Liliane TIANO

1925-2010 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Liliane TIANO (1925-2010)

Liliane TIANO épouse LAJTENBENRG à Holon, Israël, 1993,
Fonds privé de Norbert Czarny.

Liliane TIANO est née le 15 janvier 1925, à l’hôpital Rothschild dans le XIIe arrondissement de Paris, au sein d’une famille juive étrangère (grecque et polonaise) devenue française.

Elle est la troisième d’une fratrie de six sœurs, qui, comme elle, portent toutes des prénoms français : Yvonne (née le 25 octobre 1921), Adèle (née le 30 mars 1923, Paris XIe), Olga Gisèle (née le 13 septembre 1926, Paris XIe), Jeanine (née le 12 novembre 1928) et Lucienne (née le 19 janvier 1934 Paris XIIe).

Certificat de domicile de Liliane Tiano signé par le commissaire de police TIANO-Liliane
© SHD de Caen DAVCC-21-P-682-543-20

Son père, Pinkas TIANO, né le 21 avril 1891 à Salonique, en Grèce (Empire ottoman) ­ de Avram TIANO et de Benouta CAPOUANO1 ­ est commerçant au moment de la naissance d’Yvonne en 1921, puis cordonnier, et en 1936, manutentionnaire.

Sa mère, Palomba TIANO née JACOB, le 14 février 1901, était aussi originaire de Salonique.

Les TIANO originaires de Salonique sont déjà nombreux à Paris. Sans doute Pinkas a-t-il de la famille parmi eux. Sa mère, en tout cas est à Paris.

Avant la naissance de leurs filles, Palomba et Pinkas ont emménagé à Paris, au 22, rue de Folie-Méricourt dans le XIe arrondissement, un petit trois-pièces dans un ensemble d’immeubles (103 ménages, en 1936), dont les habitants sont en majorité nés en France, à part quelques-uns venus de Pologne et d’Italie. En 1926, le recensement indique que Bénouta, née en 1857, la mère de Pinkas, habite avec eux. Sans doute hospitalisée, elle n’apparaît plus en 1931 ; elle est morte le 30 janvier 1934 et inhumée le 2 février au cimetière de Pantin, dans le carré juif.
En 1936, une autre famille TIANO, venant de Grèce, réside dans le même immeuble, sans doute sur le même palier, (Avram) Nathan (inscrit sur les listes électorales en 1934), Doudoun, Albert, Elvire et Maurice. À cette date, Yvonne, qui a 15 ans est apprentie. Liliane doit encore fréquenter l’école communale.

Pinkas a été naturalisé français sous le prénom de Pierre en 19292. Dès 1930, il s’inscrit sur les listes électorales de son quartier, Saint Ambroise. Selon le témoignage d’un neveu de Liliane, Norbert CZARNY, le père régnait à la manière d’un paterfamilias oriental sur ses six filles.
Imprégné par de fortes valeurs patriotiques, Pinkas/Pierre, a combattu aux côtés de la France lors de la Seconde Guerre mondiale. (source Norbert Czarny)

Liliane a grandi dans un quartier populaire, où vit une importante communauté juive originaire de Turquie et de Grèce, non loin du Marais, où les Juifs ashkénazes ont ouvert de nombreux commerces de bouche (boulangeries, boucheries, etc.) et où les immigrés sont de plus en plus nombreux à s’installer au fur et à mesure que l’antisémitisme grandit en Allemagne, Autriche, Pologne, etc.
Elle va à l’école de la République, apprend ce qu’il faut apprendre de l’histoire de France ; elle aime lire (source : Norbert Czarny sitaudis.fr).

Liliane a connu une enfance paisible avant la guerre, mais son existence a été marquée à jamais par les horreurs de la Shoah.

