La BD comme support éducatif : « Le dessin est un langage universel qui traverse les frontières »

Aucun sujet n’échappe aux bandes dessinées et encore moins celui de la Shoah. Depuis 1980 et la publication du révolutionnaire Maus, d’Art Spiegelman, ce thème est régulièrement présent dans les œuvres du 9e art. Un support particulièrement prisé par les professeurs d’histoire géographie dans le cadre de leur enseignement de la Seconde Guerre mondiale.

Stéphanie Trouillard, journaliste et autrice de la BD « Si je reviens un jour », qui raconte l’histoire de Louise Pikovsky, jeune lycéenne déportée et assassinée avec sa famille à Auschwitz en 1944, en a fait l’expérience. En 2017, elle se rend dans des établissements scolaires pour parler de son webdocumentaire sur Louise, qu’elle cherchait à l’époque à adapter en livre.

« Je me suis rendu compte que les professeurs d’histoire géographie utilisaient beaucoup la BD dans le cadre de leur enseignement de la Seconde Guerre mondiale, raconte-t-elle. Or, pour moi, l’idée était vraiment d’utiliser l’histoire de Louise Pikovsky pour enseigner ce pan de l’Histoire. »

Des années plus tard, elle en est convaincue : « La BD, c’est le format idéal parce que les jeunes, notamment les collégiens, en lisent beaucoup. Ils peuvent s’identifier et c’est peut être moins fastidieux que s’ils devaient lire un livre, disons, plus classique ». La journaliste travaille d’ailleurs à sa seconde bande dessinée, consacrée cette fois-ci à Lisette Moru, une résistante déportée et assassinée en 1943.

Mais cette amoureuse des livres n’oppose pas les formats. « Pour moi, la BD est une entrée dans l’enseignement de la Shoah. J’espère que ça peut amener les élèves à lire aussi des livres comme Le journal d’Anne Franck ou même des livres purement d’histoire. C’est complémentaire. »

Engouement

Un avis partagé par Claire Podetti, enseignante au collège Charles Péguy à Palaiseau, qui travaille avec l’association Convoi 77 et participe à la rédaction de biographies de déportés avec ses classes. « C’est un accès plus facile à la littérature pour ceux qui lisent difficilement (les élèves allophones notamment), mais aussi pour certains bons lecteurs qui aiment les romans graphiques et les mangas surtout. Et puis, le dessin est un langage universel qui traverse les frontières. »

Inspirée par ce format, la professeure essaie même de donner la possibilité à ses élèves d’illustrer la biographie qu’ils sont en train de rédiger, à la manière d’un roman graphique, dans un but pédagogique. « Cela leur montre qu’on choisit d’illustrer certains passages de la vie de quelqu’un, mais pas d’autres. Je travaille avec une artiste qui vient spécialement dans ma classe dans ce but ».

Cet engouement n’a pas laissé indifférents les éditeurs. La maison d’édition Des ronds dans l’O compte une dizaine de bandes dessinées traitant de la Shoah à son catalogue. Récemment, elle a publié « Ginette Kolinka – récit d’une rescapée d’Auschwitz-Birkenau« *. En une semaine, l’ouvrage a été en rupture de stock.

« On a fait un très bon démarrage », se félicite Marie Moinard, éditrice. Cette dernière estime que, parmi les acheteurs, figurent « beaucoup de professeurs d’histoire ». « Certains nous disent qu’ils vont faire acheter le livre pour la classe ou le CDI de leur collège ou de leur lycée. » Avec la disparition des témoins de la Seconde Guerre mondiale, la BD possède l’avantage, comme les films, de représenter visuellement les personnages d’une histoire.

« Aujourd’hui, la BD est considérée à part égale avec le reste »

Marie Moinard, dont la maison d’édition travaille avec ce support depuis 20 ans, explique qu’un grand essor de la BD a jailli de la pandémie de Covid-19, dès 2020. « On était confinés et tout le monde s’est remis à lire », dit-elle. Dans les années qui ont précédé, un gros travail avait été fait par des magazines comme la Revue dessinée, qui propose des reportages et des enquêtes d’actualité en dessins, ou XXI « pour vulgariser des sujets de société et permettre de mieux comprendre le monde », indique-t-elle encore.

L’éditrice se réjouit, depuis, d’un changement d’attitude et d’une démocratisation de la BD comme outil pédagogique. « Avant, il y avait un mur invisible entre la BD et le reste de la littérature. On pouvait entendre des professeurs dire : ‘On va travailler avec de vrais livres’, mais c’est fini, on n’entend plus ce genre de phrases. Aujourd’hui, la BD est considérée à part égale avec le reste. »

Autre preuve, si besoin est, que le genre a obtenu toutes ses lettres de noblesse : le Mémorial de la Shoah présente jusqu’au 30 août 2023 l’exposition « Spirou, dans la tourmente de la Shoah », tirée de la série de BD d’Emile Bravo « Spirou, l’espoir malgré tout » dans laquelle le héros évolue dans une Belgique occupée par les nazis. « J’ai clairement écrit cette histoire pour transmettre, à travers un personnage aussi populaire, la réalité de la persécution des Juifs et l’horreur perpétrée durant ces années », a réagi Emile Bravo auprès du Mémorial. « Alors Spirou au Mémorial de la Shoah, c’est une approbation de mon récit et une consécration. »

*Ginette Kolinka, âgée de 98 ans, sera présente, le 4 mai, à la librairie-café Elizabeth & Jo, à Plougastel (Finistère), en compagnie de l’autrice Aurore d’Hondt.

 

Quelques recommandations (loin d’être exhaustives) de BD sur la Shoah :

-Maus, d’Art Spiegelman

-Là où vont nos pères, de Shaun Tan

-À la recherche de Jeanne, de Zazie Tavitian

-Ginette Kolinka, d’Aurore d’Hondt

-Spirou, l’espoir malgré tout, d’Emile Bravo

-Deuxième Génération, de Michel Kichka

-Si je reviens un jour, de Stéphanie Trouillard

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