Zalo GOURENZEIG
Ci-contre : Acte de naissance de Zalo. Source : Archives de Paris
Zalo Gourenzeig ou Gourencajg est né le 12 avril 1921 à Paris. Il est le fils aîné de Rosa et Noussen, immigrés polonais. Le prénom Zalo n’est pas celui choisi par la famille. En fait Noussen et Rosa souhaitaient appeler leur fils Zale mais l’employé municipal, du fait de l’accent de Noussen, a mal orthographié le prénom. Très vite, d’après Paulette, la jeune sœur de Zalo, ce prénom a fait l’objet de moqueries : Zalo, salaud. C’est ce qui explique qu’ensuite Noussen et Rosa ont appelé leur fils André. Comme l’atteste le recensement de 1931, la famille habite 397 rue des Pyrénées, dans le XXème arrondissement de Paris. C’est un quartier cosmopolite. Zalo fréquente l’école située 104 rue de Belleville. D’après le registre d’inscription de cet établissement le petit Zalo était un élève « docile et appliqué », mais dont les progrès étaient « retardés par son origine étrangère ». D’après son petit frère Joseph, Zalo avait par la suite des carnets scolaires élogieux.
Extrait du recensement de 1931. Source : Archives de Paris
Extrait du registre d’inscription de l’école rue de Belleville, Paris. Source : Archives de Paris, cote 2846W 7
Zalo a subi l’influence d’Abraham, un cousin germain élevé par ses parents, qui était trotskiste. Il est donc devenu communiste. Ses préoccupations et son engagement politique le conduisent à s’intéresser de près aux idées de ses ennemis politiques. Il lit par exemple Mein Kampf. À la suite de l’invasion de la Pologne, il se dispute avec son père qu’il n’arrive pas à convaincre des dangers et de l’utilité d’un départ pour les États-Unis. Après cet incident il cesse de parler, son père fait venir un psychiatre qui fait placer Zalo en maison de repos pour l’examiner. Noussen fait sortir son fils de cet institut, se rendant compte que ce n’était pas sa place.
Au printemps 1940, son père l’envoie avec le reste de la famille se mettre à l’abri dans un petit village proche de Sens, chez une vieille Anglaise. Durant ce séjour, Zalo dévore les livres de la bibliothèque de leur hôte. Tous regagnent Paris quelques jours plus tard avant l’entrée des Allemands dans la capitale.
En 1941, Joseph, comme tous les membres de sa famille, perd la nationalité française en vertu du décret-loi du 22 juillet 1940. D’après un article du journal Le Monde : « La loi de 1940 […] portait officiellement sur « la révision des naturalisations » mais son article premier évoquait « la révision de toutes les acquisitions de nationalité française ». C’est très différent, la naturalisation et l’acquisition de nationalité n’ont rien à voir. Numériquement d’abord, les acquisitions de nationalité sont deux fois plus nombreuses que les naturalisations. Juridiquement ensuite, les enfants de parents naturalisés français sont Français, alors que les personnes naturalisées sont nées étrangères. »
Après la perte de la nationalité française, le père de Zalo décide de chercher un nouvel endroit pour installer sa famille en zone libre. Après avoir trouvé un logement à Lyon, il envoie un passeur à Paris chargé de conduire la famille jusqu’à lui. Les sœurs de Zalo se rendent les premières à la Gare de Lyon. Zalo, accompagné de son frère et de sa mère, les rejoint, mais la famille ne se retrouve pas. La mère descend du train à Dijon pour retrouver ses filles à Paris. Zalo et son frère Joseph poursuivent le voyage avec le passeur.
Zalo et son frère se retrouvent tous les deux seuls avec le passeur dans le train. Ils descendent du train un peu avant Chalon-sur-Saône pour tenter de franchir la ligne de démarcation qui est la limite entre la zone occupée par l’armée allemande et la zone libre non occupée. La ligne de démarcation traverse treize départements sur près de 1200 kilomètres. Il n’est possible de franchir cette ligne légalement qu’en obtenant, très difficilement, un Ausweis (carte d’identité) ou un Passierschein (laisser-passer) auprès des autorités d’occupation après maintes formalités.
Zalo et sa famille décident de passer clandestinement en faisant appel à un passeur, mais ils sont arrêtés par les Allemands et enfermés à la prison de Chalon-sur-Saône où ils sont mis dans deux cellules. Zalo a la chance d’être avec Joseph. Ils subissent chacun leur tour un interrogatoire. Ils ont peu à manger, ils ne peuvent sortir que 30 minutes le premier jour. Ils n’ont qu’une tinette pour une seule cellule. Il fait très froid et ils n’ont pas de couverture. Ils n’ont que 2 heures de quartier libre par jour. Joseph réussit à trouver du pain pour Zalo. Ce dernier change par la suite de cellule et n’est donc plus avec son frère.
