Fabien Devilliers, un passionné d’histoire et de cyclisme, est sur la route depuis le 24 avril. Ce jeune homme a entrepris une « aventure mémorielle » hors du commun en décidant de rallier à vélo le camp d’extermination d’Auschwitz à vélo depuis le camp de Gurs, au profit de l’Unicef.
Convoi 77 a décidé de le suivre en lui consacrant trois articles, un avant son départ, un pendant son périple, et un à la fin. Voici le second volet de cette série.
Vous en êtes à votre 46e jour et vous avez désormais atteint l’Allemagne. Dans quel état d’esprit êtes-vous à mi-parcours ?
C’est un rythme éreintant, aussi bien physiquement qu’émotionnellement. J’ai deux semaines d’avance sur ce que j’avais planifié au départ. En France, je parcourais une moyenne de 60 kilomètres par jour, en Allemagne j’en fais à peu près 80 car le terrain est plus plat.
En 46 jours de voyage, j’ai dormi 4 fois dans ma tente et deux fois à l’hôtel : la premiere fois, à Thulles, payé par l’asso des martyrs, et la seconde fois à mes frais parce que j’avais besoin de rester seul. Le reste du temps, j’ai été logé chez l’habitant.
Quelles furent les étapes les plus marquantes jusqu’alors ?
La maison d’Izieux, avec tous ces dessins et lettres d’enfants, m’a bouleversé. Lire ces lettres avec la naïveté des enfants, c’était beau et poétique. J’ai appris que ces enfants n’y étaient pas cachés. C’était au contraire un petit coin de paradis où ils vivaient, jusqu’au jour où Klaus Barbie a décidé de les rafler.
Le camp de concentration du Struthof (dans les Vosges) a aussi été un moment fort de mon voyage. En visitant le crématoire et la salle d’autopsie, je n’étais vraiment pas bien.
Visiter Buchenwald a aussi été un moment très enrichissant. Durant cette visite, j’ai réalisé l’étendue de l’entreprise nazie. Ils avaient un fort degré de conscience, c’est terrifiant. Tout a été pensé pour détruire l’humanité de ces hommes et de ces femmes. A aucun moment on ne peut se dire que les nazis étaient fous ou psychopathes. Ils étaient juste persuadés qu’il y avait une race plus forte qu’une autre.
Votre voyage soulève-t-il des questions en vous ?
Oui, plein. Il y en a à chaque fois de nouvelles. Ça me pousse à vouloir me cultiver toujours plus. À Oradour-sur-Glane, c’est la valeur travail qui m’a beaucoup interrogé. Cette valeur, qui est centrale dans nos sociétés, l’est tout autant dans les régimes totalitaires. Les nazis avaient d’ailleurs inscrit ‘Le travail rend libre’ à l’entrée du camp d’Auschwitz. Je trouve ça étonnant que dans nos sociétés libérales, tous les discours politiques de droite comme de gauche parlent du travail comme valeur principale. Est-ce qu’on ne devrait pas s’interroger sur ce terme ?
Au-delà de ces questions, il y en a une qui revient tout le temps : quel est notre héritage aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’on en fait ?
Autour de moi, également, mon projet soulève des questions. On me demande régulièrement si ma famille a été touchée par la Shoah. Il y a cette idée qu’il faudrait que quelqu’un ait été touché dans sa famille pour justifier de s’intéresser à ça. Et pourtant non, il s’agit pour ma part de curiosité et d’une envie de mieux connaître l’histoire.
Une autre remarque que l’on me fait régulièrement, c’est : « Mais c’est quand même très triste Auschwitz ». Certes, mais il faut voir l’ensemble du voyage et c’est un voyage profondément humain. J’ai rencontré entre 500 et 800 personnes depuis mon départ. J’ai aussi fait une quinzaine d’interventions auprès de classes d’élèves, essentiellement des primaires, devant lesquelles je me présente en tant qu’aventurier. Les enfants, eux aussi, ont eu beaucoup de questions.