que ces adresses sont identiques dans les documents concernant Jacques. Cela confirme qu’ils vivaient ensemble avant leur arrestation.

L’arrestation de Marie

Avec son mari Jacques, Marie est arrêtée le 19 juillet à la suite d’une demande de papiers d’identité Place Voltaire (d’après le formulaire de demande d’attribution du titre de déporté) ou le 20 juillet 1944 (d’après une note administrative peut-être du ministère des anciens combattants).

Elle est alors considérée comme « sans situation » puis internée à Drancy du 22 juillet au 30 juillet 1944 à Drancy sous le matricule n° 22550. Jacques est interné au même moment sous le matricule n°22549. A Drancy, elle n’est pas toutefois pas dans la même cellule que Jacques. Elle est au 2e étage, escalier 18, Jacques est dans le même escalier mais au 4e étage. Elle est enregistrée comme mariée sans enfant. Elle entre dans la catégorie B, celle des détenus immédiatement transférables à Auschwitz, comme son mari.

Dessin de Salomé Navaro (élève de TG6 du lycée Camille Claudel)

La déportation à Auschwitz

Elle est ensuite déportée le 31 juillet 1944 vers Auschwitz par le convoi 77, dernier convoi parti de France depuis la gare de Bobigny. Sa fiche médicale mentionne une arrivée le 3 août 1944. Le formulaire de demande d’attribution du titre de déporté nous renseigne sur la suite des événements : elle reste à Auschwitz jusqu’en octobre 1944, puis elle est déportée à Kratzau d’octobre 1944 à mai 1945 alors que Jacques reste à Auschwitz. Le camp de Kratzau (terme allemand, se dit Chrastava en français), camp au nord de la République tchèque actuelle, fait partie des Sudètes en 1938, annexées au Reich. Selon le témoignage de Régine Jacubert, ayant également travaillé à Kratzau, l’usine accueillait exclusivement des femmes. Les conditions de travail y étaient moins cruelles que dans les autres camps, et la majorité des détenues y ont survécu. Régine Jacubert indique également dans son témoignage qu’une plaque a été installée dans la bibliothèque de la ville, 50 ans plus tard, en mémoire aux femmes ayant travaillé dans l’usine. Le nom de Marie y figure peut-être.

Dessin de Salomé Navaro (élève de TG6 du lycée Camille Claudel)

Elle est libérée le 9 mai 1945. Un certificat de déportation lui est délivré le 9 mars 1945. Elle est en déportation jusqu’au 1er juin 1945 (dates prises en compte par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre). Puis Marie est rapatriée le 25 juin 1945 par le centre de Sarrebourg avec la carte n°1654060 selon le ministère des Anciens combattants.

D’après un examen médical réalisé en 1965, Marie a perdu 5 kilos et a eu une plaie suturée à la jambe, mais son état est jugé bon. Le document atteste d’une aménorrhée depuis août 1944. On sait que l’absence de règles peut être liée à une sous-alimentation. Aucune maladie infectieuse ou parasitaire n’est indiquée. Elle a été rapatriée depuis Auschwitz en train.

Après la guerre

En 1955, Marie est domiciliée 46 rue de la Folie Méricourt, dans le XIe arrondissement de Paris. Elle est alors sans profession. Elle formule alors sa demande d’attribution du titre de déportée et/ou interné politique. En Juillet 1956, elle vit 19 boulevard Saint Martin à Paris dans le IIIe arrondissement. Elle reçoit cette même année 12 000 francs du ministère des anciens combattants et victimes de guerre au titre de déporté ou interné politique (doc 16).

D’après l’Acte de décès, Marie est décédée à Dijon le 16 juillet 2009 à 22h15, 2 rue de Jules Violle (au centre gériatrique de Champmaillot d’après nos recherches sur Googlemap). Elle était alors domiciliée 20 rue de Lorraine à Dijon.

Le nom de Marie Berkowicz figure sur le mur à l’entrée du Memorial de la Shoah, sur le panneau indiquant l’année 1944, une ligne en dessous de celui de son mari.

Deux Marie Kupferberg ? Le mystère de Cywja Berkowicz

Cela n’est qu’au terme de nos recherches sur Marie que nous avons partiellement résolu le mystère autour des deux Marie Kupferberg. C’est grâce aux documents que nous a confiés notre amie enfant cachée Isabelle Zdroui que nous avons eu le fin mot.

La sœur de Jacques – Cywja Bercowicz – est née le 23 janvier 1921 à Varsovie (d’après le dossier de décès des victimes civiles émanant du ministère des Anciens combattants). D’après la fiche de fouille de Drancy provenant du Mémorial de la Shoah, Cywja était domiciliée 20 rue Saint François de Paul à Nice. Pourtant, un extrait des minutes des actes de décès établi par la préfecture de la Seine en 1961 établit que son dernier domicile avant son arrestation était 19 bd Saint Martin à Paris. D’après la biographie de Jacques, Cywja vivait avec son frère.

Cywja est arrêtée le 28 septembre 1943 (d’après une note des autorités françaises après guerre au sujet de l’attribution de son titre « mort pour la France »). Elle est internée à Drancy le 6 octobre 1943 sous le nom de Marie Kupferberg, née le 4 avril 1924. Elle est alors fouillée et dispose sur elle de la somme de 1415 francs d’après un reçu rédigé par les autorités du camp. Son matricule de camp d’internement est le 6006. Sur sa carte d’internement à Drancy, faite le 28 octobre 1943, il est bien indiqué son adresse 20 rue St François de Paul à Nice, ainsi que sa profession de modiste.

Cywja ment aux autorités françaises durant la guerre en indiquant le nom de sa belle-sœur – Marie Kupferberg – et la date de naissance de cette dernière. Jacques son frère et d’autres témoins certifient après la guerre en 1959, devant la justice française, que Cywja avait bien pris le nom de sa belle-sœur. Deux témoins oculaires – David Sztern et Félicie Banet née Goldberg – confirment également que Cywja a pris le nom de Marie. Pourquoi a-t-elle menti ? D’après les deux témoins, elle aurait changé d’identité « en raison de son origine israélite ».

Cywja est donc déportée sous le nom de sa belle-sœur, Marie Kupferberg, par le convoi 61 le 28 octobre 1943 (comme on peut le voir sur la liste du convoi 61 élaborée par Serge Klarsfeld où figurent le nom d’emprunt de Cywja c’est-à-dire Marie Kupferberg avec sa date de naissance, le 4 avril 24). Cywja est notée comme décédée le 28 octobre à Drancy (donc le jour de sa déportation) par les autorités françaises après la guerre.

Contributeur(s)

Biographie réalisée par les élèves de terminale de la spécialité HGGSP du lycée Camille Claudel de Palaiseau – année scolaire 2022-2023 et leur professeur : Nouara Mezine – Baptiste Bérard – Anna Cavanna – Valentine Bonhommeau – Maëlys Ollivier – Ilian Belkacem

Reproduction du texte et des images

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