Mordo CHETOVY

1926-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Mordo CHETOVY

Photo : Mordo Chetovt,
Source : holocaust-history.org

Mordo Chetovy est né le 22 mai 1926 dans le 11e arrondissement de Paris[1]. Les parents de Mordo sont Moïse Chetovy (né le 3 mai 1896 à Constantinople) et Rosa Nichli (née en 1895 à Constantinople). Moïse et Rosa vivent au 113 rue de Montreuil dans le 11e arrondissement. Mordo a un frère aîné, Jacob, également connu sous le nom de Jacques[2].

Son nom de famille, Chetovy, est probablement une variante de Chetrit, un nom qui a des racines dans la communauté juive. La famille Chetovy est originaire de Turquie car ce nom a des racines d’Afrique du Nord et de Turquie. En sachant que les parents sont nés en Turquie, ils font sûrement partie des Juifs ayant fui la Turquie pendant l’entre-deux guerres. Ils appartiennent à la diaspora juive de Turquie[3].

Mordo, qui se fait aussi appeler « Marcel », va à l’école Voltaire, toujours dans le 11e arrondissement, et semble être un enfant plein d’énergie et extraverti, comme en témoigne ce récit de l’un de ses camarades Henri Farsy :

« Le 14 Juillet s’élaborait maintenant entre copains. Chacun d’entre nous versait l’obole obligatoire au grand maître de cérémonie, notre aîné Marcel Chetovy, lequel se chargeait de la préparation et de l’organisation parfaite de ce jour de réjouissance populaire. Dès la nuit tombée, un feu d’artifice entamait son festival. À chaque explosion, les corolles multicolores s’entrouvraient en pétaradant à la grande joie d’un public qui en redemandait ». Ces festivités nationales se déroulaient au 113 rue de Montreuil, dans une courette délabrée. Peu de locataires auraient habité ces vieilles bâtisses mitoyennes, peu reluisantes et sans confort, hormis trois familles indigentes, originaires d’Istanbul, les Covos, les Eskenazy et les Chetovy. Un passage piétonnier reliait les rues Alexandre Dumas et de Montreuil, et facilitait ainsi les relations entre amis coreligionnaires » [4]

Le début de la guerre éclate et rapidement, le 22 juin 1941 la France signe l’armistice avec l’Allemagne à Rethondes. La France est coupée en deux et l’instauration du gouvernement de Vichy entraine une collaboration étroite entre Français et nazis. Dans ce contexte de politique antisémite, le père de Mordo est arrêté lors de la rafle du 20 août 1941 mais Mordo y échappe, parce qu’il est né en France et encore trop jeune (il a alors 15 ans). Les critères d’arrestation pour cette rafle étaient les suivants : seuls les hommes étrangers doivent être arrêtés.

Le 29 mai 1942, un décret inspiré des lois antisémites allemandes est voté en France. Il est annoté par Philippe Pétain en personne. Il concerne la situation des Juifs sur le territoire occupé. En effet, les Juifs sont exclus des postes de fonctionnaires, de haut-fonctionnaires, du monde du spectacle, de l’enseignement, de l’université. Ils n’ont plus le droit d’utiliser les transports en commun ou alors sous certaines conditions, n’ont plus le droit de se déplacer à bicyclette, de posséder un poste de radio… et ils doivent porter l’étoile jaune à partir de 6 ans. Les Juifs doivent se faire recenser auprès de leur mairie. Le non-respect de ces nouvelles règles engendre une arrestation. Mordo est arrêté pour mauvais port de l’étoile jaune, ce qui constitue une infraction à ces nouvelles règles. Sa date probable d’arrestation est le 30 juin 1944, d’après sa mère et le registre d’écrou, il est arrêté par les autorités allemandes place de la République à Paris, puis son père est arrêté le même jour (c’est sa seconde arrestation, il avait été libéré parce qu’en mauvaise santé à l’hiver 1941).

Extrait du registre d’écrou sur lequel on voit l’enregistrement successif de l’arrestation du père et du fils. Mordo a été arrêté avant son père, mais probablement interrogé par la police allemande avant d’être livré à la police française. Cela a-t-il conduit à l’arrestation de son père ?

