Edmund SANDMANN

1938 - 1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: , , ,

La tragique odyssée du jeune Eddy SANDMANN

En l’absence de photo d’Eddy, nous reproduisons ci-contre son acte de naissance.

Par Laurent Moyse, qui a fait des recherches approfondies et rédigé un article qui est paru dans le cahier culturel (Die Warte) du principal quotidien luxembourgeois, le Luxemburger Wort. Convoi 77 remercie Monsieur Laurent Moyse et Die Warte, pour l’autorisation de reproduction de cette publication.

Né en 1938 à Luxembourg, Edmund Sandmann et ses parents fuient le Grand-Duché occupé en 1941. En France, la tentative de sauver le jeune garçon des griffes de l’occupant nazi échoue en dernier ressort. Il est déporté en 1944 de Drancy à Auschwitz.

L’acte de naissance du 9 mai 1938 conservé dans l’état civil de la commune de Luxembourg indique que la veille – le 8 mai 1938 –est né à une heure de l’après-midi, route d’Arlon à Luxembourg, un nourrisson du nom d’Edmund, fils de Moses Sandmann, 31 ans, et de Hena Haresztark, 23 ans. On n’en apprend guère plus dans ce document si ce n’est que le père exerce la profession de serrurier et qu’il habite avec sa femme à Luxembourg. Eddy, comme on le surnomme ensuite, fait le bonheur d’un couple qui s’est marié le 16 juillet 1935 à Luxembourg. L’époux, Moses Sandmann, est un Polonais de confession juive né le 28 février 1905 à Tourka, petite ville rurale de Galicie dont la population compte une forte composante juive. Cette localité, alors sous l’emprise autrichienne, devient polonaise dans l’entre-deux-guerres et se situe à l’extrémité occidentale de l’Ukraine, non loin de la frontière actuelle la séparant de la Pologne. Moses est le fils de Lejzor Sandmann et de Pepi Kupferberg, tous les deux originaires de Tourka. Comme nombre de Juifs de cette région, Moses se résout à quitter sa terre natale pour fuir la misère et l’hostilité environnante auxquelles il est confronté. Il se rend en 1929 dans la ville de Stryï (Stryj en polonais) où il se fait délivrer un passeport le 11 juillet de cette même année. Le 20 juin 1930, il obtient un visa pour se rendre au Grand-Duché de Luxembourg où il se voit accorder un permis de travail. Il arrive le 22 juillet 1930 dans ce petit pays pour rejoindre son frère Wolf Sandmann, qui a trouvé un emploi comme employé de bureau à la fabrique de draps des frères Godchaux au lieudit Schläifmillen. Si Wolf quitte son emploi dans cette fabrique peu de temps après l’arrivée de Moses, ce dernier est engagé en août 1930 à la poudrerie de Kockelscheuer comme gardien de nuit. Sa profession de serrurier ne lui permettant pas de vivre décemment, Moses accepte cet emploi nocturne et est chargé par la suite de s’occuper aussi de l’installation de chauffage.

Au début, il loge à la cantine de la poudrerie car il est sans ressources. Un rapport de deux gendarmes de Bettembourg daté du 15 décembre 1934 indique que, compte tenu de la crise économique affectant la fabrique de poudre, il ne travaille que cinq jours par semaine en tant que célibataire, alors que les hommes mariés – qui doivent entretenir une famille–ont le droit de travailler six jours. Son salaire s’élève dans un premier temps à 750 francs par mois. Les gendarmes qualifient Moses Sandmann d’employé «travailleur, calme et paisible». Durant l’été 1931, il trouve de quoi se loger à Bonnevoie (Baumstraße 28) et y reste jusqu’au 12 janvier 1932. Il retourne ensuite à Kockelscheuer où il a repéré un petit logement de deux pièces dont le loyer s’élève à120 francs par mois. Le 28 juin 1935, il déménage à nouveau, cette fois au centre de Luxembourg, au numéro 20 de la place Guillaume. Il est vrai qu’entre-temps, il a fait la connaissance d’une jeune femme, Hena Haresztark, arrivée au début de l’année 1935 de Pologne et qui loge momentanément chez des membres de sa famille dans le quartier du Grund. Hena est née le 15 juillet 1914 à Glusk, un village polonais qui, de nos jours, est un quartier à part entière de la ville de Lublin. Elle est la fille de Lejzor Haresztark et Sura Goldberg, tous deux originaires de Glusk. Malgré une différence d’âge de neuf ans, Moses et Hena décident de s’unir pour la vie dès l’été 1935. Le couple s’installe place Guillaume et Moses se rend régulièrement à son travail à Kockelscheuer, où il gagne entre-temps de 800 à 900 francs par mois. Dans un rapport daté du 26 janvier 1939, un brigadier note que «Sandmann est un homme très sobre et un employé régulier.» Il ajoute que ce dernier ne s’adonne à aucune activité politique. Le foyer familial s’anime en mai 1938 avec la naissance d’Edmund.