De la période de l’Occupation, où les lois antijuives rendent impossible la vie des Juifs en France en multipliant les professions interdites, les lieux interdits (square, cinéma, théâtre, etc.) et où l’on risque sans arrêt d’être raflé ou arrêté à son domicile pour le simple fait d’être juif, il ne reste pas de trace de la vie de Liliane. A-t-elle continué d’aller à l’école en portant l’étoile jaune, travaillait-elle dans un atelier ? A-t-elle fui avec sa famille au moment de l’avancée des troupes allemandes en 1940 ? A-t-elle connu les bombardements ? Elle sait, en tout cas, ce que risque sa famille en tant que juive.
Sa voisine, et sans doute membre de sa famille paternelle Doudoun TIANO, est arrêtée et déportée le 9 novembre 1942 (convoi 44). Parmi les quelques familles juives du 22, rue de la Folie Méricourt, deux autres voisins, de nationalité polonaise et turque, sont déportés à la suite de la rafle du Vel d’Hiv. Et dans sa rue, les arrestations, au fil du temps, se comptent par dizaines.
Mais la guerre et ses atrocités ne l’ont pas empêchée de tomber amoureuse. Follement…

Liliane amoureuse

Le 21 juillet 1944, alors que la France est en pleine effervescence suite au débarquement de Normandie le 6 juin précédent, Liliane est arrêtée à Paris, rue des Saussaies dans le VIIIe arrondissement. Il semble que Liliane était en quête de son amoureux, pris dans une rafle ; dans un geste de courage et d’amour, elle semble avoir commis des imprudences pour le retrouver, ce qui l’a conduite à être raflée à son tour par la Gestapo pour « motif racial »3, puis à son internement à Drancy, raconte son neveu, Norbert Czarny. Son grand amour aurait connu le même sort. Ont-ils été déportés ensemble ? Nous ne connaissons pas le nom du jeune homme.
Dans un immeuble situé n°11 de la rue des Saussaies, près de la place Beauvau, les nazis ont installé, de 1940 à 1944, le siège de la Sipo (police de sûreté) – SD (Service de sécurité), qui comprenait dans ses services la section IV, connue sous le nom de Gestapo. Le SS-Obersturmbannführer Kurt LISCHKA, un des principaux organisateurs des rafles et des déportations en France, jusqu’en avril 1943, en avait fait un lieu de terreur absolue. De nombreux interrogatoires et tortures eurent lieu dans ces locaux, et visaient particulièrement les résistants et les Juifs, et bien entendu les résistants juifs. Liliane y est-elle détenue avant d’être conduite à Drancy ? Nous ne le savons pas.

Photographie de l’ancien siège de la Gestapo situé 11, rue des Saussaies dans le 8e arrondissement de Paris, près de la place Beauvau. Peut-être que Liliane y fut brièvement détenue avant d’être transférée à Drancy (source : wikipédia)
Ancien siège de la Sûreté nationale française avant l’arrivée des Allemands, aujourd’hui, s’y trouvent des services du Ministère de l’Intérieur

Date d’arrestation de Liliane TIANO
© SHD de Caen DAVCC-21-P-682-543-17

Auschwitz

Internée au camp de transit de Drancy en Seine-Saint-Denis (anciennement département de la Seine), le 21 juillet 1944, Liliane y reçoit le matricule 25 336. Elle avait sur elle la modique somme de 35 francs, qu’elle doit déposer à la « fouille » du camp. Elle a alors 19 ans et demi.

Carnet de fouilles de Liliane TIANO à Drancy
Source : Mémorial de la Shoah

Après dix jours de détention horrible dans l’« Antichambre d’Auschwitz » où règne le nazi Aloïs BRUNNER, elle est déportée avec 1.305 autres personnes par le convoi 77, le 31 juillet 1944, à destination du camp d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne.
Arrivée dans la nuit du 3 août, à la sortie des wagons à bestiaux, sur la rampe intérieure du camp, elle est « sélectionnée », comme environ 180 femmes du convoi 77, par les SS pour le travail forcé et entre dans le camp des femmes, Birkenau. Immédiatement, débute de processus de déshumanisation de c, humiliée par la nudité forcée, la tonte de ses cheveux et le rasage de ses poils ; le troisième jour, elle est tatouée d’un matricule qui doit lui retirer son identité en la réduisant à un numéro matricule : A 16 819, qu’elle devra connaître en allemand pour répondre aux appels ; elle est battue, privée de tout. Ses vêtements sont des loques prélevées à des déportées gazées. Liliane est réduite au travail forcé, à l’esclavage, vouée à une mort certaine, mais elle réussit à survivre.

