Myriam KLEIMANN
Nous, Kelly, Noémie, Aya, Ariana et Angélina, élèves de 3eme 2 du Collège les Blés d’Or, situé à Bailly- Romainvilliers en Seine-et-Marne, avons engagé notre classe avec nos professeurs de français et d’histoire, dans le projet du Convoi 77. Nous souhaitons participer à un devoir de mémoire en essayant de rendre hommage à plusieurs personnes de ce convoi.
Nous avons choisi d’écrire autobiographie fictive mêlée à des parties explicatives pour rendre vie aux deux déportées de la famille Kleimann que nous avons choisies en classe car Myriam était aussi jeune que nous lors de la seconde guerre mondiale.
Je m’appelle Myriam Kleimann et je suis née le 21 novembre 1928 à Paris 10e. Je suis juive, de nationalité française et j’habite au 112 rue Réaumur à Paris dans le deuxième arrondissement. Mon père est Moise Kleimann né le 17 octobre 1895 à Kamenets, en Ukraine, il était un réfugié russe et avait pour profession confectionneur pour dames, il possédait sa propre boutique. Ma mère, Marcelle Podorowsky est née le 2 novembre 1905 à Paris dans le 11ème arrondissement, et j’ai un frère, Bernard Kleimann né le 10 mars 1925.
J’avais 11 ans lorsque la France est entrée en guerre contre l’Allemagne ; 12 ans lorsque la guerre fut perdue et que le maréchal Pétain devint le chef de la France. Le régime de Vichy a été instauré. Il était antisémite et a progressivement exclu les Juifs de la société française dès octobre 1940.
Ce n’était pas facile pour moi et ma famille, étant donné que j’étais juive, mais mes parents avec qui j’avais une bonne relation faisaient tout pour me rendre heureuse. Je passais beaucoup de temps avec mon frère, nous avions seulement 3 ans et demi de différence alors on s’entendait plutôt bien, on jouait à des jeux ensemble, rigolait ensemble, et parfois nos parents passaient du temps avec nous. J’ai donc grandi avec ma famille et j’ai eu une enfance plutôt heureuse à leur côté, malgré les restrictions du régime de Vichy.
Durant l’exode, nous sommes allés dans la Creuse et quelques semaines plus tard, nous sommes remontés sur Paris pour que mes parents reprennent leurs activités.
Cependant mon père fut arrêté en 1941 dès les premières rafles alors qu’il se sentait en sécurité car il avait été soldat lors de la première guerre mondiale.
On suppose que marié à une Française, sa situation et sa déportation a été compliquée, en effet, il n’est déporté que le 29 juillet 1942 par le convoi 12. On sait qu’il a fait un séjour à l’hôpital avant son départ; il meurt le 30 novembre de la même année à Auschwitz à 47 ans.
Ma mère décida de rester quelques temps à Paris, mais le magasin a dû être vendu à un administrateur aryen, et le 16 juillet 1942 ayant eu vent de possibles arrestations massives, elle fait le choix de fuir dans la zone libre afin d’échapper aux lois raciales. Nous nous cachons dans une locomotive pour rejoindre Bernard qui avait déjà fui à Marseille où nous avions de la famille. Nous restâmes un peu à Marseille jusqu’à l’arrivée des Allemands qui envahissent la zone sud en novembre 1942. Nous partîmes nous réfugier à Lyon puis à Orgelet, dans le Jura, chez un commerçant de la ville appelé Philipe que nous connaissions depuis 1934, des amis chez qui nous étions déjà allés en vacances et qui était résistant.
Peu après notre arrivée, Bernard entra en contact avec Pierre Verney, chef du secteur M.V.R, nous devenons agents de liaisons et d’assistance aux réfractaires que nous avons cachés et nourris ; nous avons également camouflé chez nous des armes provenant de parachutages et nous postons régulièrement des courriers.
Suite à des enquêtes et à des perquisitions effectuées dans le pays, notre famille fait l’objet d’un arrêté le 24 août 1943 par le Préfet du Jura pour aller en résidence surveillée. Nous sommes obligées de quitter Orgelet et de résider sur le territoire de la commune des Brouchoux, dans le Haut-Jura. Après deux longs mois dans le Haut-Jura, Bernard se réfugia à Lyon, pour se mettre à la disposition de son supérieur de la Résistance. Nous vivons sous une fausse identité au nom de Kleber.
