Berthe STEINSCHNEIDER

1913-2001 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Berthe STEINSCHNEIDER

Photo ci-contre : Berthe, son mari David et son fils Robert,
archives familiales Mme Brulant

Parmi les milliers de destins brisés dans l’extermination des juifs d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale, celui de Berthe, déportée dans le convoi 77 du 31 juillet 1944, est celui d’une femme dont l’histoire personnelle incarne à la fois la tragédie et la résilience.

Comme de nombreuses autres personnes, Berthe a été privée de sa vie, de sa famille et de son avenir par les atrocités nazies. Dans le cadre de notre projet, notre objectif est de retracer son cheminement, de redonner vie à sa mémoire, et de saisir l’impact destructeur de la déportation. Nous rendons hommage à Berthe et à toutes les victimes de la Shoah en retraçant les différentes étapes de sa vie, depuis son enfance jusqu’à son arrestation, puis sa déportation et son retour à une vie normale.  Grâce à de nombreuses sources (dont une rencontre avec Madame Brulant, sa nièce et un écrit de Gaëlle Moreau, sa petite-fille),  nous avons pu, par petits groupes, nous répartir les tâches afin de comprendre au mieux qui elle était et ce qu’elle a vécu.

Toutes ces recherches sur Berthe  nous ont permis de prendre conscience de la monstruosité des actions nazies sur le peuple juif. Nous avons pu nous rendre compte qu’à travers l’histoire, d’autres ont eu moins de chance que nous. La rencontre, même indirecte, avec une personne qui a subi les évènements de la grande histoire, nous permet de toucher du doigt l’impact qu’elle a eu dans la vie réelle de ceux qui l’ont vécue. Nous ne pensons plus les statistiques de la déportation, mais nous approchons des vies. Ces témoignages de vie nous ont fait prendre conscience du traumatisme, non seulement des déportés, mais aussi de toute leur famille. Nous réalisons que ce qu’on a pu étudier en classe a réellement existé. La vie de Berthe montre comment chacun peut se reconstruire, plus ou moins facilement, et envisager de regarder vers l’avenir; mais aussi comment les séquelles ont traversé les générations. Gaëlle Moreau, qui a accepté de nous donner quelques informations sur sa grand-mère, ne l’a fait qu’avec beaucoup d’émotion et de grandes précautions, de peur de trahir les silences de sa grand-mère comme de son père. Alors, si nous avons un devoir de mémoire, la forme qu’il doit prendre nous interroge. Faut-il tout savoir et tout dire sur Berthe? Nous achevons notre année avec de nombreuses questions qui laissent place au doute. Les lacunes de la biographie nous rappellent aussi tous les disparus dont personne ne sait plus rien.

Merci, donc, à madame Brulant et à madame Moreau, pour toutes les informations qu’elles ont bien voulu nous donner.

Biographie de Berthe STEINSCHNEIDER

Berthe Simplatt est née à 5 heures du matin, le 16 novembre 1913, dans le XIIIème arrondissement de Paris. Ses parents sont Rebecca Gleimann, ménagère, et Wolf Simplatt, casquettier, âgés respectivement de 24 et 27 ans lors de la naissance de leur fille.

Ils partent s’installer en Angleterre pour travailler et rejoindre leur famille. Lorsque Berthe a trois ans, ses parents la confient à son oncle et sa tante maternels, monsieur et madame Plescoff qui ne pouvaient pas avoir d’enfants. Berthe grandit ainsi à Paris.

Elle épouse David Steinschneider, fourreur de métier, le 4 juin 1936, à la mairie du IIIème arrondissement ; et la réception a lieu à l’hôtel Lutetia. Ils emménagent au 64 rue de Belleville dans le XXème arrondissement. L’année suivante, le 29 août Berthe donne naissance à leur fils Robert.

Mariage de Berthe et David,
archives familiales Mme Brulant

David est mobilisé en 1939, mais rendu à la vie civile suite à la défaite. Il retrouve donc son épouse, surement rassurée de son retour, et son fils.

