Claude BLOCH
Cette biographie, préparée par Jeanne Gautier, élève du lycée français René Goscinny de Varsovie, a été enrichie sur la base du témoignage de Claude Bloch, le 13 décembre 2015, au Collège des 4 vents, à l’Arbresle, en région lyonnaise (publié sur YouTube).
Claude BLOCH est né le 1 novembre 1928 à Lyon.
Au début de la guerre, la mère de Claude, qui est veuve, travaille à la Préfecture du Rhône, mais suite aux lois antijuives de Vichy, elle doit trouver un autre emploi.
La famille n’a pas obéi aux lois décrétées par le régime de Vichy et ne s’est pas déclarée aux autorités comme étant Juive, donc pas d’étoile, pas de tampon JUIF sur la carte d’identité.
Sa mère a obtenu une carte d’identité à son nom de jeune fille, Meyer, qui sonne moins comme un nom juif, beaucoup de protestants portant le nom de Meyer.
La carte d’identité de Claude qui est à son nom, est falsifiée par son grand-père, début 1944, qui en change le nom pour Blachet, il change le o en a et ajoute « et » à la fin du nom[1].
Claude fait ses études à la Martinière[2].
En février 1944, sa mère décide de faire déménager la famille à Crépieux, dans une famille qui leur loue un trois pièces dans leur villa à proximité de Lyon, pour qu’elle puisse continuer à travailler à Lyon et que Claude puisse continuer à suivre ses études à La Martinière.
Cette décision s’est avérée particulièrement opportune, dans la mesure où il y eut en avril l’épisode de la maison d’enfants d’Yzieu, mais aussi la confiscation par la milice de l’appartement des grands-parents Bloch, pour en faire des bureaux.
Début juin, les nouvelles, diffusées par la radio suisse, du débarquement en Normandie des forces américaines, anglaises et françaises redonne espoir à la famille d’échapper à l’arrestation.
Seulement, le 28 juin 1944, Philippe Henriot qui prononce régulièrement des allocutions haineuses à la radio contre « les Juifs, les Francs-Maçons, les Communistes » , est tué par des résistants.
Les miliciens décident, à titre de représailles, de faire fusiller 8 Juifs.
Paul Touvier fait arrêter des Juifs et en aligne huit dans un couloir, mais un milicien le prévient que parmi les « Juifs » il y aurait un résistant, il le fait retourner en cellule, parce qu’il voulait que les représailles soient dirigées seulement contre des Juifs. Les sept otages qui restent sont fusillés le lendemain, 29 juin, à Rilleux-la-Pape (commune voisine de Crépieux).
De bonne heure le matin, la grand-mère de Claude part pour aller à Lyon chez le dentiste et elle en profitera pour faire des courses. La mère de Claude est en arrêt maladie et le grand-père est comme tous les jours à la maison. Claude est en vacances et il astique son vélo, parce que le propriétaire lui avait dit qu’il avait de la famille dans la Drôme et qu’il était prêt à y conduire Claude pour qu’il y soit plus en sécurité.
A 11h45 min, la milice, créée en 1943 par le régime de Vichy, débarque chez eux. Claude saura après la guerre que c’est Paul Touvier lui-même qui les arrête. Touvier leur dt de préparer leurs valise et ils se changent. La mère de Claude lui dit de mettre en pantalon long, alors qu’il s’apprêtait à mettre des culottes courtes à cause de la chaleur.
Ils sont emmenés, avec sa mère et son grand-père.
Ils sont tous les trois conduits dans les caves de la Gestapo, au 32 place Bellecourt, à Lyon. Son grand-père et sa mère sont amenés aux étages. Quand il voit sa mère revenir, elle lui glisse à l’oreille (il leur était interdit de se parler) : « ils ont tué ton grand-père » et il voit peu de temps après, par l’entrebâillement de la porte, un homme transportant sur son dos le corps de son grand-père.
Claude et sa mère sont ensuite emmenés au fort Montluc et ils y passent la nuit.
Le 30 au matin il est mis dans une baraque qui sera appelée la baraque aux Juifs (elle pouvait contenir environ 200 personnes, les Allemands y mettaient des hommes juifs, mais aussi des résistants qui s’étaient avérés être juifs[3]). Il y reste jusqu’au 20 juillet, ce jour-là, il est appelé «avec bagage» (les soldats appelaient les prisonniers avec ou sans bagage : sans, cela voulait dire qu’ils allaient être fusillés dans les environs, et avec, cela voulait dire qu’ils allaient partir pour une destination inconnue) et il retrouve sa mère, qui est extraite de sa cellule.