Kratzau

Après une nouvelle « sélection » dans le camp parmi les déportées, le 27 octobre (Nb : le 27 octobre selon Yvette LEVY née DREYFUSS, le 28 selon Suzanne BOUKOBZA née BARMAN et Régine SKORKA), réalisée par les médecins SS, dont peut-être le Dr MENGELE en personne (selon le témoignage d’Yvette DREYFUSS), Liliane et environ 120 camarades du convoi 77 sont envoyées pour travailler dans un autre camp. Elles sont transférées, en train, à plus de cent déportées tassées les unes contre les autres, au camp de Kratzau. Cette annexe du camp de Gross Rosen est située dans les Sudètes, en Tchécoslovaquie. Liliane se voit attribuée un autre matricule, le 84 164.
Sa chambrée, composée de femmes (françaises et hollandaises) est affectée à une usine d’armement, à environ 4 km du camp. Il faut marcher pour y aller, marcher pour en revenir, après 12 heures de travail. Les conditions de travail sont extrêmement difficiles; les kapos, la commandante SS et ses sbires sont très cruelles, le typhus rôde, mais Liliane tient bon jusqu’à sa libération du camp. Le 9 mai 1945 au matin, les déportées se retrouvent seules dans le camp. Les soldats allemands et les SS ont fui pendant la nuit. Un tank soviétique pénètre dans le camp.

Le parcours de persécution de Liliane TIANO à partir du 31 juillet 1944 jusqu’à sa libération
TIANO-Liliane-© SHD de Caen -21-P-682-543-6
Une fois arrivée au Sauna de Birkenau, Liliane est tatouée.
Elle portera désormais le matricule A 16 819 sur le bras.

Le retour en France

Pour Liliane, la guerre est enfin terminée (Source : témoignage de Suzanne BOUKOBZA née BARMAN, site convoi 77), ou presque : il faut désormais rentrer en France, et rien n’est prévu par l’Armée rouge, qui a libéré la région, pour venir en aide aux déportées. L’absence de nourriture pousse les déportées à se débrouiller par elles-mêmes, elles risquent sans arrêt les violences et les viols des militaires libérateurs. Certaines partent en petits groupes sur les routes, comme le racontent notamment les sœurs Bloch.
Finalement, Liliane rentre en France par Longuyon et est rapatriée en train jusqu’à Paris, où elle arrive le 30 mai 1945. Elle fait partie des 157 femmes déportées le 31 juillet 1944 de Drancy qui ont survécu à l’enfer.
Elle est très affaiblie, elle a perdu 8 kg et, comme la plupart de ses camarades de « camp », souffre de problèmes gynécologiques. Son corps et sa santé sont profondément et durablement meurtris par ces longs mois de violences et de privations.

Bilan de l’examen médical de Liliane à son retour en France
TIANO-Liliane-© SHD de Caen DAVCC-21-P-682-543-11

Liliane est alors prise en charge par le Service Social des Jeunes (SSJ), un mouvement de résistance de la jeunesse juive qui se transforme en mouvement d’entraide pour aider les déportés à se réadapter à la vie civile après leur traumatisme.
Après la guerre, tout juste majeure, Liliane devient mécanicienne confectionneuse. Elle effectue des opérations de montage et d’assemblage d’articles à base d’étoffes. Elle rencontre alors Szlamek LAJTENBERG.

Mariage

Szlamek (Chaïm, Schlomo, Henri) LAJTENBERG est né à Sosnowiec en Pologne, comme Palomba, la mère de Liliane, le 16 juillet 1919. Il avait réussi à fuir en Asie centrale lors de l’invasion des nazis en Pologne. Ses frères et sœurs restés en Pologne n’ont pas survécu, et Dawid, un de ses frères, est mort à Varsovie, en 1944, en combattant aux côtés de l’armée polonaise.
Ils se marient à la mairie du XIe arrondissement le 11 juin 1959. Le couple emménage alors dans l’appartement familial de la rue de la Folie Méricourt qu’il occupe avec la mère de Liliane. En octobre 1958, Liliane avait perdu son père, qui est inhumé au cimetière de Pantin. Liliane et son mari, aux beaux yeux bleus et à l’« humour ravageur » (selon Norbert Czarny), travaillent dans l’appartement, comme confectionneurs. Plus tard, Szlamek devient magasinier aux Galeries Lafayette.

À la fin des années cinquante, Liliane connaît une grave dépression, causée par les mois passés en déportation.

