Myriam dit Micheline KAHAN (1923-1944)
Photo ci-contre : Myriam Kahan
© Mémorial de la Shoah
Présentation du projet
Nous sommes élèves de 3ème au collège Jean Jacques Rousseau à Darnétal en Normandie près de Rouen. A la rentrée de septembre 2022, on nous a proposé de rejoindre un atelier « Faire l’histoire ». Nous sommes une dizaine à y participer. Cet atelier consiste à écrire la biographie d’une personne ayant été déportée dans le convoi 77 le 31 juillet 1944 au temps de la Shoah.
Durant ces ateliers, nous faisons des recherches grâce à des dossiers papiers ou des sites internet. Nos deux encadrantes sont la professeur documentaliste Mme Petit et notre professeur d’histoire géographie Mme Debétaz.
Pourquoi Myriam ?
Nous avons d’abord regardé si une personne était originaire de Normandie. Nous avions vu dans la liste Denise Holstein, une dame âgée de 95 ans aujourd’hui, mais sa biographie était déjà en ligne sur le site convoi 77.
De là, nous avons regardé dans la liste des personnes arrêtées en même temps qu’elle au centre de Louveciennes et découvert le nom d’une jeune femme de 21 ans, Myriam Kahan.
Notre travail a alors débuté par l’étude des documents d’archives fournis par convoi 77. Nous avons pris contact avec différents services (mairie, site du mémorial de la Shoah….), notamment le service historique de la Défense pour obtenir des documents. Certaines de nos démarches n’ont pas abouti. Aidés alors par les membres de l’association convoi 77, nous avons élargi notre champ de recherche et avons eu des contacts fructueux avec plusieurs personnes qui nous ont permis d’enrichir notre travail (de recherche) :
- Inès Goutenmacher, nous avons découvert sur internet le travail de maturité d’Inès Goutenmacher sur sa famille. C’est une descendante de Myriam. Elle est l’arrière arrière petite fille de Mina, sœur de Myriam. Son devoir de maturité a été réalisé à partir de documents d’archives familiales entre autres, et surtout à partir de témoignages oraux des membres de sa famille. Par le biais des réseaux sociaux, nous avons pu entrer en contact avec elle.
- Denise Holstein, survivante du convoi 77, qui habite à Antibes. Grâce au contact de M. Richard Niderman, nous avons pu la joindre et discuter avec elle de Myriam dont elle se souvient.
- Françoise Botoit, professeur d’histoire et géographie, membre du cercle d’études de la Déportation et de la Shoah,qui a beaucoup travaillé avec Denise Holstein et écrit le livre De Rouen à Auschwitz, publié aux éditions Ovadia en 2015 ainsi qu’un document sur la maison d’enfants de Louveciennes Centre UGIF 56 1943 -1944.
Avant guerre, la famille Kahan
Le nom Kahan est une variante du nom Cohen, qui signifie « dévoué » en Hébreu. C’est un patronyme duquel descendent d’autres noms.
Selon les pays, on peut le trouver avec un C ou K.
Myriam, appelée parfois Micheline est née le 8 octobre 1923, 47 au rue Condorcet à Paris dans le 9e arrondissement.
47 rue Condorcet Paris, 9e arrond.
Sa famille fait partie, selon Inès G, de la haute bourgeoisie.
Son père est Leib dit Léon Kahan, né en Russie à Liedov en août 1886.
Il est boucher au 44 rue Durantin à Paris, 9e arrondissement selon le Mémorial de la Shoah.
D’après Inès, Leib est un homme très érudit qui parle plusieurs langues : russe, allemand, grec, latin, hébreu ancien et moderne et yiddish.
Il quitte Kharkov en 1905 pour Paris où son prénom devient Léon. Il tient une boucherie Kasher et est propriétaire de plusieurs biens.
Il se marie avec Berthe Gorsd en 1910, née à Paris le 9 février 1887 dans le 4e arrondissement. Elle est sans profession. Léon n’étant pas encore français, Berthe perd la nationalité française en se mariant avec lui.
Mariage de Léon Kahan et de Berthe, née Gorsd 1910 ©Ines Goutenmacher
Ils ont cinq enfants tous nés à Paris : Noémie née le 30 mai 1912 ; Roger né le 3 juillet 1914 ; Mina née le 4 février 1917 ; Myriam née le 8 octobre 1923 ; Olga née le 24 octobre 1925.
Photo 1 : De gauche à droite, Mina, Noémie et Roger Kahan 1920 ©Ines Goutenmache
Photo 2 : Micheline et Olga Kahan ©Ines Goutenmacher
Pendant la seconde Guerre Mondiale, ils habitent au 52 rue de la Tour d’Auvergne à Paris 9e arrondissement (recensement de 1936) sauf Noémie qui a épousé Georges Pliskine. Tous deux demeurent à une autre adresse.
D’après Inès, Myriam a vécu une enfance plutôt heureuse. Elle fait référence dans son mémoire à des vacances au Crotoy en juillet 1939 juste avant l’ordre de mobilisation générale du 2 septembre.
Myriam, à cette époque, étudie à Paris. Selon Inès, elle se destinait à des études de journalisme et devait probablement préparer un bac littéraire au lycée Edgar Quinet, rue Duperré, Paris 9e, dans le même lycée que sa sœur Mina.
Pendant la guerre
Durant l’été 1940, alors que la France est occupée par les Allemands, la famille Kahan part en zone libre à Douzillac et y séjourne du 23 juin au 02 août 1940, chez Monsieur de Conchard. Cette commune de Dordogne a accueilli plus de 1000 réfugiés pendant la guerre de 1939 à 1945.
