Denise SCHNEER
Ci-contre : Photo d’identité de Denise Schneer en 1948-1952, Fonds d’archives : GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France
Denise Schneer est née le 15 juillet 1926 au Perreux-sur-Marne.
Acte de naissance de Denise SCHNEER (Mairie du Perreux-sur-Marne, France)
Denise est la cadette d’une fratrie de trois enfants tous nés au Perreux-sur-Marne composée de sa grande sœur, Paulette Schneer, née le 26 mai 1922, décédée le 17 janvier 2006 à Villejuif, et de son grand frère, Maurice Schneer, né le 18 mars 1925 et mort le 29 novembre 2011 à Longjumeau.
Actes de naissance de Paulette SCHNEER (à gauche) et de Maurice SCHNEER (à droite) (Mairie du Perreux-sur-Marne, France)
Ses parents, d’origine roumaine, rejoignent la France à la fin des années 1890. Sa mère, Sophie Schneer, née Scheiner le 7 mai 1889 à Galatz en Roumanie, fut naturalisée française le 7 mai 1896. Quant à son père, User David Schneer, tailleur, né le 12 mars 1885 à Botosani en Roumanie, il ne le fut que le 4 octobre 1927 :
Registre des naturalisations du 26 décembre 1896 (Bulletin des lois, Bulletin n°3065, Décret n°50350) Registre des naturalisations du 4 octobre 1927, p.62
Ces naturalisations s’inscrivent dans un contexte de vagues migratoires en provenance d’Europe de l’Est. En effet, à cause de la politique antisémite du tsar Alexandre III en 1881 (accrue par son successeur Nicolas II) et de la multiplication des pogroms, de nombreux juifs fuient les pays proches de la Russie et la « zone de résidence ». La « zone de résidence » est la partie ouest de l’Empire russe où étaient cantonnés les juifs de 1791 à 1917, qui incluait la principauté de Moldavie, actuelles Moldavie et région moldave de Roumanie (où se trouvent les villes de Galatz et Botosani d’où sont originaires Sophie Scheiner et User David Schneer). Les persécutions s’accentuant, de nombreux juifs ont fui cette « zone de résidence » et émigré vers l’Europe de l’Ouest (Catherine Gousseff, Les Juifs russes en France. Profil et évolution d’une collectivité)
La famille Schneer habite au 29bis, avenue Ledru Rollin au Perreux (Val-de-Marne)
La maison aujourd’hui où habitait la famille Schneer – Photo : D. Abassi
Le père de Denise, User David Schneer, est arrêté le 18 mars 1944 pour avoir refusé de trahir « la retraite de ses enfants » :
Certificat de déportation d’User David SCHNEER 15/08/1944
(Archives militaires de Vincennes, France)
Il est interné au camp d’internement de Drancy :
Fiches d’enregistrement au camp de Drancy de David et Denise Schneer (Archives nationales, F/9/5728)
Il est déporté le 27 mars 1944 par le convoi n°70 vers Auschwitz-Birkenau mais meurt dans le camp de concentration-centre de mise à mort de Lublin-Maïdanek, le 1er avril 1944, sans doute dès son arrivée :
Arrêté du 3 mars 2000 portant apposition de la mention « Mort en déportation » sur les actes et jugements déclaratifs de décès,
Source : legifrance.gouv.fr
Sa femme, Sophie, survit à la guerre et décède le 19 juin 1956 à Bagneux.
Le père de Denise arrêté pour avoir refusé de trahir « la retraite de ses enfants » ?
En effet, pendant la Seconde Guerre mondiale, Maurice Schneer, le frère aîné, qui exerçait avant la guerre le métier d’ouvrier fourreur, s’est engagé dans la Résistance. Il sera caporal chez les FFI sous le pseudonyme de « Minot ». De septembre 1943 à août 1944, ses activités clandestines le mènent au sein du maquis des Prondines dans le Puy de Dôme, à la Compagnie du Mont-Mouchet dans le Cantal, à la 44e compagnie ou encore dans la zone de guérilla n°4 dans le Puy-de-Dôme. Il reste en service jusqu’au 9 novembre 1944.
Photos de Maurice SCHNEER (Fonds d’archives GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France)
Certificat d’appartenance aux FFI (Fonds d’archives, GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France)
Pendant la guerre, étudiante, Denise Schneer, elle, est membre de l’UGIF et de l’EIF.