La quiétude du couple ne sera cependant que de courte durée. En Allemagne, les nazis –arrivés au pouvoir en 1933 – renforcent leur répression et de nombreux Juifs allemands et autrichiens cherchent refuge au Luxembourg. En 1939, les observateurs les plus pessimistes sont persuadés qu’on se trouve au seuil de la guerre. Le 10 mai 1940, soit le lendemain du deuxième anniversaire de la naissance du petit Eddy, la Wehrmacht envahit le Luxembourg et occupe le pays. Début août, l’administration civile allemande prend le relais, avec à sa tête le Gauleiter Gustav Simon.

Fuite vers la zone libre

Pour la famille Sandmann, comme pour les autres familles juives qui ne parviennent pas à fuir immédiatement hors du pays, l’atmosphère est lourde de menaces. Dépouillées, humiliées et progressivement isolées du reste de la société, toutes ces personnes sont indésirables aux yeux de l’occupant, qui souhaite s’en débarrasser au plus vite. Une des premières mesures que prennent les nazis est de bloquer les comptes bancaires. Moses et Hena sont privés d’un argent qu’ils ont péniblement gagné ces dernières années et placé sur un livret d’épargne (2500 francs figuraient sur leur compte début 1939). Les conditions de vie deviennent précaires, ce dont souffre aussi le jeune Eddy. Pour les Sandmann, le départ de Luxembourg est donc impératif. Or c’est plus facile à dire qu’à faire: il faut notamment se procurer un laisser-passer pour pouvoir quitter le pays. Le 16 janvier 1941, Moses, Hena et Edmund Sandmann parviennent enfin à quitter le Luxembourg vers la France au sein d’un convoi qui compte 39 personnes. Ils traversent la zone occupée et gagnent la partie administrée par le régime de Vichy, lequel est placé sous l’autorité du maréchal Philippe Pétain. Or ce régime collaborationniste a édicté le 4octobre 1940 une loi selon laquelle les préfets peuvent interner les Juifs étrangers dans des «camps spéciaux». De nationalité polonaise, les Sandmann sont donc dans le collimateur des autorités.

Après avoir passé quelques mois à Marseille, ils sont arrêtés et internés dans le camp de Rivesaltes.
Malade, Eddy est envoyé à l ’hôpital le plus proche, à Perpignan. Hena, sa maman, s’inquiète de son sort. L’éloignement de son fils lui pèse et elle s’adresse à l’OSE, l’Œuvre de secours aux enfants, une association juive qui tente d’extraire les enfants du camp d’internement pour les placer dans des centres d’hébergement. L’OSE tient en effet une permanence à Rivesaltes et parvient avec grande difficulté à placer un grand nombre d’enfants dans des maisons d’accueil, la plupart situées dans le centre de la France. Chaque semaine, Hena se rend dans cette permanence en suppliant le personnel de prendre Eddy dans une pouponnière.

