Léon GELBCHAR

1932-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: , ,

Léon GELBCHAR

 « Ce sont des histoires d’hier mais, en même temps, la vie c’est toujours pareil et donc ce drame unique peut se reproduire. »[1] Cette phrase de Boualem Sansal résume parfaitement notre conviction, et c’est cette dernière qui nous a poussé à nous engager dans le cadre du projet Convoi 77.

Nous (Katie Ennon, Amarine Bernard, Prudence Moreau et Mathilda Cordaro) sommes quatre lycéennes de l’établissement Victor Hugo de Poitiers , qui avons décidé de nous engager dans l’écriture de la biographie de Léon Gelbchar. Proposé par notre professeure d’histoire géographie, géopolitique et sciences politiques et grâce à l’initiative et aux conseils avisés d’une élève de Sciences Po (Carla Spodek), nous avons pu prendre part à un projet historique de manière plus personnelle, afin de rendre hommage aux disparus de la Shoah. Dans un même temps, nous avons découvert le passé de manière plus locale, en marchant sur les traces d’un enfant de Poitiers. Il nous tenait à cœur de faire raisonner la mémoire des Juifs, tout en participant à un devoir de transmission en petit groupe; grâce à cette entreprise de recherche, pour que nous n’oublions pas de maintenir vivante la mémoire de la Shoah.

Avant de débuter ce récit de vie, nous souhaitons préciser que nous nous sommes servis dans le cadre de ce travail de recherches, des documents numérisés par l’association Convoi 77, ainsi que des cotes envoyées par les archives départementales de la Vienne. Nous nous sommes également appuyés sur les travaux de deux historiens : Paul Lévy pour son travail sur le camp de la route de Limoge à Poitiers et Jean Laloum pour ses recherches sur les maisons d’enfants de l’UGIF. Enfin, nous avons pu également nourrir ce projet grâce aux différents témoignages écoutés : tout d’abord celui de Ginette Kolinka que nous avons rencontré dans notre lycée puis nous avons vu des vidéos de plusieurs témoins ( Félicia Barbanel-Combaud , Esther Senot et Elie Buzyn). Certaines d’entre nous ont également lu La Nuit d’Elie Wiesel.

I. L’enfance de Léon à Nancy :

Léon Schmir Gelbchar fils de Srojzeck Gelbchar et de Mincha Wladiminska, est né le 19 octobre 1932 au 9bis rue de Strasbourg à 17 heures à Nancy (Meurthe-et-Moselle)[2]. Léon est l’aîné d’une fratrie de deux autres petits frères, Isidore né à Nancy le 8 février 1935, et Henry né à Sansay le 6 juin 1941. Son père est tailleur il est né le 15 juillet 1904 et sa mère sans profession est née le 27 mars 1905, tous deux polonais ils se sont mariés le 1er mars 1937[3] . Cette famille juive a vécu rue de la Hache à Nancy. Or, le département de la Meurthe-et-Moselle a dû faire face très vite à une occupation militaire. En effet, durant la Shoah, les juifs français de ce département ont connu le même traitement que les juifs allemands.

C’est dans ce cadre, que 76 000 juifs dont 11 000 enfants parmi lesquels se trouvait la famille Gelbchar ont été déportés puis assassinés par les nazis. La famille de Léon face à l’occupation dans le département a donc fait comme la majorité des familles et a fui vers la Vienne afin d’échapper aux nazis. Suite à cette fuite, nous savons que la famille de Léon a vécu au 18 rue Sylvain Drault à Poitiers, avant d’y être arrêtée.

  

A gauche, photographie du 18 rue Drault de nos jours.
A droite, parcours effectué par Léon et sa famille de Nancy à Poitiers.