Puis ils sont transférés à la prison d’Autun où ils subissent également un interrogatoire. À Autun, l’ambiance y est bien meilleure qu’à Chalon : les portes des cellules restent tout le temps ouvertes la journée, les prisonniers peuvent jouer aux cartes dans le réfectoire s’ils le veulent. Dans cette prison, Zalo semble perdu dans ses pensées. Au bout d’un moment, les prisonniers juifs sont conduits à pied jusqu’à la préfecture la plus proche. Ils subissent un nouvel interrogatoire et Joseph et Zalo rentrent chez eux. Au total ils y restent 8 semaines.
Zalo et son frère retournent à Paris pour retrouver leur mère et leurs sœurs. Le premier soir, la mère, craignant l’arrivée de la police, cache Joseph et Zalo dans la chambre de bonne de Zalo. Le lendemain, à 5 heures du matin, la police questionne la mère pour savoir où se trouvent ses fils. La police abandonne les recherches pour le moment. Mais des documents nous prouvent que la police est retournée chez les Gourenzeig, à la recherche de Zalo et de son frère.
Courrier interne de la Direction des étrangers et des affaires juives. Source : Archives de Paris, cote 77W213-130216
Pendant cette journée, la mère emmène Joseph et Zalo chez leur tante au boulevard Richard-Lenoir. Cette tante leur trouve un passeur pour passer la ligne de démarcation. Le passeur leur fait prendre le train, les fait attendre dans un bar puis ils entament une longue marche dans la neige. Lorsque le jour se lève, le passeur leur annonce qu’ils sont en zone libre. Ils sont ensuite accueillis par une paysanne, nourris, puis des gendarmes leur font passer un interrogatoire et les mettent dans un train pour Lyon. Ils y arrivent enfin et peuvent rejoindre le père et s’installer 11 place Antonin Gourju, au centre de Lyon, au bord de la Saône, mais vers la place Bellecour où siège la Gestapo.
Comme il n’est pas déclaré Juif, Zalo est envoyé aux chantiers de jeunesse d’où il s’est évadé. Il doit donc se cacher et se fait faire un faux certificat médical pour ne pas y retourner. Un chantier de jeunesse est une institution ambiguë pour inculquer les valeurs du régime de Vichy. Les chantiers de jeunesse sont créés à partir du 30 juillet 1940. Seulement les jeunes hommes de la zone libre et de l’Afrique du Nord française, à partir de 20 ans, y sont envoyés pour un stage de 6 mois. Ils y vivent comme des scouts, dans des camps, mais ils ne sont pas volontaires. Ils y font des travaux d’intérêt général forestier dans une ambiance militaire.
Zalo s’intéresse de très près à la politique ; il écoute régulièrement Radio Londres. Il commente auprès de sa famille la déroute de l’armée allemande sur le front russe. Le 6 juin 1944, il annonce le débarquement en Normandie, provoquant l’euphorie générale. Cette fois
c’est sûr, la fin de la guerre est proche. Malheureusement, le 18 juillet 1944, suite à une lettre de dénonciation, les parents de Zalo, ainsi que son frère, se font arrêter, alors que moins de 2 mois plus tard, le 3 septembre 1944 la ville de Lyon est libérée. Sa sœur, Marie, a réussi à s’enfuir et lui s’est caché dans l’armoire de sa chambre. Les hommes de la Gestapo sont ensuite revenus voler dans l’appartement et c’est là qu’ils l’ont trouvé30. Il a été incarcéré à Montluc où il a rejoint son père et son frère. Durant son séjour, il s’est fait frapper à de nombreuses reprises par les agents de la Gestapo.
Montluc est une prison située 4 rue Jeanne Hachette dans le 3ème arrondissement de Lyon. C’est une prison militaire construite en 1921 sur les glacis du fort Montluc. Elle est particulièrement connue pour son rôle de lieu de détention pendant la seconde guerre mondiale. Zalo est enfermé dans « La baraque aux Juifs » de cette prison avec son père et son frère. « La baraque aux Juifs » est un bâtiment de toile et de planches de 30 mètres de long par 6 mètres de large où sont entassés les Juifs dans de très mauvaises conditions.