En 1940, la  famille part en vacances en Angleterre pour retrouver Charlotte, la sœur de Berthe (sans David?). Pour rentrer en France, ils prennent, selon le témoignage de Gaëlle Moreau, le dernier ferry depuis Douvres, juste avant la fermeture des liaisons maritimes entre l’Angleterre et la France. Ils rentrent dans une France défaite. Après l’armistice du 22 juin, Paris est occupé. Pétain rencontre Hitler à Montoire et engage la France dans la voie de la collaboration. Très vite, des mesures antisémites sont mises en place à Paris : horaires de sortie, interdiction de fréquenter certains lieux publics, cantonnement au dernier wagon du métro, interdiction de pratiquer des métiers d’influence…

Xavier Vallat prend la tête du commissariat aux questions juives de l’Etat français. Ce commissariat organise la confiscation de leurs biens, dont ceux de Chaïm, le beau-père de Berthe. En 1941, à la demande des Allemands et de Vichy, l’UGIF (Union Générale des Israelites Français) est fondée, unique association juive autorisée pour centraliser le contrôle des juifs, aider les nécessiteux et communautariser les israélites. Tous les juifs doivent donc y adhérer (cas de Berthe dont nous disposons de la carte de l’année 1943, tamponnée en 1944, au mémorial de la Shoah). Et les familles dans le besoin sont nombreuses du fait des spoliations. Les adresses et identités des Juifs sont connues car ils ont été recensés en 1940 par l’administration française. Ces recensements vont faciliter l’organisation des rafles qui commencent au printemps 1941 avec la Rafle du Billet vert : 3 700 juifs d’origine étrangère sont convoqués dans les commissariats parisiens. Ils sont ensuite arrêtés pour être envoyés dans les camps de Beaune-la-Rolande et Pithiviers avant d’être déportés vers la Pologne, au camp d’Auschwitz. C’est le cas de Maurice (Mowsza) Sztejnsznajder, le beau-frère de Berthe, époux de Marinette, la sœur de David, et de leur cousin Chaïm Sztejnsznajder. (Les deux survivent à la déportation).

Lors de la rafle du Vel d’Hiv en juillet 1942, Henri (Hersch) Steinschneider (frère aîné de David, qui n’avait pas été naturalisé avec le reste de la famille en 1926) avec sa femme Rose et leur petit garçon Daniel, 6 ans, ont été appréhendés. Berthe, comme d’autres parents, apprend alors que les enfants sont également arrêtés et accepte donc de cacher son fils sur les instances de son mari David. Robert est pris en charge par un communiste, inconnu de sa mère, et est accueilli par Marcel et Denise Vivier à Cléry-Saint-André, dans le département du Loiret. Cela nous permet de supposer que Berthe ou David étaient peut-être communistes, ou du moins proches du parti et de ses réseaux.

D’autres membres de la famille sont ensuite arrêtés. En octobre 1943, c’est le tour de Chaïm, le père de David, et de Raymonde (Rachel), la fille de Rose et Henri qui avait échappé à la rafle de juillet 1942 et vivait donc chez ses grands-parents. La mère de David, Genendel, malade, peut rester chez elle. C’est parce qu’ils la cherchent que les Allemands viennent perquisitionner chez Berthe et David qui sont arrêtés à leur tour le 21 juillet 1944 au motif que leur fils n’est pas au domicile. Ce n’est en réalité qu’un prétexte: ils sont arrêtés parce qu’ils sont juifs.

Après un passage au commissariat rue des Saussaies, ils sont conduits à Drancy et dépouillés de 10 000 francs. Il est important de rappeler que le camp de Drancy est un camp d’internement au nord-est de Paris. Mis en place par les Allemands en août 1941, son premier but était d’interner plus de 4 000 hommes juifs parisiens récemment arrêtés. Le camp de Drancy est un ancien HLM des années 1930 qui servait de camp pour les prisonniers de guerre. Dès 1942, il devient le principal camp de transit pour les Juifs déportés. A l’intérieur, les conditions de vie étaient moyennement enviables. 

