Joseph TABAK
Ci-contre : Fiche d’internement à Drancy de Joseph Tabak. (Mémorial de la Shoah)
Nous vous invitons à visiter l’exposition en ligne réalisée par la classe de terminale 4 sur la famille maternelle des enfants Dembicer et Tabak et la réflexion sur le négationnisme menée à l’aide de M. Vincent Geny, professeur de philosophie.
Vous pouvez aussi regarder la cérémonie d’inauguration de l’exposition présentée au lycée le 25 mai 2023.
De même, vous pouvez voir la présentation faite au conseil régional de Strasbourg le 16 mai 2023 par les terminales qui ont participé à un voyage d’étude à Auschwitz.
Malgré toutes nos recherches, nous ne sommes pas parvenus à trouver de photo de Joseph Tabak. Nous présentons donc sa fiche d’internement à Drancy qui récapitule sa brève existence.
« Insoumission à la loi sur le recrutement sur l’armée en temps de paix »
Pour commencer cette enquête, nous nous sommes appuyés sur le dossier militaire de Joseph Tabak établi entre 1952 et 1961 au moment où l’armée le cherchait pour accomplir son service militaire.
Courrier du tribunal militaire permanent de Metz au Service des Déportés du Ministère des Anciens Combattants de Metz daté du 27 février 1952 cherchant à vérifier que Joseph a bien été déporté. (Archives du Service Historique de la Défense)
Joseph Tabak fait l’objet d’une enquête militaire car il ne s’est pas fait recenser, ne s’est pas présenté au conseil de révision et n’a pas accompli son service militaire. Il est accusé d’«insoumission à la loi sur le recrutement sur l’armée en temps de paix » autrement dit il est considéré comme déserteur. L’enquête déjà en cours à l’époque a permis d’établir qu’il a été interné au camp de Drancy et déporté à Auschwitz en juillet 1944. En 1961, le tribunal de grande instance de Metz établit la date du décès de Joseph Tabak au 5 août 1944 à Auschwitz.
Copie de l’acte de naissance de Joseph Tabak, avec mention marginale de son décès apposée en 1961. Cette copie a été transmise à l’Office National des Anciens Combattants en 2011 de façon à ce que Joseph soit reconnu comme « mort en déportation. »
(Archives du Service Historique de la Défense)
Avec l’aide des nombreux documents fournis par Julia Ghisalberti, petite-cousine de Joseph Tabak, nous reprenons cette enquête pour tenter de mieux connaître sa brève existence.
La vie à Metz jusqu’en 1939
Joseph TABAK est issu d’une famille tchécoslovaque qui a immigré en France en 1926 en même temps que les parents et frères et sœurs de sa mère. D’après une enquête menée en 1973 par l’association d’entraide juive United HIAS Service, son père, Salomon, aurait vécu et travaillé à Paris en 1923-24 alors que sa femme et ses filles vivaient encore à Jasina en Tchécoslovaquie. Joseph est né le 30 décembre 1930 au 15 rue du Pontiffroy c’est-à-dire chez ses parents. Il est le cinquième enfant de la famille. Les trois filles, Rose, Berthe et Frieda, sont nées en Tchécoslovaquie et les 4 garçons sont nés à Metz mais 2 d’entre eux sont morts très jeunes, Lazard (1926-1927) et Jules (1932-1933). Parmi ses frères, Joseph a donc surtout connu Jacques né en 1936 alors qu’il avait cinq ans et demi.
Courrier du 3 mai 1973 adressé par le ministère des Anciens Combattants au président de l’United HIAS Service.
(Archives du service historique de la Défense).
Fiche domiciliaire de Salomon Tabak (Archives municipales de Metz)
Nous avons réalisé l’arbre généalogique de la famille de Joseph TABAK . Grâce aux dossiers de renouvellement de cartes de travailleur étranger de Rose et Frieda conservés aux archives départementales de Charente-Maritime et à une photo de groupe prise à Mareuil en Charente en 1942, nous pouvons montrer les visages des trois filles. Par contre, nous n’avons aucune photo de leurs parents ni de leurs frères.