L’Union Générale des Israélites de France est créée le 29 novembre 1941 par le gouvernement de Vichy, sur injonction de l’Allemagne nazie. La loi créant l’UGIF vise à rendre repérable les Juifs de France, à les fondre en une seule communauté et à mettre fin à leur processus d’assimilation à la nation française. En contrepartie, l’Allemagne et Vichy garantissent l’existence d’un certain nombre de structures d’assistance. Ainsi l’UGIF assure la « représentation » des Juifs : elle est la seule interlocutrice valable auprès des Allemands et de Vichy. Elle assure aussi l’action sociale : elle verse des allocations aux foyers privés de revenus, finance les cantines populaires et les hospices… Mais la création de l’UGIF marque une rupture avec les traditions républicaines et laïques qu’a fondé la IIIe République.
Après les rafles de l’été 1942, est créé le « service social de la jeunesse » qui ouvre des maisons d’enfants à Paris et en banlieue (foyers de la rue Lamarck, de la rue Vauquelin, de l’ORT rue des Rosiers, centre de Louveciennes, la Varenne, Montreuil, Neuilly…). Ces maisons étaient sous le contrôle du Commissariat Général aux Questions Juives et de la Gestapo.
Le rôle de l’UGIF a suscité beaucoup de polémiques après guerre. Cette structure a été accusée de collaboration durant l’Occupation. Aux yeux des mouvements de résistance, l’UGIF symbolise « l’illusion d’une entente entre le bandit et la victime ». L’historien ne peut que tenter de cerner le degré de participation présumée des dirigeants de l’UGIF dans une machinerie infernale conçue par les nazis et devant impliquer progressivement leurs victimes dans le processus d’internement puis de déportation des Juifs de France. Aujourd’hui encore, persiste à ce sujet un débat historiographique. (Lire : Jean Laloum, L’UGIF et ses maisons d’enfants : le centre de Montreuil-sous-Bois, et M. Lafitte, Un engrenage fatal, Liana Levi, 2003)
Denise Schneer travaille au service n°19 foyer des jeunes de l’UGIF mais c’est au 9 de la rue Vauquelin dans le 5ème arrondissement que Denise est arrêtée.
Photos : M.Jalil
Elle est arrêtée lors de la rafle rue Vauquelin qui a lieu dans la nuit du 21 et du 22 juillet 1944. La maison d’enfants accueillait alors 33 filles juives : toutes sont arrêtées en même temps que Denise Schneer.
Fonds d’archives GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France
L’activité de résistante de Denise Schnner a commencé en juillet 1942 dans le cadre de son engagement dans l’organisation des EIF, les Éclaireurs Israélites de France. L’EIF, fondée en France en 1923, utilise une méthode éducative scoute dans le but de réunir tous les juifs. Les éclaireurs de France ont refusé de s’affilier avec l’EIF car ils la jugeaient « trop sectaire ». A l’instar des autres organisations juives de l’époque, l’organisation est dissoute le 29 novembre 1941. Suite à cela, de nombreux anciens membres de l’EIF ont rejoint la Résistance et ont créé leurs propres unités : Eclaireuses et Eclaireurs israélites de France, EEIF.
Parmi eux, Emmanuel Lefschetz. Il est jusque-là chargé de développer le MJS (Mouvement de la jeunesse sioniste) qui unit les différents mouvements de la jeunesse sioniste à Paris. A la suite de la rafle du Vel d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, il fait appel à des jeunes pour constituer au sein de l’EIF, la « Sixième », service social des Jeunes clandestins qui prendra notamment en charge les enfants dont les parents ont été arrêtés. Au sein de cette structure, E. Lefschetz coordonne la fabrication des faux papiers, du matériel clandestin et recherche des planques pour mettre à l’abri les Juifs recherchés par la police et la Gestapo.