Liliane et Szlamek n’ont pas eu d’enfants, la santé de Liliane ayant été durablement affectée par la survie dans les camps. Elle reportera son affection sur ses neveux et leurs enfants.
Pour échapper un peu aux souffrances et aux angoisses qui la tourmentent tant, elle joue du piano -notamment La lettre à Elise, son morceau favori – écoute du Beethoven et lit beaucoup (Victor Hugo, Roger Martin du Gard).
Elle participe également avec son mari aux évènements organisés par la Société de Sosnowiec. Les sociétés d’entraide, créées pour la plupart dans les années 1910-1920, ont repris un certain essor après la guerre, dans le contexte tragique de l’après-Shoah. Les familles sont décimées, certaines ont disparu. Des parents âgés n’ont pas vu revenir leurs enfants de déportation, des veufs et des veuves cherchent à rebâtir des familles et à se remarier. Le but de ces sociétés est de rassembler les survivants, de les soutenir, de manifester la solidarité entre les membres à travers de nombreuses initiatives. Les repas en faisaient partie, mais aussi des soutiens financiers et la rédaction de Yizkor Bikher, livres du souvenir (expression yiddish). On rassemblait des photos pour se rappeler celles et ceux qui avaient disparu, pour se souvenir des lieux que la Shoah a effacés, des fêtes, des mouvements de jeunesse, des lieux de cultes et manifestations, etc.
Liliane est membre de l’Amicale d’Auschwitz, créée en juin 1945, qui rassemblait nombre de survivants des camps (Birkenau, etc.) pour des rencontres régulières et une fête annuelle. C’était une façon de conjurer le malheur et surtout de se retrouver pour un moment de joie. (source Norbert Czarny).

Liliane et Szlamek (Chaïm) lors du bal annuel de l’Amicale d’Auschwitz en 1968
Source Fonds privé de Norbert Czarny

Liliane qui a souffert des terribles privations de la vie en camp, qui a connu la valeur d’une minuscule tranche de pain et la solidarité qui a permis de tenir, n’a rien oublié : elle a donné sans compter, avec une générosité illimitée à ceux qui en avaient besoin, raconte son neveu.

Liliane passera le reste de sa vie entre Paris et Holon, près de Tel Aviv en Israël, avec son époux Szlamek. Elle décède à Paris XIIe, le 7 novembre 2010 à l’âge de 85 ans, précédant de deux ans son mari, disparu le 26 avril 2012, également à Paris XIIe. Le couple est inhumé au cimetière parisien de Bagneux, dans une tombe collective de la Société de Sosnowiec, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, comme c’est la coutume dans la religion juive.

Monument funéraire du cimetière parisien de Bagneux, sur lequel figurent les noms de Liliane et Szlamek (Chaïm) LAJTENBERG, source geneanet.

Sa sœur Adèle meurt également en 2012. Gisèle et Yvonne (veuve Allaman) meurent en 2021, Jeannine en 1923 et Lucienne en 2025, toutes en France.

Liliane TIANO figure sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah à Paris.

Le nom de Liliane TIANO figure sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah, Paris
Source Mémorial de la Shoah

La trajectoire de persécution de Liliane TIANO a été retracée par Jade, Eloan, Maïmouna, Logan, Maïa, Lanceline, Malone, Flora et Anthony, élèves de Terminale A et G du lycée Jacques-Cartier de Saint-Malo, avec l’aide de notre professeur d’Histoire M. Stéphane Autret.
Nous tenions à remercier chaleureusement Monsieur Norbert Czarny, écrivain et critique littéraire, très proche de Liliane qui nous a livré des informations personnelles et surtout les précieuses photographies dont il disposait avec une extrême bienveillance. Il a écrit ici un magnifique texte sur Liliane : sitaudis.fr

Outre ces archives familiales, nous avons appuyé nos recherches sur le dossier rempli par Liliane pour faire reconnaître son statut de déporté politique. Aux archives de la DAVCC à Caen, il porte la cote 21 P 682 543. Les actes de naissance, de décès, les recensements et les registres d’inhumation sont consultables sur le site des Archives en ligne de la Ville de Paris ou, pour certains en fonction des dates, dans les mairies concernées (XIe, XIIe).
Enfin, nous renvoyons à l’ouvrage de Régine Skorka-Jacubert Fringale de vie contre usine à mort, Le Manuscrit (2009), et les témoignages en ligne d’Yvette Levy Dreyfuss, cités dans le texte, qui racontent leur déportation par le convoi 77, leur parcours et leur retour.

Contributeur(s)

Biographie réalisée par les élèves de Terminale du Lycée Jacques Cartier de Saint-Malo, encadrés par leur enseignant M. Stéphane AUTRET.

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