Lors de leur internement à Drancy, Berthe et son mari David envoient deux lettres à leur famille. Dès le 22 juillet 1944, une première missive précise qu’ils sont en bonne santé. Ces lettres permettent de voir que Berthe et David pourront recevoir quelques colis et espèrent, initialement, échapper à la déportation. Ils demandent aux sœurs de David des affaires, à savoir des produits d’hygiène : savon, mouchoirs, dentifrice, brosse à dents, des vêtements, des couvertures, ainsi que des cigarettes. Ils déclarent aussi ne pas avoir eu le temps de prendre grand-chose avec eux à cause de leur départ inattendu. Ils demandent d’envoyer à leur nom des colis à l’UGIF. Ils avertissent aussi que la mère de David est la cible des Allemands qui les ont arrêtés afin qu’elle soit mise en sécurité. Ils s’inquiètent aussi de leur fils Robert, mais ils n’ont pas donné d’adresse où le chercher aux Allemands. Une deuxième lettre du 30 juillet 1944 cherche à rassurer leurs proches sur leurs conditions de vie et annonce un départ le lendemain. David et Berthe font l’éloge d’une nourriture banale, à savoir la soupe de légumes, le café le matin, deux fois du vin en une semaine, de la viande une fois par semaine et en huit jours ils ont reçu une cuillère de confiture, deux fois 30g de fromage et 50g de beurre par personne. Sans doute embellissent-ils la situation pour ne pas alarmer la famille. Ils finissent par dormir tous les deux ensemble deux jours avant le départ. Ils déclarent être propres avec un accès aux douches froides, et même chaudes deux fois par semaine. Ils abordent enfin des sujets essentiels. David envoie la famille récupérer – discrètement – ce qui peut l’être dans l’appartement. Il recommande aussi Robert à ses proches, pour lequel il faudra envoyer des tickets de rationnement. Et pour cela, ils peuvent aussi récupérer les derniers salaires de David.

Berthe est finalement déportée, avec son mari, à Birkenau par le convoi 77. Elle est sélectionnée pour le travail jusqu’à octobre, puis envoyée à Kratzau jusqu’au 9 Mai 1945, date de la libération du camp. A Kratzau, actuellement Chrastava, localisé en Tchéquie, les détenus travaillent dans des usines d’armement.

David, de son côté, est aussi est sélectionné pour le travail. Le 29 janvier 1945, il est vu à Sachsenhausen, le 17 février à Mauthausen, le 23 Mars à Amstetten. Il a été vu vivant à Linz le 16 avril 1945 (dernière apparition vivante). Il est n’est pas rapatrié parce qu’il avait le typhus lors de sa libération. Sa trace est alors perdue, il ne reviendra pas.

Berthe est rapatriée à Paris via Longuyon, un des principaux camps de rapatriement des déportés, et arrive gare de l’est le 22 mai 1945. Arrivée à Paris, elle recherche son mari, mais David n’est jamais revenu des camps de la mort.

La déportation a énormément affaibli Berthe : elle a perdu 15 kilos, et, en 1944 a eu la scarlatine. Comme beaucoup de femmes déportées, elle subit une aménorrhée, selon sa fiche médicale du retour. Elle a aussi besoin de soins dentaires. Tout cela témoigne de la violence de l’expérience de la déportation qui se manifeste par de réelles séquelles physiques autant que psychiques.

A son retour, Berthe n’a pourtant qu’une idée en tête : retrouver son fils. Elle espère qu’il a survécu. Les retrouvailles sont intenses et Robert est en bonne santé. Cependant, Berthe est marquée par ce qu’elle a traversé, comme de nombreux déportés. Ainsi,  dans l’incapacité d’élever Robert, elle le confie à Charlotte, sa sœur, qui va donc le prendre en charge pendant deux ans.