L’arbre généalogique de la famille de Joseph Tabak
Son père, Salomon Tabak est né le 15 janvier 1896 à Bilina, il est menuisier-ébéniste. Le 21 novembre 1935, il épouse à la mairie de Metz Laja ou Léa Brunwasser née le 24 mai 1896 à Bogdan alors qu’ils ont déjà quatre enfants. On peut supposer qu’ils s’étaient précédemment mariés religieusement mais que ce mariage n’était pas reconnu par les autorités françaises. On note sur l’acte de mariage que Léa signe par des croix car elle ne sait pas écrire. La famille a habité à plusieurs adresses dans le quartier du Pontiffroy, quartier juif de Metz. A partir de 1935, elle s’installe au 17 rue de la Chèvre. L’atelier de Salomon est situé rue du Grand Wad.
Acte de mariage de Léa et Salomon Tabak.
(Archives municipales de Metz)
L’immeuble du 17 rue de la Chèvre en 2022.
(Photo prise par Antonin, Nina, Romane et Théo)
D’après les recensements fait à Royan 1940, on apprend que Rose et Berthe (les deux filles aînées) sont vendeuses et que Frieda est modiste, c’est-à-dire qu’elle fabrique des chapeaux. Des dossiers de renouvellement de papiers pour travailleurs étrangers, également conservés aux archives départementales de Charente-Maritime, nous apprennent qu’à Metz, Rose était vendeuse rue du Petit-Paris chez M. ou Mme Wagner et que Frieda était apprentie modiste chez Mme Maria Steffenboer, rue du Palais. Avant cela, on sait qu’elles ont été scolarisées au lycée de jeunes filles de Metz, c’est-à-dire le lycée Georges de la Tour.
Recensement des juifs réfugiés à Royan en 1940.
(Archives départementales de Charente-Maritime)
Nous n’avons aucune photographie de Joseph. Par contre, des camarades du lycée Fabert de Metz et leur professeur, Madame Boelle, ont trouvé aux archives départementales de la Moselle une partie de son dossier scolaire lorsqu’il était à l’Ecole préparatoire de Metz qui était située rue Chambière. Ces documents nous permettent d’avoir un aperçu de sa personnalité. Ils concernent les années scolaires 1936-1937 et 1937-1938 soit les années où Joseph était en cours préparatoire et en première année de cours élémentaire. Il s’agit de graphiques de travail et d’un bulletin scolaire. On note qu’il ne vient plus en classe à partir de mai 1937 car il est en colonie de vacances.
On voit que Joseph est un élève plutôt moyen dans l’ensemble des disciplines mais qui progresse régulièrement. En début de cours préparatoire, son niveau est jugé médiocre. En fin d’année, il est considéré comme assez bon puis bon un an plus tard. Il a un profil plus littéraire que scientifique puisqu’il n’a que 4/10 en mathématiques en juillet 1938 alors qu’il obtient 9/10 en orthographe. C’est un élève peu soigneux car ses résultats en écriture et en dessin sont insuffisants. Il est jugé peu travailleur : il ne fait que peu d’efforts en récitation et sa note globale de travail n’est que de 5/10. Il semble ne s’être vraiment mis au travail qu’à partir de juin 1938. Quant à son comportement, il semble laisser à désirer puisqu’il n’obtient que 6/10. Il est par contre assidu.
Graphique de travail de Joseph Tabak pendant l’année 1936-1937.
(Archives départementales de la Moselle)
Graphique de travail de Joseph Tabak pendant l’année 1937-1938.
(Archives départementales de la Moselle)
Bulletin scolaire de Joseph Tabak de juillet 1938.
(Archives départementales de la Moselle)
Par ailleurs, on sait qu’il a eu plusieurs oncles et tantes et cousins germains qui habitaient près de chez lui. On peut supposer que les premières années de sa vie ont été plutôt heureuses. Peu après la naissance de son frère Jacques, en octobre 1936, ses parents font une demande de naturalisation pour les deux garçons, en vertu de la loi sur la nationalité de 1927. Comme ils sont nés en France, cette demande aboutit et ils deviennent français.
Cette vie paisible à Metz est bouleversée par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939.
La famille déplacée pendant la guerre (1939-1942)
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Gorze en septembre 1939
Extrait du dossier de renouvellement de papiers de travailleur étranger de Rose Tabak.
(Archives départementales de Charente-Maritime)
Grâce aux dossiers de renouvellement de papiers de travailleurs étrangers faits par Rose et Frieda, conservées aux archives départementales de Charente-Maritime, on apprend que le 4 septembre 1939, soit le lendemain de la déclaration de guerre, elles sont à Gorze, petit village à la limite de la Meurthe et Moselle. On suppose qu’elles sont parties avec toute la famille pour tenter d’échapper au danger. Cependant, comme il apparaît rapidement avec la « Drôle de guerre » qu’aucun combat ne se produit, la famille est de retour à Metz dès le 19 septembre 1939.