Origines de la « Sixième » – Fonds d’archives CMXLIII/4/5/1, Mémorial de la Shoah, Paris, France
C’est ainsi que Denise Schneer intègre la « Sixième-EIF » à partir du mois de juillet 1942. Elle en fera partie jusqu’à son arrestation, le 22 juillet 1944. Sa participation à la « Sixième-EIF », service social des Jeunes clandestins, est attestée par les informations contenues dans les dossiers que Denise Schneer a monté après-guerre pour se faire reconnaître déportée politique :
– Son pseudo de résistante est « Furet »
Fonds d’archives : GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France
– Denise connaît E. Lefschetz ainsi que d’autres résistants sous leurs pseudonymes :
Fonds d’archives : GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France
– Elle recense ses activités clandestines :
Fonds d’archives : GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France
– Elle apporte des attestations prouvant son action résistante
Fonds d’archives : 21 P 672 155 53633, DAVCC, France Fonds d’archives : 21 P 672 155 53633, DAVCC, France – Obtenus grâce à l’association « Convoi 77 » –
En 1947-1948, l’EIF établit une liste et l’état de ses agents. On y trouve Denise Schneer avec comme observation : « Déporté-Rentré »
Fonds d’archives CMXLIII/4/5/6, Mémorial de la Shoah, Paris, France
Fiches d’enregistrement au camp de Drancy de David et Denise Schneer (Archives nationales, F/9/5728)
Pour les historiens Renée Poznanski et Denis Peschanski, (dans leur livre Drancy, un camp en France, Éditions Fayard-Ministère de la Défense, 2015), le camp d’internement de Drancy fut, d’août 1941 à août 1944, une plaque tournante de la politique de déportation antisémite en France. Conçu par Marcel Lods et Eugène Beaudouin dans les années 1930, le lieu est idéal pour éviter les fuites. En effet, le bâtiment en forme de U est un cul de sac entouré de barbelés. Le projet consistait à l’origine en habitations avec des grandes tours et un bâtiment en U sur trois étages. Les tours n’ont cependant pas trouvé acheteur et le bâtiment en U est resté inachevé pendant longtemps. Racheté par la défense, il abritait des gendarmes qui, par la suite, surveillent le camp. Avant d’être un camp d’internement pour les Juifs, il s’agissait d’un camp pour prisonniers de guerre pour les sous-officiers et soldats coloniaux.
De juillet 1943 jusqu’à la fermeture du camp le 18 août 1944, Drancy est dirigé par le commandant SS Aloïs Brunner.
Photographie d’Aloïs Brunner, dans R.Poznanski et D.Peschanski, Drancy, un camp en France, Fayard-Ministère de la Défense, 2015
Sous sa direction, le quotidien des internés est marqué par une violence exacerbée : ils participent à des travaux forcés, sont battus voire torturés. Dans le même temps, la nourriture et les conditions d’hygiène des juifs s’améliorent grâce aux colis collectifs de l’Union générale des israélites de France (UGIF).
Lors de son entrée dans le camp d’internement, Denise est fouillée et délestée de 35 francs (environ 6 euros aujourd’hui).
Carnet de fouilles de Denise Schneer lors de son arrivée au camp, Mémorial de la Shoah, Paris, France
Les futurs déportés sont placés dans des dortoirs dans les blocs 1, 2, 3, 4 et 5. Ils sont régulièrement déplacés. Au fur et à mesure que les résidents se rapprochaient du bloc 1, la date de leur départ approchait mais ils ne sont réellement prévenus de leur déportation que la veille.
Maquette du camp d’internement de Drancy, Mémorial de la Shoah, Drancy, France – Photo : E. Esbri
Cité de la Muette aujourd’hui, Photo E. Esbri
Le matin du 31 juillet, Denise ainsi que 1308 déportés embarquent dans les wagons du convoi n°77 qui les mènera vers Auschwitz. Ce sera le dernier grand convoi à partir du camp d’internement de Drancy en direction d’Auschwitz-Birkenau. Les conditions de trajet sont inhumaines : 60 personnes entassées dans un seul wagon de 20 m2 avec un seau hygiénique, une chaleur étouffante, du pain mais pas d’eau… Il n’était pas rare que des déportés meurent pendant le trajet, forme de première sélection. Le convoi fait une halte le deuxième jour, “un prisonnier par wagon est autorisé à aller chercher de l’eau à une fontaine” (Régine Skorza-Jakubert, Fringale de vie contre usine à mort, Ed. Le Manuscrit- Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009, p.147)
Auschwitz-Birkenau
Au-delà de la chronologie de cette période donnée par Denise Schneer dans les dossiers administratifs qu’elle a constitués après-guerre, nous n’avons pas trouvé de témoignages ou de documents de Denise Schneer sur sa déportation à Auschwitz-Birkenau puis à Kratzau. Pour reconstituer cette période, nous avons donc utilisé les témoignages d’autres membres du Convoi 77. Celui d’Yvette Dreyfus disponible sur le site Convoi 77 et ceux de Régine Skorza-Jakubert et des sœurs Bloch, Simone et Lison, dans leurs récits autobiographiques, respectivement titrés Fringale de vie contre usine à mort, Ed. Le Manuscrit- Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009 et Les petites juives de Kratzau, Ampelos, 2021.