La baraque aux Juifs dans la cour de promenade principale
Source : Archives départementales du. Rhône
Cote 4544 W 17
L’emplacement de la baraque aux Juifs aujourd’hui. Source : Photo Christèle Vial
Plan de la prison Montluc
Source :http://museedelaresistanceenligne.org/media496-Plan-de-la-prison-de-Montluc-Lyon#fiche-tab
Mise à part Paulette, la famille Gourenzeig est déportée à Drancy, un camp de transit contrôlé par les services des affaires juives de la Gestapo. Il est situé à côté de Paris et créé en août 1941. Fermé en août 1944, près de 40 000 Juifs sont passés par ce camp puis ont été déportés à Auschwitz. D’après l’État civil renseigné le 17 juillet 1963, Zalo est mort à Drancy le 31 juillet 1944, mais d’après la liste des déportés de Drancy, Zalo est dans le train avec sa famille pour être déporté à Auschwitz. Son frère raconte même que sa mère s’inquiète pour l’état de santé de son fils aîné. Dans les wagons à bestiaux qui les emmènent à Auschwitz, les déportés s’allongent chacun leur tour par manque de place et ils n’ont pas le droit de manger ni de boire. Beaucoup sont morts pendant le trajet qui a duré 3 jours et 2 nuits. De plus, l’absence d’hygiène qu’on leur impose crée différentes maladies mortelles. Durant le trajet, la tinette (sorte de seau où les déportés font tous leurs besoins) s’est renversée créant un inconfort de plus. On suppose que Zalo a vécu un enfer durant ce trajet.
Extrait de la liste du convoi au départ de Drancy en direction d’ Auschwitz. Source : Copy of 1.1.9.9 / 11191135
in conformity with ITS Digital Archive, Arolsen Archives
Alphabetical lists of Jews deported from transit camp Drancy (Original transport lists in possession of Bureau National de Recherches Francais)
En août 1944, la famille Gourenzeig arrive à Auschwitz. Un SS sélectionne les déportés en indiquant deux files. La mère a été conduite dans la file de gauche qui menait aux chambres à gaz. Zalo, malgré le fait qu’il boîte, est dirigé dans la file de droite avec Marie, Joseph et leur père. S’ils montraient une faiblesse ou de la lenteur, les soldats nazis frappaient les déportés pour qu’ils avancent plus vite.
Amenés à l’intérieur du camp d’Auschwitz, on prend les objets personnels des prisonniers, on les rase, on les lave, on les vaccine, on leur donne un pyjama rayé et on les tatoue : ce qui leur enlève ainsi toute humanité et identité.
Après cela, ils sont placés dans des blocs en quarantaine, Zalo au deuxième étage du bloc A tandis que Joseph et son père sont au premier étage de ce dernier (voir abécédaire lettre B). Dans les dortoirs, les prisonniers n’ont qu’une paillasse en guise de lit. Pour leur premier repas, ils ont un simple morceau de pain noir et, s’ils prennent trop de temps à se déplacer, ils sont frappés sans ménagement.
Par la suite, ils sont dirigés dans une carrière pour faire des travaux forcés qui consistent à casser des pierres toute la journée. Les déportés qui ont le malheur de s’arrêter se voient alors battus avec violence. Le seul moment de répit possible est la pause de midi durant laquelle une soupe chaude contenant des épluchures de légumes est distribuée. Zalo est trop faible et malade pour pouvoir se nourrir, c’est donc son père qui le fait manger.
Le repas du soir est composé d’un morceau de pain noir, d’un carré de margarine et d’un bout de saucisson.
Un soir, au bout de quelque temps, Zalo parle à son père du fait qu’il veut mettre fin à cette horreur en s’enlevant la vie. Zalo est désespéré, il n’arrive plus à tenir le coup. Son père essaye de le convaincre de ne pas faire cela, il l’exhorte d’être patient et lui dit qu’il sera là pour lui. À ce moment-là, Zalo est à bout, il ne veut plus vivre dans ces conditions et surtout il ne croit plus en rien, ni en un avenir meilleur ni en la vie.
Le lendemain matin, Zalo est retrouvé mort dans la neige en dessous d’une fenêtre, son sang a gelé. D’après Joseph, Zalo s’est défenestré. Cela dit, comme personne ne l’a aperçu avant sa mort, il se peut que quelqu’un l’ait poussé ce qui est peu probable compte-tenu des propos que Zalo a tenus la veille.
Montluc, Drancy, Auschwitz ont donc réussi à briser ce jeune homme de 23 ans et l’ont conduit à la mort.
Armand, Elisa, Fiona et Jules
This biography of Zalo GOURENZEIG has been translated into English.