Extrait du journal Le Lorrain daté du 8 janvier 1940.
Au début janvier 1940, dans les faits divers du journal Le Lorrain, il est signalé que Salomon s’est fait voler son vélo. Cela nous montre que la famille est encore présente à Metz. Cette information est confirmée par la fiche domiciliaire qui indique, sans préciser la date, qu’elle part en 1940 à Royan.
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Royan en 1940
Royan est une station balnéaire de Charente-Inférieure qui reçoit beaucoup de réfugiés lorrains qui logent dans des maisons de vacances inoccupées en ce début d’année. Les Tabak y retrouvent de nombreux membres de la famille de Léa notamment sa sœur Hélène Sobel, son mari et leurs quatre fils qui, à un moment donné semblent loger avec eux dans la villa « Les Pivoines », avenue de la Grande Plage. Il y a aussi son autre sœur, Rose Dembicer et ses enfants, Cécile et Simon. C’est d’ailleurs Salomon qui complète la fiche de recensement de Rose dont le mari est au front. Le dossier de renouvellement de papiers de travailleur étranger de Rose Tabak mentionne qu’elle est au chômage, que la famille est sans ressource, qu’elle reçoit une allocation de réfugiés de 62 francs par jour et bénéficie de la gratuité du logement.
Extrait du dossier de renouvellement de papiers de travailleur étranger de Rose Tabak.
(Archives départementales de Charente Maritime)
La famille reste à Royan jusqu’en novembre 1940, date à laquelle le littoral atlantique est interdit aux Juifs par les occupants allemands. La famille est alors envoyée à Mareuil en Charente.
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Mareuil de fin 1940 à octobre 1942
Mareuil est un petit village dans lequel dix familles juives comprenant en tout 27 personnes sont envoyées fin 1940. Les TABAK s’installent dans une petite maison. Nous avons téléphoné à la directrice de l’école primaire du village qui nous a confirmé que les garçons ont bien été scolarisés au village mais que les dossiers ont été perdus.
Le livre Mareuil de fête qui reprend le livre de Raymond Troussard Les chemins pour l’enfer montre que la famille TABAK était bien intégrée à la vie du village puisqu’on y voit des photos où les trois filles participent à des fêtes et des mariages. Ce sont les seules photos où l’on voit les trois sœurs. On y apprend aussi qu’elles travaillent dans les champs comme les autres jeunes gens de leur âge. Lorsque Julia Ghisalberti s’est rendue au village en 2018, elle a été surprise de constater que les TABAK étaient encore très présents dans la mémoire des habitants. Elle a même appris que Berthe avait un prétendant, Robert Raby, qui ne s’est jamais remis de sa disparition.
Couverture et page 18 du livre Mareuil en fête, éditions Sarabande, 2013.
Les conditions de vie au village semblent avoir été plutôt difficiles puisque dans le registre des délibérations du conseil municipal, il est écrit en juillet 1942 que la demande d’aide médicale gratuite des familles est refusée. Une aide de 45 francs est cependant accordée à Salomon TABAK pour faire face à des dépenses médicales.
Extrait du registre de délibération du conseil municipal de Mareuil du 3 juillet 1942
(Mairie de Mareuil)
Cette vie villageoise prend fin brutalement le 8 octobre 1942 avec l’arrestation de cinq membres de la famille.
La famille disloquée (octobre 1942-juillet 1944)
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La rafle des parents et des filles Tabak le 8 Octobre 1942.
Dans la nuit du 8 au 9 octobre 1942, dans toute la Charente et la Dordogne occupée, a lieu une grande rafle où 422 Juifs sont arrêtés et regroupés dans la salle philharmonique d’Angoulême. Parmi eux se trouvaient, Salomon, Léa, et leur trois filles Berthe, Frieda, et Rose. Ce sont quatre gendarmes de Trouillac venus à bicyclette qui sont venus les arrêter au matin. D’après les témoignages, l’instituteur du village, M. Robert, a fait faire une haie d’honneur par ses élèves aux personnes arrêtées. Cela montre bien encore l’intégration des familles au village. C’est probablement la dernière fois que Joseph, âgé de 11 ans et demi, voit ses parents et ses sœurs. Les Tabak restent 8 jours dans la salle philharmonique. Les habitants du village vont même leur rendre visite jusqu’au 15 octobre où ils font partie des 387 Juifs envoyés vers Drancy. Comme le montrent leurs fiches d’internement, tous les cinq sont déportés le 4 novembre 42 par le convoi 40 et meurent probablement dès leur arrivée à Auschwitz.