Le convoi arrive sur la rampe intérieure du camp d’Auschwitz-Birkenau dans la nuit du 3 au 4 août 1944.
Fonds d’archives : 21 P 672 155 53633, DAVCC, France, obtenu grâce à l’association « Convoi 77 »
A l’arrivée du train, a lieu la « sélection ». Hommes et femmes sont séparés par les SS et une première sélection s’opère alors, effectuée par le docteur Mengele.
Photo issue de L’Album d’Auschwitz, Ed. Al Dante-Fondation pour la Mémoire de la Shoah, 2005
Les femmes sélectionnées pour entrer dans le camp de concentration n’ont pas plus de 30 ans, les autres, trop jeunes ou trop vieilles pour travailler, montent dans les camions qui les mèneront à la chambre à gaz. Denise Schneer fait partie du premier groupe. Celui-ci est mené jusqu’au « sauna » où on leur ordonne de se déshabiller.
Source : Musée d’Auschwitz, Pologne
Des hommes viennent alors chercher leurs vêtements pendant que d’autres munis de rasoirs leur tondent les cheveux, les aisselles et les poils pubiens. On tatoue à Denise Schneer son numéro de matricule, A16799. On leur distribue ensuite des vêtements civils.
Les femmes sélectionnées du Convoi 77 sont ensuite transférées dans des baraques en bois dans lesquelles se trouvent « des châlits à trois étages. Un lit pour dix personnes à chaque étage. Des planches et rien d’autre » (Régine Skorka-Jacubert, p.151) :
Photos : S. Brizard
Le lendemain de leur entrée au camp, les femmes sont réveillées par des coups de sifflet d’une Kapo (acronyme de Kamerad Polizei, elles aussi des détenues mais généralement des détenues de droit commun chargées de commander les déportées de leur baraquement pour les services du camp ou pour les travaux extérieurs). On fait l’appel des membres du baraquement puis les détenues du Convoi 77, privées de contact avec les autres femmes du camp, sont assignées à des tâches sans réel sens : le quotidien de Denise va alors consister, comme pour les autres déportées sélectionnées du convoi 77, à transporter des pierres, des briques d’un endroit à l’endroit où elles les avaient prises. Inutile, ce travail avait pour but de les épuiser. Leur quotidien est aussi marqué par la crainte des sélections qui pouvaient les mener à la chambre à gaz.
Selon les dossiers remplis par Denise Schneer après la Seconde Guerre mondiale, elle reste à Auschwitz-Birkenau jusqu’en septembre 1944 avant d’être transférée pour le camp de travail (l’Union Werk) de Kratzau, dans le « Grand Reich » :
Fonds d’archives : 21 P 672 155 53633, DAVCC, France, obtenu grâce à l’association « Convoi 77 »
Notons qu’Yvette Dreyfus ou Régine Skorka-Jacubert indiquent, elles, quitter Auschwitz-Birkenau pour Kratzau le 27 octobre 1944. Y-a-t-il eu plusieurs transferts de membres du convoi 77 pour Kratzau entre septembre et fin octobre 1944 ?
Le camp de Kratzau est une antenne de fabrication de munitions dépendant du camp de concentration de Gross Rosen :
https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/map/gross-rosen-subcamps-1940-1945?parent=fr%2F6074
Kratzau
Durant le transport, Régine Skorka-Jacubert écrit qu’elles sont entassées dans des wagons à bestiaux, plus de 100 par wagon, “sans nourriture, sans eau, sans aucune hygiène” (p.77). Le trajet dure deux jours selon Régine Skorka-Jacubert (”Nous avons mis deux jours pour faire trois cents kilomètres”) mais trois selon Yvette Dreyfus (”Le voyage a duré aussi 3 jours et 3 nuits”).
Le premier matin après leur arrivée, on les assigne à divers postes de travail (cuisine, usine…). Nous ne savons pas la tâche assignée à Denise Schneer mais il est probable qu’elle ait dû fabriquer des armes à l’usine comme ce fut le cas pour la majorité des détenus du camp à l’instar d’Yvette Dreyfus : « J’ai travaillé dans une usine d’armement. Je travaillais devant un tour et je fabriquais des pièces de pistolet pour le modèle P36 mais aussi pour des fusils. Par la suite, j’ai fabriqué des tuyères, des sortes de tuyaux, que l’on remplissait de poudre, placés sous les V1 et les V2 »
Les Juifs ne sont pas les seuls détenus du camp, s’y trouvent aussi des Français ayant refusé la nationalité allemande, des Yougoslaves, des Italiens prisonniers de guerre, etc… Toutes et tous y travaillent comme ouvrier, ouvrière mais la communication est interdite entre les différents groupes. Ils ne sont cependant pas toujours surveillés, notamment dans l’atelier de peinture. L’émanation d’acétone y est en effet dangereuse pour la santé. Ainsi, loin des regards des officiers allemands, de l’entraide a parfois pu être observée entre les groupes d’ouvriers et les détenus juifs.