On les fait monter dans un bus qui les conduit à la gare de Perrache d’où ils prennent un train de voyageurs, dans lequel les femmes sont séparées des hommes, dans des wagons différents.
Des cheminots arriveront à informer les détenus à travers les vitres condamnées qu’un attentat contre Hitler a eu lieu, mais qu’ils ne savent pas ce qu’il en est sorti.
Le 21 juillet ils font escale à Dijon puis repartent.
Le 22 juillet, ils arrivent finalement dans une petite gare de la région parisienne. Un bus les amène alors à Drancy.
Pendant qu’il est à Drancy, il est avec sa mère et il voit arriver des bus qui amènent des enfants en bas âge.
Le 31 juillet il est embarqué, lui, sa mère et environ 1 millier d’adultes et 300 enfants en bas âge dans des autobus parisiens, direction la gare de Bobigny. Là, ils sont entassés, à 80 par wagon, dans ces wagons à bestiaux, marqués à l’extérieur de l’inscription « hommes 40, chevaux 8 » sans nourriture, seulement avec leurs valises. Claude est dans un wagon sans enfant (de moins de quinze ans).
Le 3 août, le train stoppe et ils entendent des hurlements et des aboiements de chien, les portes finissent par s’ouvrir et ils voient des hommes bizarrement habillés de tenues rayées bleu et gris qui leur disent de laisser leurs valises dans les wagons et de descendre, les hommes d’un côté (à gauche), les femmes et les enfants, eux, de l’autre (à droite). Pour les détenus, dans le bruit et la fureur, gauche et droite (la leur ou celle des hommes en costume rayé… ce n’était pas clair et cela provoquait des hurlements).
Claude BLOCH se place sur la droite avec sa mère, ne savant pas ce qui peut lui arriver, mais celle-ci le pousse du côté des hommes. Il la perd de vue et ne la revit plus jamais, et il nous dit «Ce jour-là, elle m’a sauvé la vie[4]».
Claude venait d’arriver à Birkenau, aussi appelé Auschwitz 2.
Les hommes passent en file indienne devant un officier SS qui choisit si chacun est, apte ou inapte au travail, ceux qui ne sont pas aptes au travail. Claude émet des doutes sur l’objectif de ce tri, dans la mesure où lui, qui n’a que quinze ans, n’est pas grand, et pèse 45 kg, est jugé apte au travail, alors que des hommes dans la force de l’âge sont jugés inaptes au travail. Ensuite un SS propose à tout détenu qui se sent fatigué de monter dans un camion, mais personne ne se déclare fatigué.
Les hommes jugés inaptes au travail vont rejoindre les femmes et les enfants sur la droite. Toute femme accompagnée d’un enfant est jugée immédiatement inapte au travail[5]. Claude cite le cas d’une femme qui tenait par la main des enfants qu’elle avait seulement connu à Drancy et qui fut déclarée inapte au travail.
Les hommes aptes au travail, dont Claude, font ensuite 3 km à pied et arrivent à Auschwitz 1[6], dans un bâtiment où on leur ordonne de se déshabiller, ils sont rasés intégralement et on leur tatoue un numéro à chacun (Claude BLOCH aura le numéro : B 3692), ce numéro, c’est ce qu’ils deviennent, les prisonniers sont privés de toute identité, de toute humanité.
On leur montre ensuite leur dortoir, avec des châlits sur trois niveaux, avec une seule paillasse pour deux. Le matin, ils sont réveillés par des hurlements de kapos[7] à 4 heures du matin. Ils se rangent ensuite dans la cour où ils doivent se mettre au garde à vous[8] et sont comptés par des SS.
Ensuite ils partent travailler, au pas, escortés de kapos et de SS, au son d’un orchestre, jouant des airs entraînants. Claude BLOCH faisait du terrassement, il piochait, transportait des matériaux, à un ou deux km du camp, à Monowitz, à l’extérieur, par des températures pouvant aller de -20°C à -30°C et avec pour seul habit : une petite veste, un pantalon et de vieilles chaussures. Au retour, il y avait de nouveau un appel et il fallait étaler les morts de la journée pour le décompte à cet appel, qui durait beaucoup plus longtemps (un quart d’heure ou plusieurs heures) que celui du matin, en effet, rien ne pressait le SS pour le comptage, contrairement au matin, où il fallait faire vite pour le départ au travail. Si le SS arrivait à un nombre différent de celui qu’il avait noté le matin, il repartait à la recherche du ou des manquants[9].