Fiches d’internement au camp de Drancy des parents et des 3 filles Tabak. La date tamponnée du 4 novembre 1942 est celle du départ du convoi 40.
(Mémorial de la Shoah)
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Joseph et Jacques à Mareuil après la rafle
Contrairement à leurs parents et à leurs sœurs, Joseph et Jacques ne sont pas raflés le 8 octobre 1942. L’instituteur du village, M. Robert, s’oppose fermement à ce qu’ils soient arrêtés arguant en particulier de leur nationalité française. Il en est de même pour un autre garçon originaire de Thionville, Justin Wiesel. Ils ont été pris en charge par une famille, la famille Marolleau avant d’être finalement arrêtés, à une date que l’on ignore. Cela montre bien que les enfants avaient créé des liens avec les enfants du village. Suite à sa visite à Mareuil en 2018, Julia Ghisalberti a reçu une lettre expliquant qu’après le départ des enfants, leurs jouets avaient été retrouvés dans la maison où ils avaient vécu et que les nouveaux propriétaires avaient alors décidé de les emmurer pour qu’ils y restent toujours. Depuis 1995, une plaque commémorative en l’honneur des familles juives du village témoigne aussi du respect et de l’attachement des Mareuillois pour ces familles qu’ils ont accueillies.
Lettre reçue par Julia Ghisalberti en 2018 après sa visite à Mareuil.
Plaque commémorative de Mareuil.
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Joseph et Jacques à Cognac au printemps 1943
On retrouve la trace de Joseph et Jacques en mars-avril 1943 à Cognac. Joseph est placé chez le docteur Lebow au 29 avenue Victor Hugo. Nous n’avons trouvé aucune information supplémentaire sur ce médecin. Quant à Jacques, il est placé chez Mme Fanny Levy, qui habite rue de Marignan. D’après l’état des versements d’indemnité que perçoit Mme Levy pour s’occuper de Jacques, il semble que les deux garçons soient là depuis le mois de janvier. Séparés, les deux frères se retrouvent dans la même école, l’école de Cagouillet où ils sont recensés en tant qu’enfants juifs sur demande de la préfecture en avril 1943.
État des indemnités journalières payées en mars 1943 aux réfugiés français de Cognac.
(Archives municipales de Cognac)
Réponse du directeur de l’école de Cagouillet à l’enquête sur le recensement des élèves juifs scolarisés dans les écoles de Charente.
(Archives municipales de Cognac)
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Joseph et Jacques au centre Lamarck (juin 1943- avril 1944)
Le 9 juin 1943, les deux garçons entrent au centre Lamarck qui est situé à Paris derrière le Sacré Cœur. C’est un foyer de l’UGIF (Union Générale des Israélites de France) qui accueille des enfants dont les parents ont été déportés. Le 2 août 1943, les deux frères sont envoyés dans un autre centre de l’UGIF, celui de Louveciennes situé à la campagne, probablement pour se refaire une santé. Ils y retrouvent leurs cousins germains, Cécile et Simon Dembicer, qui sont pensionnaires de ce centre de façon définitive depuis l’été 1943. On peut imaginer que les quatre enfants sont heureux de reconstituer provisoirement l’ambiance familiale qu’ils ont connue auparavant. Ils y restent jusqu’au 2 septembre avant de revenir au centre Lamarck.
Procès-verbal des entrées et sorties du centre Lamarck (centre UGIF n° 28) du 9 juin 1943.
(Mémorial de la Shoah)
Pages du registre du centre Lamarck.
(Centre Israélite de Montmartre)
Procès-verbal des entrées et sorties du centre Lamarck du 5 septembre 1943.
(Mémorial de la Shoah)
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Le bombardement du centre Lamarck et le transfert de Joseph à Secrétan
Le bombardement du 21 avril 1944 est une opération militaire menée par les Alliés dans le nord de Paris et le sud de la Plaine Saint-Denis destinée à détruire la gare de triage de La Chapelle. Ce bombardement a partiellement détruit le centre Lamarck et a obligé à déplacer les enfants qui y vivaient vers d’autres foyers de l’UGIF, parmi ces enfants : Joseph et Jacques Tabak. Les deux frères sont séparés, probablement à cause de leur différence d’âge. Jacques, 7 ans, est envoyé au centre de la Varenne en dehors de Paris tandis que Joseph, 13 ans, lui est transféré au centre Secrétan, l’école de Hirsch (plus ancienne école juive de Paris) dans laquelle il devait être scolarisé. Il est entouré de camarades de son âge mais est probablement inquiet et perturbé de ne plus avoir son petit frère avec lui.
