David SALOMONOVITCH

1909-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

David SALOMONOVITCH

Ce travail a été réalisé par une classe de Terminale du lycée Maurice Ravel (Paris 20e) en 2023-24, sous la direction de leur enseignant d’histoire et professeur principal, Philippe Landru. Composée d’une trentaine d’élèves, la classe fut divisée en trois pour travailler, dans le cadre du projet convoi 77, sur trois biographies différentes. Dix élèves furent donc amenés à travailler sur la biographie de David Salomonovitch. Ce travail qui dura toute l’année constitua le projet d’EMC évalué pour leur baccalauréat.

A l’origine, le projet convoi 77 nous avait attribué l’étude de la biographie d’un homme, David Salomonovitch, né à Paris en 1909 et déporté le 31 juillet 1944 après un séjour à Drancy. La consultation des registres de l’Etat-civil parisien et des recensements nous ont permis de réaliser deux choses qui ont considérablement étendu l’objet de notre recherche :

  •  La première était que les Salomonovitch étaient une très grande famille que nous pouvions suivre registre après registre. Originaire de Pologne occupée par la Russie à la fin du XIXe siècle, toute une fratrie avait émigré au début du XXe siècle à Paris.
  • La seconde que nous ne pouvions pas faire l’économie de l’étude exhaustive de l’arbre généalogique : non seulement les mêmes prénoms revenaient sans cesse, avec des noms orthographiés de manière différente selon les archives, mais cette ronde des prénoms était complexifiée par l’usage aléatoire d’un prénom d’origine hébraïque prenant des formes très diverses selon la compréhension des accents par l’administration, d’un autre francisé, souvent pour dissimuler une origine hébraïque, mais aussi les prénoms usuels qui ne figurent pas dans l’Etat-civil mais qui étaient ceux utilisés en famille [1]. Ne pas faire ce relevé exhaustif aurait conduit inévitablement à des confusions entre plusieurs membres de la lignée.

Il est donc rapidement apparu qu’au-delà d’un homme, David, nous nous lancions dans une monographie familiale. Au fil des recherches, nous avons pris conscience que cette famille comptait vingt deux déportés partis de France, le plus jeune n’ayant pas deux ans, dans onze convois différents. Une seule, parmi les 22, revint des camps ! Deux d’entre eux, dont « notre » David, faisait partie du dernier convoi parti de Drancy peu de temps avant la libération du camp : le convoi 77.

Nous avons traité exhaustivement l’Etat-civil parisien pour retrouver tous les Salomonovitch dans tous les arrondissements de Paris à partir de 1883 jusqu’aux limites imposées par les fonds déposés en ligne. On peut relier la quasi-totalité d’entre eux à la branche dont l’étude suit [2]. 

Voici le résultat d’un travail considérable non dénué d’embuches, mais émouvant et passionnant.

I- DE LA POLOGNE A LA FRANCE : les deux premières générations

  1. Les origines polonaises
  2. L’installation en France

II- KHOUDES (c1867-1930) ET LA BRANCHE PELTA

III- EMMA (1872-1955) ET LA FAMILLE LAUFER

IV- MORDKA (c1873-1932) ET SA DESCENDANCE

  1. Jules (1891-1943) et David (1898-1943), les deux aînés
  2. De la descendance de David : pour lever un mystère sur une archive du Memorial de la Shoah
  3. La guerre : assignations à résidence et déportations de Jules et David
  4. Juliette (1900-1981) et Khil Hauser
  5. Salomon Maurice (1903-1981)
  6. Anna (1906-1947)
  7. Léon (1907-1992)
  8. Isaac « Jean » (1910-1989)
  9. Joseph (1914-1996)

V- ABRAHAM (1883-1943) ET SA DESCENDANCE : la branche directe de David Salomonovitch

  1. Abraham et Sarah : ses parents
  2. Ferdinand, Isaac et Juliette : ses frères et sœur
  3. David (1909-1944)

VI- ISRAËL (1885-1943) ET SA DESCENDANCE : UNE BRANCHE DECIMÉE PAR LA DÉPORTATION

SOURCES – REMERCIEMENTS

XVIIIe arrondissement – Wikipedia

XVIIIe arrondissement – Wikipedia

I – DE LA POLOGNE A LA FRANCE : LES DEUX PREMIÈRES GÉNÉRATIONS

1. Les origines polonaises

La famille Salomonovitch est originaire de la région de Łódź, partie de la Pologne occupée par les Russes au début du XXe siècle. Deux localités plus précisément, séparées de 17kms forment le « berceau » : Osjaków (souvent orthographiée Osiakov, mais également Tousiakeff, Assiakero, Assiakers…) et Wieluń (qui dans les archives, y compris celles du mémorial de la Shoah et le site de Yad Vashem, prend une multitude de formes impropres : Vieloune, Vielanne, Jelanne, voire Vjsbonne, et même Nephonne ou Williom aux archives de Vincennes !).