Le soir ils reçoivent un cube de pain noir (180g -200g) avec un peu de margarine.
Les dimanches ils ne travaillent pas, mais ont interdiction de rentrer dans les bâtiments, par tous les temps.
Le temps passait, des convois arrivaient et ils avaient besoin de faire de la place, ils faisaient des sélections, désignaient untel et untel…. Qui partaient pour Birkenau.[10]
Un jour, lendemain d’un dimanche sans travail, il n’y a pas de départ pour le travail, après la guerre, Claude vérifiera que ce lundi était le lundi de Noël, le jour des enfants, eux qui étaient systématiquement gazés à l’arrivée.[11]
En hiver 1944, il est conduit avec d’autres à Birkenau, et ils sont chargés sur des wagons à ridelles, des plates-forme ouvertes à tous vents, servant habituellement au transport du charbon. Ils rouleront, par des températures de -20°C et moins, pendant un temps que Claude pense être de 24 heures, depuis le sud-ouest de la Pologne vers le nord-est de l’Allemagne, jusqu’au camp du Stutthof, à 30 km de Dantzig (Gdansk aujourd’hui) (à ne pas confondre avec le Struthof en Alsace).
Les SS commencent à évacuer le camp car l’armée soviétique avance et la discipline se relâche, dans ce camp de Stutthof au bord de la mer Baltique en janvier 1945, parce que les SS du camp sont envoyés au front et ce sont des soldats du front, fatigués de plusieurs années de guerre, qui les remplacent. Claude travaille alors dans une usine, ce qui veut dire avec un toit au-dessus de la tête, avec des civils polonais. Pendant le temps qu’il est au camp de Stutthof il va, ce qu’il n’aurait jamais fait à Auschwitz, à l’infirmerie où il rencontre un médecin lyonnais, qui le conseille bien, pour faire face à un « pied gelé ».
Mais les SS reviennent et Claude repart au travail, fin avril, début mai, les SS évacuent le camp et c’est à ce moment là que commence pour beaucoup : « la marche de la mort ».
Claude, lui, est emmené dans un petit port[12] où il embarque dans la cale d’une péniche. Les péniches partent en direction d’un autre port[13]. Il est alors transféré dans un cargo qui est surveillé par 2 SS. Au matin il entend des bruits, les SS ont disparu, ce sont des civils qui marchent sur le pont.
Le 10 mai 1945 (2 jours après la capitulation de l’Allemagne nazie), il finit par accoster et la «croix rouge» s’occupe des rescapés, dans un port d’Allemagne du nord (nom peu compréhensible).
Il est emmené dans le sud de la Suède à Malmö, à ce moment là, il ne pèse plus que 30 kilos. Il reste 2 mois en Suède où il est déshabillé, désinfecté, étuvé, soigné.
Les rescapés subissent alors une « sélection », les plus faibles partant en ambulance et les valides partant en train.
Claude est dans la deuxième catégorie, mais au moment de monter dans le train, il n’arrive pas à soulever le pied pour aller dans le wagon et un infirmier va le soulever sous les aisselles pour l’y aider (il ne pèse plus que 30 kg).
Il envoie un télégramme à des amis de sa grand-mère, rue Pierre Corneille à Lyon, pour qu’ils lui disent (comme il ne sait pas ce qu’elle est devenue après son arrestation) qu’il est toujours en vie.
Il est bien soigné par les Suédois et le médecin, au bout de plusieurs semaines, lui dit qu’il est « sauvé », mais qu’à son arrivée, il ne lui aurait pas donné 24 heures ! Claude explique qu’il en fut surpris, qu’il n’avait jamais imaginé pouvoir mourir. Il attribue cette naïveté de l’époque à sa jeunesse, parce que nombre de déportés se suicidèrent en se jetant sur les barbelés.
Il embarque après deux mois de soins en Suède, à Göteborg et arrive à Cherbourg (au nord de la France) le 20 juillet 1945, à Paris le 21 et à Lyon, chez sa grand-mère qui avait récupéré son appartement le 22.