Un fils méconnaissable

A mesure qu’Eddy retrouve sa santé, l’OSE tente de le faire sortir de l’hôpital et n’y parvient qu’en février 1942. Il est prévu qu’il intègre un groupe d’enfants devant quitter Rivesaltes pour être dirigés vers la Creuse. Quelques jours avant le départ, Hena –qui n’a plus vu son fils depuis des mois –obtient une permission exceptionnelle d’aller lui rendre visite à l’hôpital. Elle parcourt à pied les huit kilomètres qui séparent le camp de l’établissement hospitalier. Lors de son arrivée à Perpignan, elle trouve Eddy dans un état déplorable: il parle un charabia incompréhensible, ne reconnaît pas sa mère et sait à peine marcher. Elle en est bouleversée. Le jour du départ, Eddy quitte l’hôpital et monte dans le train au départ de Perpignan. Le train s’arrête trois minutes à la gare de Rivesaltes pour permettre aux enfants du camp de monter et de s’y installer. Vu les circonstances, Hena a reçu l’autorisation de venir à la gare pour embrasser son fils. Elle le revoit un très bref moment au milieu du tumulte des enfants en partance. Selon Vivette Samuel, qui dirige alors la permanence de l’OSE au camp de Rivesaltes, «le visage d’Eddy semble une pâle figure de cire restée trop longtemps à l’abri de la lumière». Le frêle garçon est conduit au château de Chabannes, à Saint-Pierre-de-Fursac dans la Creuse. L’enfant souffre apparemment d’un prolapsus rectal. Le directeur de cette maison d’accueil hésite à le prendre car les soins ne sont pas faciles à administrer dans une collectivité composée d’une centaine d’enfants. Le séjour d’Eddy dans ce foyer –que dirige de main de maître un ancien imprimeur et journaliste, Félix Chévrier, secondé par une équipe très motivée –est fort bénéfique pour ce garçon. L’ambiance chaleureuse qui y règne lui apporte une joie de vivre telle que sur une photo de lui qui est envoyée au camp de Rivesaltes en mai 1942, il est méconnaissable. Selon Vivette Samuel, «c’est une véritable résurrection. On nous dit qu’il est gai et turbulent. Il est devenu très beau. Sa mère pleure de joie.» La joie sera toutefois de courte durée. Les rafles des Juifs étrangers commencent en zone libre durant l’été 1942. Les camps d’internement se remplissent en vue de déporter les familles. Les internés de Rivesaltes sont transférés à Drancy puis déportés à Auschwitz. Les parents Sandmann en font partie. Moses et Hena sont déportés par le convoi du 11 septembre 1942. Le regroupement familial décrété par Pierre Laval sert de justification aux autorités de Vichy pour rechercher aussi les enfants. L’OSE pare au plus pressé et éloigne les enfants des maisons d’accueil pour éviter qu’ils soient pris. Les responsables les emmènent à Marseille et entreprennent les démarches nécessaires pour qu’ils puissent émigrer aux Etats-Unis. Mais la guerre est à un tournant. En novembre 1942, les Américains débarquent en Afrique du Nord, tandis que l’Allemagne nazie étend son occupation à la zone sud de la France. Désormais la déportation guette tous ceux qui n’ont pas pu quitter la France. Les membres actifs de l’OSE se plient en quatre pour tenter de sauver un maximum d’enfants. Ils les placent dans des familles d’accueil en leur faisant changer d’identité lorsque les centres d’hébergement ne sont plus sûrs.

En mars 1943, Eddy est confié à la famille Savarin, qui réside dans le département de l’Indre. Il y passe un peu plus d’un an mais en mai 1944, des indiscrétions le mettent en danger. Il faut donc l’éloigner à nouveau et la décision est prise de le faire passer clandestinement en Suisse. Eddy a alors six ans. Il est emmené à Lyon pour y passer la nuit, en attendant de le faire franchir la frontière le lendemain. Comble de malheur, il est hébergé dans une famille juive, les HALIMI, de Lyon, qui se fait arrêter cette même nuit. Le lendemain matin, quand une personne arrive au domicile pour l’amener en lieu sûr, elle trouve l’appartement vide.

Transféré à Drancy, le jeune Eddy est déporté le 30 juillet 1944 par le dernier grand convoi qui emmène les déportés à Auschwitz. Le hasard fait qu’il se trouve dans le même transport qu’un autre enfant originaire du Grand-Duché : Marcel Handzel, né à Esch-sur-Alzette et âgé de neuf ans au moment de sa déportation, avec sa mère, comme rapporté dans sa biographie publiée sur le site CONVOI 77 (cf. également Die Warte, 23 novembre 2017). L’opération de sauvetage a échoué alors que les Américains ont débarqué en Normandie et se mettent à libérer la France avec leurs alliés. Comme pour ses parents, la déportation d’Eddy vers l’Est est un voyage sans retour.

Sources :

  • Etat civil de la commune de Luxembourg,
  • AN Lux, police des étrangers, dossier no 219416
  • Vivette Samuel, Sauver les enfants, éditions Liana Levi, 1995, pp. 202-204
  • Beate et Serge Klarsfeld, Le mémorial de la déportation de Juifs de France, Paris, 1978

Contributeur(s)

Laurent MOYSE

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1 Comment
  1. Klejman Laurence 5 ans ago

    Très belle bio, mais qui ouvre sur des questions. Eddy a effectivement été arrêté avec les parents et les 3 enfants Halimi. Est-ce une coïncidence affreuse? La personne qui a amené l’enfant était-elle suivie? Quel était le réseau de sauvetage? Pourquoi les Halimi, juifs nés en Algérie, dont le père de famille était un ex employé des Postes, hébergeaient-ils un enfant juif? Avez-vous des informations complémentaires? (le village où vivaient les Savarin, par exemple?)

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