Ma mère et moi, après nous être cachées dans les fermes du Jura, rejoignîmes mon frère en janvier 1944 et nous installâmes avec lui chez une dame, au 16 cours de la République, à Villeurbanne, à Rhône. J’étais contente de pouvoir enfin retrouver mon frère. Nous avions une chambre et une cuisine. Dans la chambre et la cuisine, Bernard faisait des fausses cartes d’identité; moi et ma mère l’aidions dans sa mission d’agent de liaison en portant des plis qu’il ne pouvait pas faire parvenir lui-même.
Malheureusement, Bernard a été arrêté par la Gestapo le 14 mars 1944 et fut abattu le 21 avril 1944 au cours d’un interrogatoire. Ma mère et moi quittâmes notre domicile le jour où Bernard fut arrêté car nous étions certaines de nous faire arrêter à notre tour. Nous passâmes la nuit chez Mme Unger, une amie, puis elle nous envoya dès le lendemain chez sa sœur, Mme Bernier, qui logeait chez Mlle Camus et occupait une partie de son pavillon, au 105 rue Pierre Prunier à Caluire- et- Cuire. Nous restions camouflées chez « ma tante » (Mme Bernier) jusqu’au 27 juin 1944, le jour de notre arrestation. Nous recevons un message d’un ami de Bernard qui demande un colis et quand nous lui déposons dans les locaux de la Croix rouge, place de la Charité à Lyon, nous sommes arrêtées par Klaus Barbie et deux officiers allemands. Ils nous recherchaient pour notre activité de résistance et nous ont reconnu grâce à des photos qu’ils avaient de nous.
Je me suis fait arrêter le 27 juin 1944, à l’âge de 15 ans pour motif raciale et résistance. Nous avons été incarcérées à la prison de Montluc (entre Lyon et Montpellier) pendant 4 jours. Après un interrogatoire au cours duquel ma mère apprit que Bernard était décédé. Nous étions dévastées, il est mort tellement jeune, seulement à l’âge de 19 ans ! J’avais tellement peur ! Puis nous sommes transférées à Drancy le 1er juillet suivant. Le 31 juillet 1944, nous sommes déportées au camp de concentration d’Auschwitz. Le trajet fut horrible. Nous avons dû nous lever à 4h du matin, il y avait un énorme silence, les gens attendaient de monter dans les bus pour atteindre la gare de Bobigny. Nous étions embarqués à 60 par wagons à bestiaux et les gens se battaient pour avoir les meilleures places près de l’unique lucarne. Personne ne savait où nous allions, ou combien de temps le trajet allait durer. J’avais la peur au ventre. Les odeurs étaient insupportables et tout le monde avait soif. Après trois jours et deux nuits, nous sommes arrivés au petit matin sous les cris et les hurlements, ainsi que sous les aboiements des chiens. Je ne réalisais pas vraiment ce que je vivais.
Quand les portes s’ouvrirent , l’odeur était irrespirable. Les déportés fatigués se dirigèrent vers des camions sans savoir que ceux-ci allaient directement aux chambres à gaz. Avec ma mère nous entrons dans le camp, sélectionnées pour travailler. Nous sommes douchées, rasées puis tatouées d’un numéro sur le bras. Avec ma mère on ne se reconnaissait plus une fois nos cheveux rasés. On devait se déshabiller devant plein d’hommes de SS, ce n’était pas facile. La violence était terrible à notre égard : le fait de se faire tabasser lorsqu’on ne voulait pas se déshabiller m’a fait ressentir de la honte et de l’humiliation. Nous étions rasées et voir nos cheveux tomber était juste atroce. Les douches étaient froides.
La baraque dans laquelle je dormais était une succession de niches en bois sur trois étages et 1m50 de haut. Nous étions 6 par étage et on devait dormir tête-bêche. Chaque matin, il fallait faire l’appel, c’était long à en mourir. Nous avions souvent des corvées à faire comme ramasser l’herbe coupée et la ramener au camp. La nourriture était comptée, nous mangions si peu. L’appel du soir était le pire de la journée car nous devions partir travailler pendant 12h et on avait 1h de marche le matin et le soir. Nous étions vraiment fatiguées. Nous avons plusieurs fois connu des sélections avec le professeur Mengele et ma mère se plaçait derrière moi pour être sur de passer avec moi.
Nous, les prisonnières juives, recevions des guenilles comme vêtements et avions une grande croix dans le dos. Les latrines étaient dans une baraque, les femmes dos à dos, étaient assises sur des planches en bois, en train de faire leurs besoins. L’odeur était terrible, je n’arrivais même pas à la supporter mais nous étions obligées d’y aller et si nous n’étions pas rapides on se faisait pousser.