II. L’internement de Léon dans le camp de Poitiers :

 «Ils sont venus chez nous,[…] on nous a interdit de poser des questions et puis en route. Il n’y avait pas eu auparavant d’arrestations dans la Vienne. Nous ne savions rien. Nous sommes arrivés au camp, c’était sale, c’était affreux». Cet extrait d’un entretien de la survivante Felicia Barbanel-Combaud pour l’INA[4], a été précieux pour tenter de mieux comprendre ce qu’a vécu Léon dans ce camp qui a servi d’«antichambre de la Shoah». En effet, Félicia venait comme Léon d’une famille juive de Nancy ayant fui vers la Vienne pour échapper aux Allemands avant d’être internée dans le camp de route de Limoges. Le 4 décembre 1940, dans ce camp, où il n’y avait que des réfugiés espagnols républicains dans des baraquements (le long de la route de Limoges à Poitiers), il est décidé que les Tsiganes, les Nomades puis enfin les Juifs seront placés au même endroit. Le camp de la route de Limoges sera dirigé par différents directeurs, surveillé régulièrement par un inspecteur général, émettant ou non des critiques sur les conditions du camp de Poitiers. C’est à eux que revenait la responsabilité des transferts des Juifs vers Drancy et les déportations du travail. En juillet 1942, la Police Nationale sur ordre de l’autorité allemande décide de faire un recensement, dont le Préfet donne une réclamation pour y ajouter des enfants, dont fera certainement partie Léon Gelbchar. Car celui-ci entre dans le camp de la route de Limoges à Poitiers pour la première fois le 9 octobre 1942, mais il en ressortira provisoirement 6 jours plus tard, le 15 octobre 1942. Puis le 24 mai 1943, Léon est repris dans le camp, pour finalement être transféré avec son frère Isidore le 26 mai 1943 à Paris.

Les recherches de Paul Lévy [5]sur le camp de la route de Limoges, montrent les conditions dans lesquelles Léon a dû vivre pendant ses quelques jours d’internement dans le camp. Ainsi, nous savons que les internés étaient mal nourris, et vivaient dans l’insalubrité car la plupart des internés étaient recouverts de poux.

De plus, les moyens du camp ne permettaient pas l’achat de vêtements neufs, c’est pour cela que les internés avaient des vêtements en loques et sans chaussures, malgré l’aide des Secours nationaux. Économiquement le camp devait recevoir un budget (en 1941) du ministère de l’intérieur pour les Nomades et les expulsés hébergés, d’après le ministre des finances, qui est venu après que le camp eut fait une demande de crédit. Sauf que deux mois après, la visite les crédits ne sont toujours pas versés, et le camp est attribué au compte spécial 38.05 désignant “ le service des frais d’occupation”. Toutefois le camp de la route de Limoges, recevra l’aide du Père Fleury et du rabbin Elie Bloch. C’est d’ailleurs le Père Fleury qui enseignera à la classe ouverte dans le camp en 1941, pour les enfants Juifs et Tsiganes, cette classe comprenait tous les niveaux, sans matériel à disposition. En 1943, même si les rapports officiels indiquent le contraire, la classe n’est plus accessible aux enfants juifs. Léon aura peut-être droit à quelques jours de scolarisation lors de son premier internement en 1942, mais pas en 1943, la classe ne lui étant plus accessible.

D’ailleurs une note du directeur de l’UGIF à Paris, indique que Léon venant du camp de la route de Limoges est arrivé à Paris sans carte d’alimentation et sans ticket tout comme 66 autres enfants. Ainsi, le directeur fait une demande de 67 cartes d’alimentations au chef du Service de ravitaillement du 15ème arrondissement, car il est dans l’impossibilité de les nourrir.

Note de Mai 1943, indiquant que 63 enfants du camp
de Poitiers transférés à Paris, sont dans l’impossibilité
de se nourrir .

III. Le passage de Léon et son frère Isidore à l’UGIF

Liste des enfants juifs du camp de Poitiers transférés à Paris
le 26 Mai 1943.

Le 31 juillet 1944, à moins d’un mois de la libération de Paris, un des plus importants convois de déportation des Juifs de France quittait Drancy en direction d’Auschwitz. Ce convoi 77 était composé de 1300 personnes dont 300 enfants, arrachés pour la plupart aux maisons d’enfants en région parisienne, de l’Union Générale des Israélites de France (U.G.I.F.). « Les Juifs, qui ont travaillé pour l’UGIF, ont pensé pouvoir sauver des Juifs et ils ont compris bien plus tard, et lorsque c’était en général trop tard, que l’UGIF s’est révélé être un piège pour une certaine partie,de ceux qui ont été accueillis » a expliqué Antoine Vitkine.