A Kratzau, il n’y a pas d’appel le matin et de « sélection » comme à Auschwitz-Birkenau. Mais l’hiver 44 est particulièrement rigoureux. Les détenues ne sont pas chaussées, sont mal habillées, peu nourries (on leur fournit un café et un morceau de pain le matin et une soupe le soir) et les baraquements pas chauffés (elles ne disposent que d’une couverture pour dix). Le dimanche y est un jour spécial : on ne travaille pas, les prisonniers reçoivent 3 ou 4 pommes de terre bouillies, a lieu la séance d’épouillage durant laquelle toutes ensembles, assises en file indienne, chacune cherche les poux de celle située devant elle (Simon et Lison Bloch, p.84).
Fin avril 1945, les prisonniers et prisonnières de Kratzau se rendent compte de la mort d’Hitler, en voyant les drapeaux en berne. Un vent d’espoir souffle alors sur le camp. Une rumeur selon laquelle le front russe se rapproche circule et bientôt les détenus voient les Allemands, civils comme militaires, fuir.
Le 8 mai 45, le camp apprend la fin de la guerre par des prisonniers italiens qui jettent des miches de pain dans leur rang. Le 9 mai, en se levant, les détenus ont la stupeur de découvrir un camp sans Allemands, sans SS. Le camp est « libéré » par les Soviétiques pour Yvette Dreyfus et les sœurs Cohen (par des partisans tchèques selon la biographie de Régine Slorka-Jacubert) qui racontent cette arrivée, avec une moto qui arrache la porte du camp, un tank qui pénètre dans le camp… Les Russes installent une sorte de cantine. Cependant, après cette première assistance, aucune aide ne leur est apportée. Les déportées se sentent abandonnées : « Quand je pense à ma libération et aux jours qui ont suivi, le sentiment qui domaine est celui d’un immense abandon. Personne ne s’est occupé de nous » (Y. Dreyfus): pas de nourriture, pas de guide ni de transport hors du camp, la plupart se résolvent à voler dans les villages alentours, désertés par les Allemands.
Yvette Dreyfus raconte, qu’accompagnée d’une de ses camarades, elle s’est « rendue à la mairie de Kratzau » et a « obtenu du maire en personne un laissez-passer » pour rejoindre la France pour elle et huit de ses camarades ; parmi elles, Denise Schneer :
Laissez-passer du maire de Kratzau, Fonds privé Yvette Dreyfus
De retour en France, Denise est hospitalisée. Sa période de convalescence s’étend du 23 mai 1945 au 24 janvier 1947.
Document de remboursement de sa convalescence – Fonds d’archives : GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France
Sans doute fut-elle encore hospitalisée après cette date, puisqu’en 1948, elle demande à recevoir des indemnités pour un séjour de deux mois dans le centre de repos de l’Association nationale des Déportés et Internés de la Résistance :
Fonds d’archives : GR 16 P 540562, Archives militaires de Vincennes, France
En 1950, elle reçoit une pension d’invalidité temporaire (3 ans) de 25% pour des troubles digestifs et des séquelles d’avitaminose.