La première question de sa grand-mère fut : « et ton grand-père, et ta mère ? ». Il répondit à sa grand-mère que son mari a été tué deux heures après l’arrestation, mais il a dit « qu’il ne savait pas » pour sa mère, la fille de sa grand-mère. Il savait au fond de lui-même, mais ne pouvait le dire.
Au mois d’août il va à son ancienne école pour finir ses études mais l’Etat n’a rien prévu pour les rescapés de son âge, finalement il est accepté en 2ème année comme redoublant.
En 1948 il devient comptable, sa grand-mère décède en septembre 1949 suite à une maladie cardiaque.
Il se marie en septembre 1950 et il a 3 enfants. Il prend sa retraite en 1989, il pense alors à témoigner aux jeunes générations.
Un jour il retourne, avec des journalistes, sur les lieux de son arrestation. Il apprend alors par la fille du propriétaire de l’époque qu’il a été dénoncé.
Il est élevé au grade de chevalier de la Légion d’Honneur en 2015.
Claude Bloch s’est éteint le 31 décembre 2023 à l’âge de 95 ans.
Notes
[1] A l’époque, les cartes étaient encore écrites à la main.
[2] Etablissement d’enseignement où Raphaël Caraco est aussi scolarisé.
[3] Voir biographie de Jérôme SKORKA, illustrant ce cas.
[4] Claude comprit après coup le lien entre la manière dont elle le repoussa ce jour-là et le fait qu’elle lui ait dit de mette un pantalon long lors de l’arrestation.
[5] Voir biographie Régine SKORKA, qui confirme ce point.
[6] Claude explique que c’est une ancienne caserne polonaise et donc composée de bâtiments en briques.
[7] Claude explique que les kapos étaient des détenus de droit commun, des voleurs ou des assassins, à qui les Allemands avaient donné tous les droits sur les détenus.
[8] Les morts de la nuit devaient être sortis pour le comptage à l’appel.
[9] Claude émet l’hypothèse que c’est par pur sadisme que le SS prétendait arriver à un décompte différent de celui du matin, toute évasion étant impossible.
[10] Claude expose la construction de 5 bâtiments, un à Auschwitz 1 qui sera désaffecté après la construction de Birkenau, et 4 à Birkenau, avec salle de déshabillage, avec des « clous » numérotés, puis entrée dans la « salle de douche », contenant jusqu’à 1000 personnes. Il expose le fonctionnement de la chambre à gaz, y compris les sonder kommando. Il expose le « renouvellement » des membres du sonder kommando, pour éviter de laisser des traces.
[11] Claude raconte, à propos de cet épisode, l’intérêt des nazis pour certains enfants, à l’arrivée, soit pour leurs mensurations particulières, soit parce que c’étaient des jumeaux, pour faire des « expériences médicales ». Et cela le conduit à évoquer encore une fois la clairvoyance de sa mère, qui pour le prémunir de toutes ces horreurs inimaginables, lui avait fait enfiler un pantalon long lors de l’arrestation. « Ma mère m’a donné trois fois la vie : en me mettant au monde, en me faisant enfiler un pantalon long, et en me repoussant du côté des hommes à la sélection d’arrivée ».
[12] Claude explique cette destination surprenante par l’impossibilité d’un cheminement terrestre lié à la progression des Alliés.
[13] Claude raconte qu’avant le départ, les SS s’aperçoivent qu’ils ont « chargé » trop de déportés et n’ont plus assez de place, en font remonter et les jettent dans la mer baltique.
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Bonjour,
Je m’appelle Tom Marcelle, je suis en école de cinéma à Lyon (CinéCréatis) et je suis actuellement à la recherche d’intervenants pour un documentaire encadré par l’école de 5min sur l’Histoire et la mémoire de la prison de Montluc.
Je m’adresse à ce blog dans l’espoir de pouvoir contacter Mr. Bloch dans une interview filmé en fin novembre, début décembre entre les murs-même de la prison de Lyon.
Nous avons d’or et déjà l’autorisation de tourné dans la prison.
Si le projet plaît, a Mr. Bloch je vous laisse mes coordonnés pour plus de détail et d’information:
Tél : 06.38.78.22.20
Adresse mail : tommarcelle007@gmail.com
Cordialement,
Tom Marcelle.