En effet , par le biais des préfectures et de la Gestapo , tous les Juifs se voient obligatoirement être affiliés à l’U.G.I.F. Toutes les associations juives préexistantes sont dissoutes. L’U.G.I. F, possède ses propres maisons d’enfants, créées les 16 et 17 juillet 1942 au moment de la Rafle du Vel d’Hiv. Les enfants  » libérés  » des camps de Drancy, Pithiviers, Beaune-la Rolande, Poitiers, doivent alors être placés dans les centres de l’U.G.I.F., Léon fait partie de ces « enfants bloqués », confiés à l’U.G.I.F.. Leurs noms sont consignés dans un registre de police spécial: « Ces libérations toutes particulières étaient en réalité fictives.»[6] Ces enfants ne pouvaient être confiés qu’aux centres de l’UGIF et la décision de ces placements revenait aux autorités allemandes. Ces enfants étaient notamment sous le contrôle des Allemands mais également de Vichy. Les enfants sont ensuite répartis selon les différents centres : Montreuil, l’orphelinat Rothschild, la pension Zysman à La Varenne, à Saint-Mandé, Neuilly, Paris, rue Vauquelin et rue des Rosiers à l’École du Travail et également à Louveciennes, où a résidé Léon.

Liste d’octobre 1943, des enfants transférés
dans les centres de Louveciennes et La Varenne.

IV. La déportation à Drancy puis Auschwitz

C’est à partir du 15 juillet 1941, que la première déportation vers le camp de Drancy a lieu. Le piège des Allemands se referme sur les enfants Juifs rassemblés dans les maisons de l’UGIF pour un huitième transfert. Organisé sur l’ordre des autorités d’occupation, un courrier est envoyé par la police nazie à l’intendant de police de Poitiers, avec la complicité effective de la police française par une ordonnance, le 13 mai 1943 « demande mesure de sécurité et exécution rapide de l’action secret le plus absolu »[7] : c’est en fait le SS BRUNNER, adjoint au chef de la police allemande de Paris qui décide de l’arrestation massive du 21 au 25 juillet 1944 de 350 enfants de la maison de l’UGIF. Convaincu que les Allemands évacueront bientôt Paris, il veut déporter un maximum de juifs avant leur retraite. La police et la gendarmerie française sont réquisitionnées pour aller chercher les familles (liste page 18) 70 enfants 45 adultes. La préfecture de Poitiers, sous la signature du secrétaire général E. SIMONNEAU, télégraphie au préfet de police de Paris, qu’un convoi quittera Poitiers le mercredi 26 mai à 5h du matin et arrivera à 16h en Gare d’Austerlitz. Les enfants partent vers une destination inconnue : Drancy (49), le camp du lieu de départ du convoi 77 où Léon et son frère Isidore sont internés le 22 juillet 1944 pour être ensuite déportés le 31 juillet 1944. Léon meurt le 5 août 1944, à l’âge de 12 ans à Auschwitz.

Acte de disparition de Léon de Mai 1955 (avant qu’un acte de
décès soit fait dans lequel figure la mention de « mort pour la
France » en 1972 .

Acte de décès publié par l’ONAC en 2011

Nous avons pu effectuer un voyage à Auschwitz cette année , où nous avons pu nous rendre compte de l’immense projet perpétué par les nazis et ainsi mieux faire raisonner la mémoire de Léon. Ce voyage mémoriel, nous a permis de mieux comprendre ce qu’il s’est passé pour Léon et les autres déportés.

Se souvenir, est un devoir de mémoire que nous nous devons de transmettre aux générations suivantes. C’est d’ailleurs ce que nous a dit Ginette Kolinka lors de notre rencontre avec elle, où elle nous a expliqué à quel point il était important pour elle que nous devenions des « ouvriers de la mémoire ». C’est pourquoi, dans la continuité du travail de biographie, nous avons décidé d’effectuer des démarches afin d’ériger une plaque aux noms des oubliés du camp de Poitiers. Malgré que nous vivions à Poitiers, nous n’avions en aucun cas entendu auparavant que ce camp existait ; que ce soit dans nos écoles ou encore dans le patrimoine poitevin. Ce qui est bien dommage, puisque « ce grand oublié de l‘Histoire » a mené des milliers de personnes à la déportation. Félicia Barbanel Combaud , le soulignait elle même lors de son témoignage : « Ce camp de route de Limoges à Poitiers, combien de gens ignorent qu’il a existé ? ».