Il est ensuite interné à Drancy le 1er juillet 1944, le lendemain de son arrestation. Le camp de Drancy est alors commandé par le Lieutenant-Colonel Robert Blum, avec son père. A l’entrée du camp, il obtient le matricule 24681[5]. Un matricule remplace le prénom et le nom des internés dans le camp. Mordo souffre probablement de mauvaises conditions d’internement à Drancy. En effet, des épidémies se développent à cause de l’entassement des déportés car ils sont trop nombreux pour la capacité du camp. Les internés devaient se soumettre à certaines règles spécifiques à ce camp comme par exemple l’interdiction de faire du bruit entre 22h30 et 5h45 afin de laisser se reposer les gendarmes français qui gardent le camp. Malgré tout, Mordo laisse une trace de son passage qui se veut un message d’espoir : il inscrit un graffiti optimiste, daté du jour de leur départ en déportation.

« Marcel Chetovy et Moïse Chetovy. Arrivé le 1er. Déporté le 31 juillet avec très très bon moral avec l’espoir de revenir bientôt », Source : holocaust-history.org

Mordo est déporté le 31 juillet 1944 avec son père[6] vers Auschwitz, où ils arrivent le 3 août 1944[7]. Ils font partie du convoi 77, l’un des derniers à partir de Drancy. Depuis le débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944, les nazis déportent leurs derniers internés.

Mordo est ensuite déporté vers le camp du Struthof[8] en Alsace où il porte le matricule 99339 le 26 octobre 1944[9]. Sur sa carte d’internement, on peut lire le sigle du déporté politique et du déporté racial avec le triangle rouge associé à l’étoile de David. Il y arrive le 26 octobre 1944. Il est ensuite de nouveau déporté vers l’Allemagne, au camp de Buchenwald le 26 novembre 1944. Son matricule est le 97 988[10]. Il y meurt le 16 décembre 1944, d’une « insuffisance cardiaque »[11]. Le terme herzschwäche en allemand signifie « faiblesse du cœur » ou « faiblesse cardiaque » mais on ignore les causes véritables de la mort de Mordo : un problème cardiaque est souvent évoqué comme cause de décès pour dissimuler les véritables circonstances de la mort de nombreux déportés[12]. On peut supposer qu’il est décédé de la suite des mauvais traitements. Son père Moïse, qui semble l’avoir suivi dans ses différents transferts, meurt avec lui à Buchenwald.

Une demande de nationalité française avait été faite par sa famille le 17 décembre 1929. Conformément à la loi de 1927, la nationalité lui est accordée par un juge de paix près de 10 ans après sa mort, le 23 janvier 1954[13].

Notes & références

[1] Bulletin de naissance, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 982 9 ; registre d’écrou © Archives de la Préfecture de Paris, cote CC 2-8.

[2] On trouve peu de traces de Jacques dans les archives car il n’a été pas été déporté avec le reste de sa famille. On ignore ce qui lui est arrivé pendant et après la guerre.

[3] Son père Moïse Chetovy est né à Constantinople en 1896.

[4] Extrait cité dans la biographie de Rebecca Farsy, elle aussi déportée avec le convoi 77 (https://convoi77.org/deporte_bio/rebecca-farsy/). La biographie a été réalisée par la classe de terminale du lycée Maurice Ravel en 2023-24, que nous remercions pour cette trouvaille.

[5] Mordo Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 982 10.

[6] Mordo Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 982 14.

[7] Fiche de suivi de déportation (Mordo Chetovy © Archives Arolsen, Enveloppe Buchenwald, cote 5669155, recto)

[8] Mordo Chetovy © Archives Arolsen, Enveloppe Buchenwald, cote 5669152, recto)

[9] Ibid.

[10] Mordo Chetovy, © Archives Arolsen, Enveloppe Buchenwald, cote 5669151 recto, 5669153 recto et 5669157 recto.

[11] La mention indiquée sur la liste des décès et sur sa fiche de suivi est « Herzschwäche bei Phlegmone » (Mordo Chetovy, © Archives Arolsen, 70967769 et 566 9153, recto)

[12] Eva Bitton et Théophile Leroy, « Enregistrer la mort à Auschwitz : le certificat de décès comme source pour l’histoire de la Shoah », 2022, https://lubartworld.cnrs.fr/enregistrer-la-mort-a-auschwitz-le-certificat-de-deces-comme-source-pour-lhistoire-de-la-shoah/

[13] Mordo Chetovy, © Archives du SHD de Caen, cote 21 P 435 982 435 982 29.

 

Contributeur(s)

Ce texte a été rédigé par Alassane, Noé, Omar, Kloë, Mélisse, Juliette, Sofien, Nourchène, Elyès, Angélina et Léo, élèves de 1ère 4 du lycée Maximilien Perret, à Alfortville pendant l’année scolaire 2023-2024.

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