Berthe DOLLFUS, née LAZARD (1867-1944)
Berthe Lazard naît le 12 avril 1867 à Metz, rue des Allemands. Elle est la fille de Salomon Lazard, boucher originaire de la région messine, et de Rosine Weiler, originaire de Prusse. Berthe a un frère, Henry, et deux sœurs, Cécile et Lucie [1].

Acte de naissance de Berthe Lazard, Archives municipales de Metz, 1E/b637, p. 104.
À la suite de la défaite française face à la Prusse en 1870, l’Alsace et la Moselle sont annexées par l’Empire allemand. Comme de nombreuses autres familles, les Lazard choisissent d’opter pour la nationalité française (comme en témoigne le Bulletin des lois de la République française du 1er juillet 1872 [2]) et de s’installer sur le territoire français, probablement en région parisienne. Nous avons en effet retrouvé la trace de Salomon Lazard et de son épouse à Vincennes lors du recensement de 1886 [3]. Le nom de Rosine Weiler est alors mal orthographié, ce qui témoigne peut-être de son accent germanique. La famille semble vivre modestement. En 1891, Salomon exerce la profession de garçon-boucher, et Henry, qui vit également rue Massue avec ses parents, le métier de voyageur de commerce [4].

Recensement de la population de la ville de Vincennes, Archives départementales du Val-de-Marne, 1NUM080 102, p. 344.

Acte de mariage de Berthe Lazard et de Justin Auguste Roux, Archives départementales du Val-de-Marne, 1MI 2549, p. 172.
Le 5 juin 1888, Berthe Lazard se marie avec Justin Auguste Roux à Vincennes [5]. Le mariage ne dure pas. Justin semble avoir disparu. Le journal Le Radical du 24 juillet 1890 nous apprend en effet que le jugement de divorce est prononcé « au profit de Berthe Lazard » et que son époux est alors « sans domicile connu » [6].
Berthe Lazard est alors une jeune femme de 23 ans, divorcée. Nous n’avons trouvé que peu de documents sur son existence des années 1890 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Nous savons qu’elle perd ses parents. Sa mère, Rosine Weiler, meurt en 1899 et est enterrée au cimetière Montparnasse, dans le carré juif [7]. Son père décède dix ans plus tard en 1909 [8]. Que penser alors de la publicité pour une boutique de robes et de manteaux, nommée « Berthe Lazard » et située au 24 rue Louis-le-Grand, à Paris, publicité parue dans le magazine Beaux-Arts illustrés en 1905 [9]? Cette boutique semble destinée à une clientèle aisée et ne correspond pas aux archives précédentes que nous avions pu réunir. Il s’agit pourtant bien de « notre » Berthe Lazard, car nous pouvons retracer la continuité de cette boutique jusqu’à son second mariage en 1920. Peut-être a-t-elle bénéficié du soutien financier de son frère Henry qui semble avoir fait fortune dans l’immobilier sur la Côte d’Azur ?

Publicité pour la boutique « Berthe Lazard, parue dans le magazine Les Beaux-Arts illustrés du 14 mars 1905, p. 16.

L’Éclaireur du dimanche rapporte la présence de Berthe Dollfus à Nice au mariage de sa nièce Marcelle Lazard (27 mai 1923, p. 7).
Les informations sur la vie de Berthe Lazard sont bien plus nombreuses à partir des années 1920. Le 1er février 1921, Berthe se marie avec Lucien Antoine Dollfus dans le 9e arrondissement de Paris [10]. Ce mariage a lieu en même temps que celui de sa sœur Lucie avec Henri Wel. Lucien Antoine Dollfus a été journaliste [11]. Au moment de son mariage, il est « directeur de banque ». Il apparaît comme un homme d’affaires, qui investit dans diverses sociétés, comme la société Perbalum qui vise à exploiter un manège à sensations [12]. Le couple réside alors rue de Berri. Ils ont une domestique comme l’attestent les recensements de 1926, 1931 et 1936 [13]. Lucien et Berthe participent également à la vie mondaine. La presse relate leur présence au mariage de la nièce de Berthe à Nice en 1923. Le Figaro mentionne même le couple parmi les personnes en vue à Deauville en mai 1937 [14]. Jugé dans une affaire de fraude et d’escroquerie en tant que directeur des cinémas Pathé, Lucien Dollfus est relaxé en 1939 [15]. Berthe Dollfus apparaît alors comme une femme ayant gravi les échelons de la société.
Cependant la Seconde Guerre mondiale et l’occupation allemande viennent bouleverser l’existence des époux Dollfus. Lucien et Berthe subissent les persécutions et les lois antisémites, notamment l’obligation de porter l’étoile jaune. Lucien décède en 1942. L’appartement du 50 rue de Berri est confisqué le 27 mai 1942 [16]. Nous n’avons pas trouvé d’autres documents sur la vie de Berthe entre 1942 et son arrestation en juillet 1944. Elle est arrêtée au 113 rue de la Faisanderie à Paris, en même temps que sa sœur Lucie et trois autres personnes, Marthe Deutsch, ainsi que Richard et Marianne Hirsch [17]. À son arrivée à Drancy, le 19 juillet 1944, Berthe a encore en sa possession quelques objets précieux, essentiellement des bijoux en or [18].