Berthe retrouve son logement rue de Belleville, sa vie… mais son mari David lui manque intensément. Se sentirait-elle coupable d’avoir survécu ? Berthe doit faire des démarches pour être reconnue veuve par un tribunal. En effet, David était malade à sa libération, mais on n’a pas d’acte de décès ni de preuve de sa mort. Cela signifie que Berthe va avoir à régulariser sa situation matrimoniale. Après une demande d’examen déposée en 1948, David est reconnu décédé par un tribunal le 9 décembre 1949. Comme on ne sait pas bien où c’est arrivé, il est initialement déclaré mort à Drancy le 31 juillet 1944. (D’après l’arrêté du 25 avril 2003, il est officiellement déclaré mort en déportation le 5 août 1944) On peut supposer que cela lui permet de commencer son deuil et d’envisager d’avancer dans la vie. Suite à cela, on sait que Robert est déclaré « adopté par la nation » le 31 mai 1950 et que cette mention est portée sur son acte de naissance. Les démarches ne sont pas terminées. David est ensuite reconnu déporté politique en 1954, tout comme Berthe. Par la suite, la mention « Mort pour la France » est inscrite sur son acte de décès en 1956, ce qui permet à Robert d’envisager d’être exempté de service en Afrique du nord alors qu’il a presque 20 ans et que sa mère peut, à juste titre, espérer lui éviter de partir en Algérie. Et elle peut aussi recevoir une pension de veuve versée par le ministère des armées.

Petit à petit, cependant, Berthe se reconstruit comme elle peut. Elle rencontre Chaîm Flamenbaum, un père de famille polonais, né à Kielce, qui a perdu ses deux filles et sa femme dans des camps d’extermination. Interné à Drancy le 18 juillet 1942, il a été déporté le 29. Il est passé par Auschwitz, puis Mauthausen. En mars 1945, il est affecté à Amsteten. Libéré le 5 mai, il est rapatrié par le Lutetia le 19 mai 1945. Ces expériences tragiques les rapprochent-elles ? Ils envisagent de se marier. Cela pose alors la question de la tutelle de Robert. Il faut donc faire appel à un conseil de famille qui réunit des représentants des lignées des deux parents pour que Chaïm soit reconnu co-tuteur légal de son fils. Le conseil évoque le fait que « son administration a toujours été sage et prudente, et [que Berthe] a pour son enfant la plus grande tendresse ». Il accepte à l’unanimité que les futurs époux partagent la tutelle le 9 février 1953.

Ils se marient le 21 mars 1953 à la mairie du XXème arrondissement de Paris. La famille de David n’apprécie pas beaucoup ce mariage, et estime que Berthe aurait dû prendre plus de temps pour faire le deuil de David. Ils s’éloignent un peu. Si Robert conserve des liens avec la famille de son père, Berthe n’a plus que peu de rapports avec eux. Le nouveau couple a un atelier de tailleur près de leur appartement.

Pour reconstituer la suite de la vie de Berthe après la déportation, nous avons recueilli quelques éléments de témoignage donnés par sa petite-fille Gaëlle que nous avons complétés avec les souvenirs de madame Brulant. Berthe n’a pas eu d’autre enfant que Robert. Il s’est marié avec Solange Schwarz et a eu une fille adoptive, Gaëlle. Cette dernière est encore marquée par le vécu des générations précédentes. En la lisant, on comprend qu’on ne lui a que peu raconté la guerre et qu’elle n’a pas vraiment osé poser de question, sentant que le sujet était tabou. Elle pouvait avoir peur de blesser son père et sa grand-mère, ou de les obliger à replonger dans leur traumatisme. A la fin du texte qu’elle a bien voulu rédiger pour nous, elle conclut par « elle ne voulait pas que je pleure, elle voulait que je vive ». Un testament plein d’espérance.

Berthe le 19 juin 1999,
archives familiales Mme Brulant

Berthe est finalement décédée le 15 février 2001 après une longue vie, ayant vu grandir son fils et sa petite-fille. Elle avait encore eu la joie d’assister au mariage de Gaëlle avec Antoine Moreau le 19 juin 1999.

Contributeur(s)

Biographie réalisée par les élèves de Seconde du lycée Bossuet Notre-Dame (Paris 10ème), sous la direction de leur enseignante, Mme Anne-Claire Tranchant.

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