Claudine Ach, proche de déportés du convoi 77 : « Je suis enfin soulagée de la culpabilité et de l’horreur »

Claudine Ach, Parisienne de 82 ans, est la cousine germaine de Nicole Cario, jeune victime déportée par le convoi 77 et assassinée à l’âge de 8 ans. Un jour, elle est contactée par une professeure qui enquête avec ses élèves sur Nicole, pour rédiger sa biographie dans le cadre du projet Convoi 77. Pour Claudine Ach, cette prise de contact est le début de sa guérison. Son histoire illustre les bienfaits apportés aux proches de victimes lorsque ces dernières sortent de l’ombre.

Quels souvenirs gardez-vous de votre cousine Nicole ?

J’ai peu de souvenirs. Nicole avait quatre ans de plus que moi. Pendant la guerre, mes parents et moi avons fui Paris et nous sommes réfugiés dans un village de Corrèze.

Ma tante Esther, la mère de Nicole, est restée à Paris. Elle ne se protégeait pas des Allemands. C’est la seule de la famille qui n’est pas partie. Ma mère a insisté pour qu’elle nous envoie Nicole. Nicole nous a donc rejoints en Corrèze quand je devais avoir 4 ans. Je ne sais pas combien de temps elle est restée avec nous, mais elle a eu le temps d’être inscrite à l’école dans ce village et d’y aller. Ma mère me racontait qu’on passait des heures elle et moi à parler près de la cheminée. ‘Vous parliez de tout, de la guerre, et ensuite vous jouiez à l’infirmière et vous chantiez le chant des partisans’, me disait ma mère.

J’ai un souvenir extrêmement précieux : je me revois sur la pointe des pieds regarder par une fenêtre qui donne sur la rue, Nicole regarde elle aussi, mais sans se mettre sur la pointe des pieds. Ce qu’on regarde, c’est un soldat ou quelqu’un d’une milice, en tout cas c’est quelqu’un qui nous fait peur. Mais je me souviens qu’avec Nicole, je n’ai pas peur. Avec elle, je continue à vivre ma vie d’enfant. On était les deux faces d’une même pièce, l’aînée et la plus jeune. Pendant les guerres, les enfants créent souvent des bandes ou des fratries pour supporter ce qu’il se passe.

Nicole a finalement été renvoyée à Paris chez sa mère car la famille de mon père trouvait que ma mère s’occupait trop d’elle et pas suffisamment de moi. Je l’ai vécu comme si j’étais responsable du retour de ma cousine à Paris (d’où elle fut déportée avec sa mère, ndlr).

Qu’est-ce que le travail effectué dans le cadre de Convoi 77 vous a procuré ?

J’ai été contactée par Danièle Artur, une professeure de lycée qui a travaillé sur les Cario. Quand j’ai reçu son mail, j’ai été bouleversée parce qu’il y avait le nom de Nicole, de ma tante et de mon oncle et que c’était la première fois que j’avais de leurs nouvelles. Tout d’un coup, grâce à Convoi 77, j’ai eu de leurs nouvelles.

J’ai pu beaucoup parler avec Danièle, raconter l’histoire de Nicole.

Photo de Nicole Cario. Crédit : DR

Je me rappelle de mon retour à Paris, à l’automne 1944. C’était un cauchemar. Je revois le métro, toute la famille debout, sinistre, et moi collée contre la vitre regardant le tunnel sombre. Je crois que, pendant de longues années, je ne suis pas sortie de ce tunnel. Et, au final, la lumière, c’est Danièle Artur qui me l’a rendue. Ce n’est plus pareil depuis qu’elle m’a contactée.

Qu’est-ce qui a changé ?

Grâce à Danièle Artur et à l’association, j’ai rencontré une parente de mon oncle Cario, Laurence Cohen, dont j’ignorais tout de la famille. Elle m’a invité chez elle, ca a été extraordinairement joyeux, on s’est tombé dans les bras l’une de l’autre alors qu’on était des parfaites étrangères. J’ai retrouvé la famille. Avant ça, la famille, ce n’était que des images de mort et d’horreur.

Petite, après avoir appris la déportation de Nicole et découvert les camps, je faisais des crises d’angoisse. J’étais dans un néant sans fond et sans mot. J’avais des crises de sanglots inextinguibles en pensant à Nicole. J’avais aussi des problèmes de déglutition, une angoisse de l’asphyxie et une angoisse de la douche (liées aux gazages dans les camps, ndlr).

Désormais, je suis enfin soulagée de la culpabilité et de l’horreur. J’ai retrouvé des photos joyeuses de Nicole que je ne connaissais pas. Elle est vivante dessus. Honorer la vie que les victimes avaient avant leur déportation, ça change tout. C’est comme si leur dignité humaine était restaurée, et la mienne aussi.

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