Extraits de la revue Signal, journal de propagande nazie, datant du printemps 44. Notons le cynisme de ce journal qui dénonce la sauvagerie des Alliés qui ont bombardé l’orphelinat juif dont ils montrent un lit.
(Archives du Centre Israélite de Montmartre)
Pages du registre du centre Lamarck.
(Centre Israélite de Montmartre)
Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1944, la vie de Joseph est de nouveau bouleversée.
Juillet 1944 : l’arrestation et la déportation
Le 20 juillet 1944, des officiers allemands ont perpétré un attentat contre Hitler. Il a échoué mais il a provoqué une confusion qui a été fatale aux enfants des centres UGIF de la région parisienne. En effet, Aloïs Brunner, le commandant du camp de Drancy, fanatique de la « Solution finale », lance entre le 22 et le 24 juillet 1944 une rafle dans tous les foyers emmenant même les plus jeunes et les Français dans le but de remplir le plus possible ce qu’il savait être le dernier convoi vers Auschwitz.
Les 78 orphelins du Centre Secrétan furent arrêtés le 22 au matin. Après un réveil brutal, les enfants furent précipités dans des autobus puis conduits à Drancy. Joseph y retrouve ses cousins Cécile et Simon Dembicer, arrêtés ce même jour au centre de Louveciennes. Le lendemain, il est rejoint par son frère Jacques. Ils sont logés tous deux à l’escalier 6, chambrée 4. Les quatre enfants partent ensemble pour Auschwitz le 31 juillet et y sont probablement gazés dès le 5 août. Joseph a alors 14 ans.
Plaque commémorative du centre Secrétan.
Cahier de mutation du camp de Drancy.
(Mémorial de la Shoah)
This biography of Joseph TABAK has been translated into English.
Suite de l’enquête
Au cours de l’année scolaire 2023-2024, la découverte fortuite d’un document montrant que Joseph Tabak n’est pas décédé à son arrivée à Auschwitz relance l’enquête.
Le dossier est donc repris par les premières 9 du lycée Louis Vincent qui compte 4 anciens élèves de seconde 9. Trois documents essentiels ont été utilisés :
1. Une liste
Le document qui a bouleversé l’enquête, trouvé sur Internet, est conservé par l’United States Holocaust Memorial Museum de Washington. C’est une liste de 356 déportés juifs d’Auschwitz transférés au camp de concentration de Sachsenhausen près de Berlin le 27 novembre 1944. Joseph Tabak est le 322ème de cette liste et il porte le matricule 118105. Contrairement à ce qui avait été établi lors de l’enquête menée par l’armée française dans les années 1950, Joseph n’est donc pas mort le 5 août 1944 à Auschwitz. Alors que son frère, ses cousins Cécile et Simon et la plupart des enfants du convoi ont été gazés dès leur arrivée, il a été sélectionné pour le camp de concentration. Cela laisse supposer qu’il était plutôt grand et robuste malgré ses 13 ans et demi.
Liste de déportés transférés d’Auschwitz à Sachsenhausen le 27 novembre 1944 (United States Holocaust Memorial Museum).
Extrait de la liste de déportés transférés d’Auschwitz à Sachsenhausen le 27 novembre 1944 (United States Holocaust Memorial Museum).
En consultant le site internet du camp de Sachsenhausen, nous avons pu constater que Joseph y avait bien été interné. Son nom figure d’ailleurs sur une plaque commémorative.
2. Une plaque commémorative
Cette plaque commémorative est apposée sur le mur extérieur du camp de Sachsenhausen. Elle honore la mémoire des 16 adolescents juifs français transférés d’Auschwitz le 27 novembre 1944 qui ont été assassinés le 1er ou le 2 février 1945. Joseph, qui avait tout juste 14 ans, était le deuxième plus jeune, le plus âgé n’avait que 17 ans.
Cette plaque a été inaugurée le 5 juin 2015 par Serge et Beate Klarsfeld. Ce couple a fondé et préside depuis 1979 l’association des “Fils et Filles de Déportés Juifs de France” (FFDJF) qui a pour mission de perpétuer la mémoire des déportés juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale.