Fonds d’archives : 21 P672 155 53633, DAVCC, France, obtenu grâce à l’association « Convoi 77 »
Dans le même temps, elle tente de se faire reconnaître déportée politique. Homologuée caporal par la Résistance Intérieure Française en 1949, soutenue par des attestations de résistants (cf. supra), sa demande d’attribution du titre de déportée politique est malgré tout rejetée en 1950 (document de gauche) mais aussi en 1952 car elle est alors reconnue comme déportée raciale (document de droite)
Fonds d’archives : 21P 672 155 53633, DAVCC, France Fonds d’archives : 21 P 672 155 53633, DAVCC, France- Obtenus grâce à l’association « Convoi 77 » –
Sa demande est finalement acceptée en 1953 :
Fonds d’archives : 21 P672 155 53633, DAVCC, France, obtenu grâce à l’association « Convoi 77 »
Ses difficultés à être reconnue déportée politique s’expliquent peut-être par le refus réitéré et définitif des demandes de l’EIF en 1948, 1949, 1951 et 1958 de faire reconnaître la « Sixième » comme mouvement de résistance et de l’intégrer au sein de la RIF (après avoir pourtant d’abord été homologué en 1947) :
Historique des refus de reconnaissance de la « Sixième » comme mouvement de résistance, Fonds d’archives : CMXLIII/4/5/1, Archives Mémorial de la Shoah, Paris, France
Devant ces demandes rejetées, l’EIF abandonnera cette démarche. D’où, in fine, son statut de « résistante isolée » :
Fonds d’archives : P 672 155 53633, DAVCC, France, obtenu grâce à l’association « Convoi 77 »
La vie privée après la guerre
Le 23 novembre 1954 à Paris, dans le 9e arrondissement, Denise, devenue professeur dans une école de commerce, se marie à un certain Léon Cohen dont elle divorcera. Elle se remarie le 23 avril 1976 avec Robert Kraemer (son second mariage pour lui aussi) à Paris dans le 15e arrondissement.
Acte de naissance de Robert KRAEMER (Mairie de Strasbourg, France)
Denise et Robert vont habiter à Bourron-Marlotte en Seine-et-Marne. Robert y meurt le 23 janvier 2011.
En 2015, le 8 mai, Denise Kraemer est promue chevalier de la Légion d’honneur par le Préfet Jean-Luc Marx au titre de la promotion spéciale 1939 – 1945 et est récompensée de la médaille d’honneur de la ville de Bourron-Marlotte à l’occasion de la cérémonie du 14 juillet par son maire Jean-Pierre Joubert :
« En arrivant au camp, vous avez levé le bras en signe de résistance à la violence et c’est ce qui vous a sauvé la vie une première fois puisque vous avez été reconnue « bonne pour le travail », a indiqué Jean-Pierre Joubert dans son discours. La libération des camps par les forces alliées est heureusement intervenue neuf mois après votre incarcération et c’est pourquoi vous êtes avec nous aujourd’hui. En ce jour de fête nationale, qui est aussi la date de votre naissance puisque vous êtes née dans la nuit du 14 au 15 juillet 1926, je suis heureux de vous remettre la médaille d’honneur de Bourron-Marlotte, une commune que vous aimez beaucoup, et de vous souhaiter un très heureux anniversaire. »
Denise n’a pas eu d’enfants mais son frère Maurice en a eu plusieurs. Nous avons réussi à contacter sa petite fille sur Facebook, Gentiane Schneer (donc la petite nièce de Denise). Ne l’ayant pas beaucoup côtoyée, étant très jeune quand elle l’a connue (elle était âgée d‘une dizaine d’années), elle nous a indiqué que « Denise n’[avait] jamais vraiment évoqué toute cette période de vie, elle était très marquée par tout ce qu’elle a vécu dans sa jeunesse et le fait qu’ils ont perdu leur père, morts dans les camps en Pologne » (entretien sur Messenger avec Maëlys Huard, 17/05/2022).
Le 3 mars 2019, Denise décède à l’Hostellerie du Château, située à Lorcy dans le Loiret.
Acte de décès de Denise SCHNEER (Mairie de Lorcy, France)
Denise est enterrée au cimetière parisien de Bagneux dans le caveau familial avec notamment sa mère, Sophie Schneer, sa sœur Paulette Schneer et son mari Robert Kraemer.
Photo de la tombe de Denise SCHNEER au cimetière parisien de Bagneux. (Division 3, ligne 8, tombe 5) Photo M. Huard
BIBLIOGRAPHIE :
1. M. Lafitte, Un engrenage fatal, Liana Levi, 2003
2. R. Pozanski, D. Peschanski, Drancy, un camp en France, Fayard-Ministère de la Défense, 2015
3. L’Album d’Auschwitz, Ed. AL-Dante-Fondation pour la Mémoire de la Shoah, 2005
4. Régine Skorza-Jakubert, Fringale de vie contre usine à mort, Ed. Le Manuscrit- Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2009
5. Simone, Lison Bloch, Les petites juives de Kratzau, Ampelos, 2021
Grand merci particulier à Dorothée Boichard, documentaliste au Mémorial de la Shoah, et à Stéphanie Perrin, Chargée du pilotage et de la coordination de l’action pédagogique au Service historique de la Défense, pour leur gentillesse, disponibilité et efficacité.
En complément :
Consulter la biographie de Necha GOLDSZTEJN
This biography of Denise SCHNEER has been translated into English.