Il n’y avait pas de savons mais il y avait de la poudre de chlore pour se laver. On avait des robes rayées et un pain par personne, mais ce pain devait tenir 4 jours du lundi au vendredi. Nous avions très faim et parfois les ouvriers dissimulaient d’infimes morceaux de pain sous les machines, ces morceaux de pain nous aidaient à ne pas mourir de faim.
En octobre a eu lieu une dernière sélection, nous sommes choisies pour aller travailler dans une usine en Tchécoslovaquie dans le camp de Kratzau : nous avons de nouveau voyagé en wagons à bestiaux. Il y avait beaucoup de neige, peu de nourriture, des soupes sans cuillères, nous ne pouvions pas nous guérir et recevions des coups si nous n’avancions pas. Enfin, il n’y avait plus l’odeur des fours crématoires, nous pouvions respirer. Nous étions également forcées à travailler. Nous marchions tous les jours 4 km pour nous rendre à l’usine près du village et sur le chemin, les enfants tchèques nous insultaient nous lançant des pierres. Nous passions devant une charcuterie au village et nous rêvions de saucissons. Avec une autre jeune fille, j’étais considérée comme trop jeune pour travailler dans cette usine et j’étais obligée de râcler la neige et la boue dehors. Ma mère parvint finalement à nous faire entrer dans l’usine et travailler : nous étions chargées de peindre en jaune le tube des grenades. Nous travaillions de jour comme de nuit.
Nous nous sommes libérées le 9 mai 1945 : les gardiennes avaient fui car l’armée rouge avait libéré la région. Nous quittons le camp avec ma mère et d’autres femmes et nous réclamons de la nourriture dans les fermes avoisinantes ou nous prenons de la nourriture dans des maisons abandonnées par des Tchèques pro allemands qui avaient fui. Les Russes ne se sont pas occupés de nous. Nous sommes allées voir le maire du village et nous avons pris le train jusqu’à Prague mais nous ne pouvons aller plus loin car les voies de chemin de fer sont impraticables. Nous décidons alors de marcher vers la zone américaine où nous sommes prises en charge et rapatriées 13 jours plus tard, le 22 mai 1945 jusqu’à Paris. Le voyage a eu lieu en wagons à bestiaux car nous pouvions y être allongées : dans un train normal, assises, nos pieds gonflaient. Au retour, nous sommes passées par l’hôtel Lutecia où nous avons retrouvé une tante et un oncle, nous pesions environ 35 kg. Mais notre famille à Marseille a été déportée et n’est pas revenue.
Nous avons pu récupérer notre appartement et notre commerce avec quelques difficultés. Je n’ai pas eu envie de reprendre les études car je n’étais pas studieuse et je n’avais pas envie de me retrouver avec des plus jeunes qui n’avaient pas vécu ce que j’ai vécu. J’ai travaillé avec ma mère comme coupeuse puis j’ai eu une boutique.
J’ai survécu à cette déportation qui m’a fortement marquée, je me sens parfois coupable car énormément de personnes ont perdu leur vie là-bas dont mon père et ma famille. Quand j’y repense, je me demande comment des personnes peuvent faire des choses pareilles.
En 1949, nous avons eu besoin d’attestations pour prouver notre engagement dans la résistance : Simone et Lison Bloch témoignent de nos faits de résistance tout comme en 1950, Georgette Cuperman et Mauricette Olschanezky Marcelle Qtark, car nous tenons à être reconnues comme déportées résistantes pas uniquement déportées juives. Une enquête a eu lieu pour prouver nos dires.
Le 5 octobre 1993, l’avis à ma demande de titre de « Déporté-Résistant » est favorable, j’avais déposé ma demande le 23 janvier 1952. A cette époque, j’étais Madame Baumerder née Kleimann Myriam et je résidais au 76 avenue de Suffren, 75015, à Paris. Malheureusement, ma demande a finalement été refusée. J’aurais aimé qu’elle soit acceptée.
Le 26 juin 1950, je fus adoptée par Nathan Piper, le nouveau mari de ma mère, mon père n’étant jamais rentré de déportation.
Je me suis mariée en 1954 à Armand Baumerder et j’ai eu deux enfants un fils, Jean Claude et une fille, Cathy puis des petits-enfants. Je leur ai raconté mon histoire ainsi que ma mère, par bribes. J’ai écrit un journal pour mes enfants et petits-enfants. Le fait d’être restée avec ma mère nous a sauvé mutuellement sur ces 11 mois d’enfer, nous étions au bout du rouleau, un mois de plus aurait été insurmontable. Je n’ai jamais témoigné mais j’espère que cela ne recommencera plus jamais. (extrait de son témoignage vidéo de 2005)
This biography of Myriam KLEIMANN has been translated into English.