Carnet de fouilles de Drancy, n°158, reçu n°6612, Memorial de la Shoah.
Berthe et sa sœur Lucie sont déportées par le convoi 77. Elles ont respectivement 77 et 82 ans. Elles sont sans aucun doute immédiatement assassinées lors de leur arrivée à Auschwitz. L’acte de décès de Lucie est daté du 3 août 1944, celui de Berthe du 15 août.

Liste originale du convoi de déportation, Convoi 77, Mémorial de la Shoah
Notes et références
[1] Tous les quatre sont nés à Metz. Berthe est la plus jeune. Cécile est née en 1860, Lucie en 1861 et Henry en 1863). Les actes de naissance figurent dans les registres d’état civil conservés aux archives municipales de Metz (Cotes: 1E/b616; 1E/b619; 1E/b625; 1E/b637).
[2] Bulletin des lois de la République française, 1er juillet 1872, p. 2764-2765.
[3] Recensement de la population de la ville de Vincennes, Archives départementales du Val-de-Marne, Vincennes, 1886, 1NUM080 102, p. 344.
[4] Recensement de la population de la ville de Vincennes, Archives départementales du Val-de-Marne, Vincennes, 1891, D2M8 35, p. 176.
[5] Acte de mariage de Berthe Lazard et de Justin Auguste Roux, Archives départementales du Val-de-Marne, 1MI 2549, p. 172.
[6] Le Radical, 24 juillet 1890, p. 4. Un avis de divorce est également publié dans Le Droit: journal des tribunaux, le 18 juillet 1890, car le jugement n’a pas pu être signifié à Justin Auguste Roux, celui-ci étant « défaillant ».
[7] Archives de Paris, Registre journalier d’inhumation du cimetière Montparnasse (MTP_RJ18991900_01), 14 juillet 1899, p. 77.
[8] Les quatre enfants de Salomon Lazard font paraître un avis de décès dans Le Temps du 3 octobre 1909 (p. 3). On y apprend que Salomon était installé au Raincy. Henry Lazard est alors marié et installé à Nice. Cécile et Berthe ne semblent pas mariées.
[9] Les Beaux-Arts illustrés, 14 mars 1905, p. 16. La même publicité est publiée également dans le numéro du 19 mars (p. 16).
[10] Archives de Paris, Registres de mariages du 9e arrondissement, 9M 310, Actes n°189 (Dollfus-Lazard) et 190 (Wel-Lazard).
[11] La profession de journaliste est mentionnée dans son dossier militaire (Archives de Paris, Registres matricules du recrutement militaire, 1892, D4R1 722). Il apparaît également à plusieurs reprises son le pseudonyme de Ferville dans le Bulletin de l’Association syndicale professionnelle des journalistes parlementaires (par exemple dans le bulletin de 1899, p. 37).
[12] La Loi, 9, 10 et 11 mai 1937, p. 181-182. Le manège nommé Perbalum a en effet été exploité lors de l’Exposition de 1937. Il est décrit par Jacques Reyliane dans Le Figaro illustré de mai 1937 de la manière suivante: « deux disques d’acier pesant 150.000 kilos, tournant dans un mouvement de rotation inversée, prenant la position Grande Roue, se renversant complètement, sans que ses occupants aient la tête en bas ».
[13] Archives de Paris, Recensements de la population, 1926, D2M8 241, p. 100, 1931, D2M8 386, p. 33, et 1936, D2M8 571, p. 85.
[14] L’Éclaireur du dimanche rapporte la présence de Berthe Dollfus à Nice au mariage de sa nièce Marcelle Lazard (27 mai 1923, p. 7). Pour la saison à Deauville: « La saison hors Paris », Le Figaro, 19 mai 1937, p. 2.
[15] Cette affaire a été largement relayée par la presse de l’époque. Elle fait ainsi la Une du quotidien Le Journal le 6 mai 1939 à l’occasion du procès de Bernard Natan, Jean-Simon Cerf et Lucien Dollfus. Une photographie des accusés est d’ailleurs reproduite en première page.
[16] Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 26 décembre 1942, p. 368.
[17] Liste originale du convoi de déportation, Convoi 77, Mémorial de la Shoah. Le recensement de 1936 permet de savoir que Marthe Deutsch habitait déjà à cette adresse avant la Seconde Guerre mondiale (Archives de Paris, Recensement de la population, 1936, D2M8 651, p. 234).
[18] Carnet de fouilles de Drancy, n°158, reçu n°6612, Memorial de la Shoah.