Wieluń après le bombardement de 1939 – Source : fr-academic.com

 

Toutes deux possédaient de fortes minorités juives, particulièrement Wieluń, centre artisanal et commercial, dont la présence juive remontait au début du XVIe siècle, et qui formait la moitié de la population de la ville en 1939 [3]. Le 1er septembre 1939 à 4 h 40, elle fut la première ville polonaise bombardée par la Luftwaffe, qui la détruisit à 80%. La région, régulièrement occupée par des puissances étrangères, connut également de très nombreux pogroms, et l’antisémitisme y était important.

C’est sans doute pour cette raison, ainsi que la volonté de trouver une vie moins misérable, que les Salomonovitch émigrèrent en France.

Les plus anciens ancêtres que nous connaissons se nommaient Salomon (on trouve parfois Chloma, voire Chlionna), marié à Itta/Ida/Hannah/Anne Abramovitch [4]. On ne sait rien d’eux à une exception : ils étaient déjà morts en 1904. On peut donc certifier qu’à l’exception d’Emma, la fratrie Salomonovitch ne quitta la Pologne russe qu’après la mort de leurs parents.

Salomon et Itta eurent de nombreux enfants sur lesquels nous devons nous attarder : presque tous finirent par rejoindre la France. Nous présenterons en premier lieu les six dont nous avons une preuve certaine de l’existence :

  • Khoudes (appelée sur certains actes Choudessa), née vers 1867 à Osjaków, qui pourrait être l’aînée, dont nous présenterons la descendance dans la partie II.
  • Emma, née le 02 février 1872 à Sinica, en Pologne [5]. Là bac, elle épouse Salie Laufer. Nous leur consacrons la partie III de cette étude.
  • Mordka [6] (on trouve également Modka, Mordko et Mordko Leil, voire Léon) est né entre 1873 et 1879 à Osjaków. Marié en Pologne avec Golda Leizerovitch, il fut celui qui eut la plus grande descendance ; huit enfants nés entre 1891 et 1914, dont les six premiers à Wieluń. Son fils Léon, qui naquit en 1907 dans cette ville, fut d’ailleurs le dernier Salomonovitch de la branche française à naître en Pologne. Deux de ses fils furent déportés. Nous consacrerons à cette descendance la partie IV.
  • Abraham naquit le 20 février 1883 à Osjaków : il fut le père de David Salomonovitch né en 1909 sur lequel on nous orienta dans le cadre du projet 77 : cette descendance fait l’objet de la partie V.
  • Israël naquit le 10 décembre 1885 à Wieluń. Il épousa en 1910 à Paris Anna Rachel Tabatchnik. Cette branche de la famille fut la plus mutilée de la Shoah puisqu’elle fut apparemment entièrement décimée. Leur parcours sera présenté dans la partie VI.
  • Henri, est né le 04 août 1888 à Osjaków. Tailleur d’habits, il habite au 6 avenue des Tilleuls lorsqu’il épouse, le 30 mai 1914, une couturière originaire de Trouville-sur-Mer (14) : Amélie Augustine Desplanques [7]. A cette occasion, il déclare et légitime la naissance d’une fille, Andrée, née à Paris (11e) en 1911 [8]. Leur union fut de courte durée : en 1914, Polonais, il s’engagea dans la Légion étrangère. Légionnaire de 2de classe à la 7ème compagnie du 2ème bataillon du 3ème régiment de Marche du 1er étranger (matricule 3317), il fut tué d’une balle dans la tête [9] le 08 mars 1915 à Frise (80), située sur la ligne de front à cette époque. Il fut décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze. Son nom est désormais indiqué sur l’imposant Monument aux Morts parisien, contre le mur du Père Lachaise.

Journal officiel de la République française, 05 octobre 1919

Le couple eut une fille unique, Andrée, née à Paris le 25 mai 1911 à Paris 10e, et décédée célibataire et sans postérité à Avon (77) le 30 mai 1994.

Nous ne serions pas exhaustifs si nous ne prenions pas en compte un rapport du commissariat de police réalisé le 12 novembre 1929 sur la famille d’Abraham dans le contexte de sa demande de naturalisation. Ce document, qui répertorie en particulier les frères et sœurs de Abraham, ne semble pas bien sérieux : s’il mentionne Khoudes, qu’il dit âgée de 70 ans, ce qui la ferait naître vers 1859 ( !), il ajoute « Léon, 50 ans, cordonnier 10 impasse Ribet, Izendar, 30 ans, cordonnier 23, rue Juge et Léa, 55 ans, remariée à un sujet français, sans profession, 24, rue Leibnitz ». Le fait que ce rapport considère Khoudes (née en 1859) sœur d’Izendar (née vers 1899), soient quarante ans d’écart entre le frère et la sœur, montre le peu de sérieux. Que peut-on faire de ces données ?