En 1960, Serge Klarsfeld, étudiant juif français, dont le père avait été assassiné à Auschwitz rencontre Beate, une jeune fille au pair allemande à Paris. Depuis, le couple a consacré sa vie à traquer les criminels de guerre nazis, à faire connaître l’histoire de la Shoah et à sortir de l’oubli tous ceux et celles qui ont été exterminés. Il symbolise aussi la réconciliation franco-allemande permise par la construction européenne depuis les années 1950. D’ailleurs, le 27 mai 2024, lors de sa visite en Allemagne, le Président Macron remis les insignes de grand-croix et grand officier de la Légion d’honneur à Beate et Serge Klarsfeld Klarsfeld. Ils ont alors déclaré : “C’est la plus belle des récompenses. Ensemble, nous avons eu un très long parcours et ce parcours a été utile à l’Allemagne, à la France, à la réconciliation franco-allemande”. La plaque de Sachsenhausen est rédigée à la fois en allemand et en français, ce qui souligne que cette réconciliation est devenue une amitié forte.
Maître Serge Klarsfeld nous a communiqué la brochure éditée lors de l’inauguration de la plaque et Madame Frauke Kerstens du mémorial de Sachsenhausen nous a apporté certains éclairages historiques. Dans la brochure, un ensemble de trois dessins d’enfant a particulièrement attiré notre attention.
3. Un ensemble de trois dessins d’enfant
Dessins de Marc Weill, pages 2 et 3 de la brochure Plaque dévoilée par les FFDJF le 5 juin 2015 au Camp de Sachsenhausen (Brandebourg), FFDJF.
Ces trois dessins ont été réalisés par Marc Weill, une des jeunes victimes françaises qui figure sur la plaque. Né à Strasbourg en 1928, arrêté avec sa mère à Saint-Dié dans les Vosges, il a été interné dans le camp d’Ecrouves près de Toul en Meurthe-et-Moselle, le « petit Drancy lorrain » où plus de 4000 Juifs ont été enfermés, avant d’être déporté à Auschwitz par le convoi 71 du 13 avril 1944. Avec 18 jeunes Juifs français dont Joseph Tabak, il fait partie du groupe de 356 déportés transféré au camp de Sachsenhausen le 27 novembre 1944. Les 19 adolescents ont été transférés au sous-camp de Lieberose, distant de 200 kilomètres du camp principal, pour travailler dans l’école des maçons dont ils faisaient déjà partie à Auschwitz. Ils ont donc travaillé à l’agrandissement des camps.
Ces dessins avaient été faits pour remercier Basso Vanny, résistant français et cuisinier du camp de Lieberose qui avait pris soin du groupe des 19 jeunes Juifs français. Le premier montre Basso Vanny souriant dans sa cuisine. Le deuxième est particulièrement émouvant pour nous : c’est une carte de remerciement des « petits Français ». On y voit les 19 garçons à table avec leur cuisinier au centre. Chacun des enfants est représenté de façon très différente. Cela veut dire que Joseph, de qui nous n’avons aucune photo, est sur ce dessin. C’est donc la seule image que nous avons de lui. Par ailleurs, le garçon au premier plan qui porte des lunettes pourrait être Jean Bloch. Quant au troisième dessin, c’est une carte de vœux pour 1945. Ces trois dessins montrent bien l’attachement des enfants envers leur compatriote qui leur apportait un peu d’humanité dans l’enfer du camp.
Malheureusement, sur les 19 enfants, 16 sont morts un mois plus tard, au début février 1945 lorsqu’ils ont été renvoyés au camp principal de Sachsenhausen. Ce sont leurs noms qui figurent sur la plaque. C’est Basso Vanny qui, après la guerre, a écrit leurs noms sur une liste et a permis ainsi qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Il est mort en 1950 après avoir été décoré de la Légion d’Honneur par le général De Gaulle.
De nouveaux documents ont permis au professeur Bruno Mandaroux de préciser que Joseph TABAK n’a pas été tué à l’arrivée à Auschwitz, mais qu’il est rentré dans le camp, avec 15 autres jeunes déportés. Ils ont été transférés à Sachsenhausen le 27 novembre 1944 et assassinés le 1er février 1945. La biographie va être complétée.
Du convoi 77, dans ce transfert, outre Joseph, figurent Serge BLUMBERG (14 ans) et Gérald IDZKOWSKI (17 ans)