Pour lutter contre cet oubli, nous aimerions l’étudier et le mettre en valeur grâce à une plaque avec tous les noms, afin de mieux aborder ce sujet qui fait partie de notre Histoire et qu’il ne faut pas négliger. Le projet d’une plaque portant les noms de tous les internés du camp étant particulièrement ambitieux et difficile à mettre en place, nous avons également fait une autre demande à la mairie afin d’apposer un pavé de mémoire au nom de Léon à l’adresse à laquelle il a vécu à Poitiers, afin que les passants puissent s’interroger sur son vécu et peut être certains iront grâce à cela découvrir ensuite la biographie. Cette deuxième démarche est en bonne voie !

Pour finir cette biographie par un hommage, nous n’avons malheureusement pas trouver de photographies de Léon, mais Prudence a décidé de faire un dessin afin que ce texte puisse s’achever par une représentation iconographie qui restera dans nos mémoires .

Dessin de Prudence , en hommage à Léon

 

Références

[1] SANSAL Boualem Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, 2008, éditions Gallimard (198 p)

[2] acte de naissance de Léon Schmir Gelbchar .

[3] acte de mariage de Srojzeck Gelbchar et de Mincha Wladiminska.

[4]https://entretiens.ina.fr/memoires-de-la-shoah/Barbanel/felicia-barbanel-combaud

Ina – Grands entretiens – Felicia Barbanel-Combaud dans la collection « Mémoires de la Shoah ». (25 Janvier 2010)

[5] LÉVY Paul , Un camp de concentration français Poitiers (1939-1945) , 1995 , Éditions Sedes (nous nous sommes servis pour constituer la biographie de Léon des chapitres 4,5,9 et 8 de cet ouvrage).

https://www.cairn.info/un-camp-de-concentration-francais–9782718192314.htm

[6]Article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Les enfants de l’U.G.I.F.. en région parisienne, d’après une conférence de Jean LALOUM, jeudi 10 avril 1997. Les Enfants Cachés, Bulletin n° 19, juin 1997, p 3.

[7] chapitre 9 du livre cité précédemment de Paul LEVY

 

Sources utilisées :

  • Les archives numérisées par l’association Convoi 77 (25 documents en provenance de la DAVCC SHD de Caen. Il y a aussi 10 documents microfilms en provenance du YIVO)
  • Les archives départementales de la Vienne , plus précisément celles sur les camps d’internement de Poitiers sous la cote 109 W. ( deux cotes où le nom de Léon GELBSCHAR apparaît : 109 W 311 et 314.)

Le site du Memorial de la Shoah

  • LÉVY Paul , Un camp de concentration français Poitiers (1939-1945) , 1995 , Éditions Sedes Cet Historien a fait un travail de recherches précieux sur le camp de Poitiers, il a notamment constitué de nombreuses listes et tableaux explicatifs à partir d’archives, Léon y figure à plusieurs reprises . •Extrait de : BOPP, Marie-Joseph , L’Alsace sous l’occupation allemande : 1940-1945 , Editions Xavier Mappus , 1945
  • KALUSKI-SAVILLE Betty, Les enfants de l’U.G.I.F.. en région parisienne, d’après une conférence de LALOUM Jean, jeudi 10 avril 1997. Les Enfants Cachés, Bulletin n° 19, juin 1997, p 3.
  • Ina – Grands entretiens – Felicia Barbanel-Combaud dans la collection « Mémoires de la Shoah ». (25 Janvier 2010)
  • Chaîne YouTube Les Derniers de NAHUM Sophie (visionnage des témoignages courts et disponibles sur YouTube d’Esther Senot et Elie Wiesel)

 

Liens :

 

This biography of Léon GELBCHAR has been translated into English.

En complément : Consulter la biographie de Bernard BERKOWICZ

 

Contributeur(s)

Katie Ennon, Amarine Bernard, Prudence Moreau et Mathilda Cordaro

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