La famille Kahan rentre ensuite à Paris. Leib son père est arrêté seul en 1943 et interné au camp de Beaune-La-Rolande (Loiret). Il est transféré au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis) le 09 mars 1943. Il est déporté par le convoi 59 parti le 2 septembre 1943 à destination d’Auschwitz. Il n’est jamais revenu.
Portrait étudiant de Leib ©Ines Goutenmacher
Myriam se trouve seule à Paris avec sa mère et sa plus jeune sœur Olga. Selon Inès, Myriam et Olga intègrent alors l’UGIF = l’Union générale des Israélites de France fondée par une loi du gouvernement de Vichy du 21 novembre 1941. On peut penser qu’elles espèrent ainsi venir en aide à leur père.
Centre UGIF de Louveciennes
Myriam est employée au centre UGIF de Louveciennes en Seine et Oise, comme monitrice selon Denise Holstein.
« Le séjour des Voisins » est un ancien orphelinat agricole aménagé en maison d’enfants par l’UGIF qui y accueille des enfants juifs « isolés » (dont les parents ont été arrêtés) et « bloqués ». Ils ne peuvent pas être confiés à des familles d’accueil et sont déjà connus de la Gestapo de Paris ou de ses relais. Depuis février 1943, ils restent otages des autorités allemandes et françaises, sont régulièrement contrôlés et déportables. Par la suite, le lieu est réquisitionné par les Allemands et les enfants et le personnel déménagent dans une grande villa, 18 rue de la Paix, à Louveciennes.
Maison de Louveciennes © Denise Holstein
Les conditions de vie au centre se dégradent. Denise Holstein, présente à Louveciennes, décrit le directeur Monsieur Louis comme un « homme dur, partisan de l’éducation par les claques » et sa fille Michèle âgée de six ans « comme une petite peste ». La maison n’est pas aménagée pour héberger autant de personnes. Les enfants manquent de vêtements et sortent souvent de table en ayant faim alors qu’à la table du directeur et de sa famille, les plats sont copieux. Denise Holstein apprendra bien plus tard que la cuisinière pratiquait le marché noir avec les denrées du centre.
Outre les privations quotidiennes, les enfants connaissent aussi la peur lors des contrôles réguliers effectués par les Allemands toutes les semaines.
Myriam serait en charge d’un petit groupe d’enfants dont on ignore l’âge et les noms. Il semblerait qu’elle pouvait rentrer dans sa famille le week end à Paris.
Denise garde le souvenir d’une jeune femme très sympathique avec laquelle elle s’entendait bien, très douce avec les enfants mais qui ne parlait pas du tout de sa famille avec elle.
Puéricultrices et enfants à Louveciennes. Myriam sur le
rang du haut, deuxième en partant de la droite
©Ines Goutenmacher
Arrestation
Le 22 juillet 1944, à six heures du matin, Aloïs Bruner, responsable de la déportation des juifs de France et maître de Drancy, vient arrêter avant la fin du couvre-feu le directeur et sa famille, les monitrices et quarante enfants du centre. Il est accompagné d’internés juifs « les pisteurs ». Les monitrices réveillent rapidement les enfants et emportent le plus de choses possibles dans des couvertures. Ils sont emmenés et enregistrés à Drancy. Le directeur et sa famille sont libérés peu après.
A Drancy, Denise n’était pas dans le même bloc que Myriam. Elle suppose que Myriam était avec un groupe d’enfants dans un autre bloc.
Sur les quarante enfants arrêtés, 34 sont déportés par le convoi 77 à Auschwitz- Birkenau le 31 juillet 1944 ainsi que les monitrices.
Nous avons peu d’informations sur Myriam à partir de l’arrestation. On sait cependant qu’elle n’était pas dans le même wagon de déportation que Denise Holstein. On sait également que sa sœur Olga, arrêtée au centre UGIF de la Varenne le même jour était dans le même convoi.
Selon l’acte de décès de Myriam produit par la mairie de Paris, Myriam Micheline Kahan est décédée le 5 août 1944 à Auschwitz sans doute assassinée dès son arrivée.
Le témoignage de Léa Varech qui a survécu à Auschwitz, cité dans le mémoire d’Inès va dans ce sens. Elle dit « avoir vu les deux sœurs entrer dans la chambre à gaz à leur arrivée. Elles tenaient les mains des enfants. Les nazis leur avaient demandé de les lâcher mais elles refusaient ».
Plaque apposée à Louveciennes
©Benedicte Zukerman
Après guerre
Roger, Mina et Noémie, le frère et les sœurs de Myriam se retrouvent à Paris en avril 1945.
Roger s’occupe beaucoup de sa mère Berthe très affaiblie par ces drames.
Ils entament des démarches pour retrouver les traces des disparus et sollicitent le ministère des anciens combattants et victimes de guerre pour obtenir la régularisation de l’état civil des « non rentrés » le 28 février 1949.
Mur des noms Mémorial de la Shoah Paris
Arbre généalogique réalisé par les élèves du collège Rousseau
Nous remercions les personnes qui nous ont transmis des photos et nous autorisent à les diffuser.
Sources :
- Service Historique de la Défense – Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains
- Archives départementales de PARIS
- Devoir de maturité d’Inès Goutenmacher
- « Je ne vous oublierais jamais, mes enfants d’Auschwitz … » Denise Holstein, Edition n°1, 2005
- De Rouen à Auschwitz. Françoise Botoit. Ovadia, 2015.
- Entretien téléphonique avec Denise Holstein
- Visite du Mémorial de la Shoah
Liens :
This biography of Myriam KAHAN has been translated into English.