  • Pour Léon, pas de doute : il s’agit de Mordka Leil. Il vit à cette époque au 10 Passage Ribet (15e) et est bien cordonnier (il est dit dans le recensement de 1926 né en 1873). Dans le recensement de 1931, il est même appelé Leile. Modka/Mordko/Leil/Leile/Léon : on voit bien la volatilité des prénoms, sans savoir exactement celui qui était vraiment utilisé à l’époque par les proches.
  • Pour Izendar (que le rapport fait naître en 1899), il s’agit en réalité d’Isaac (né en fait en 1885). C’est bien lui qui demeure au 23bis, rue Juge (15e), comme l’atteste le recensement de 1926.
  • Léa, dont l’unique trace retrouvée est le recensement de 1926, effectivement au 24, rue Leibniz, dans lequel elle est dite née en 1863 (ce qui en ferait l’aînée), qu’elle est veuve vit avec un certain Nassim Lazar. J’ignore totalement ce qu’elle devint par la suite. L’acte de décès de Nassim, retrouvé en 1939 dans l’Etat-civil du 18e arrondissement, laisse cependant penser que s’ils vivaient ensemble, ils n’étaient pas remariés.

Demeure le cas de Sura. D’elle, nous ne savons presque rien car elle ne vint pas en France. Si on connaît son existence, c’est qu’elle épousa Uryn Abramovicz, un boucher, avec lequel elle eut de nombreux enfants, dont Golda, qui épousa en France son cousin Maurice Salomon Salomonovitch, mais également Fradla, dont la fille Estera épousa André Salomonovitch. La famille Abramovicz, qui noua donc plusieurs alliances généalogiques avec les Salomonovitch, demeura en grande partie en Pologne où elle fut décimée par la Shoah. Sura Salomonovitch et Uryn son époux furent exterminés à Chelmno [10]. Sura faisait-elle partie de la fratrie dont nous faisons l’étude ? Nous ne pouvons l’affirmer avec une certitude absolue bien que la probabilité soit très forte. Les membres actuels de la famille considèrent les choses ainsi.

Sura Salomonovitch– Photo familiale

2. L’installation en France

En quelle année les Salomonovitch arrivèrent-ils en France ? La famille actuelle a conservé dans sa mémoire l’idée que les hommes étaient arrivés en premier pour trouver du travail, puis avaient faits venir les familles, ce qui est somme-toute un grand classique de l’histoire de l’immigration, mais la situation fut peut-être plus complexe : les aînées de la famille étaient des femmes, qui arrivèrent mariées en France. Dans son dossier pour obtenir la nationalité, Abraham indique qu’il est arrivé en France en 1904. On peut de toutes les manières assurer que la famille migra dans les toutes premières années du XXe siècle.

On signalera que Léon, fils de Mordka, qui nait en Wieluń en 1907, est le dernier, toutes branches confondues, à être né en Pologne ; tandis que Maurice Laufer, fils d’Emma, né en 1900 dans le 18e arrondissement, est la première trace dans l’Etat-civil parisien de la présence de la famille en France.

Si les premiers actes Salomonovitch à Paris proviennent d’arrondissements divers, c’est très rapidement qu’ils se regroupent de manière pérenne dans le 15e ; particularité dans la mesure où les arrondissements d’élection de l’immigration juive à Paris étaient davantage le 4e, le 11e, le 19e et le 20e. Deux phénomènes peuvent l’expliquer : le regroupement familial autour des premiers arrivés en France, mais également le fait que les Salomonovitch étaient presque tous tailleurs, cordonniers ou couturières. Pour trouver leur clientèle, les quartiers traditionnels de la communauté juive –pauvres pour l’essentiel – étaient moins attractifs que le très peuplé 15e arrondissement.

II – KHOUDES (1867-1930) ET LA BRANCHE PELTA

Photo familiale – vers 1918

Né vers 1867 selon son acte de décès, Khoudes épousa en Pologne Macheck (appelé selon les actes Moïse, Mochel ou Nolisk) Pelta avec lequel elle eut quatre fils. Elle pourrait être l’aînée de la fratrie, à moins que ce titre ne lui soit ravi par Léa, voire Sura. Le couple eut quatre garçons, tous nés en Pologne, entre 1895 et 1904. Au début du XXe siècle, la famille Pelta fut l’une des branches qui s’installa en France en premier, d’abord dans le 18e arrondissement de Paris, au 15, rue Bachelet [11], puis plus tard à Montreuil-sous-Bois (93). Khoudes mourut en 1930 au 15, rue Bachelet, et fut inhumée le 1er décembre au cimetière parisien de Bagneux, dans ce qui allait devenir la principale sépulture de la famille [12].

Cette branche de la famille fut durement touchée par la guerre :

  • Idel Isaac Pelta, né en 1895 à Osjaków, épousa le 12 avril 1920 à Montreuil Jeanne Herschcelikovitch [13]. Il était tailleur. J’ignore s’il eut une descendance [14]. Durant la Seconde Guerre mondiale, il s’engagea dans la Résistance Française Intérieure au sein du Front national [15], d’obédience communiste. Arrêté, il fut emprisonné à Drancy [16]. Il partit de la gare de Bobigny le 30 mai 1944 avec le convoi 75 (1004 déportés sur la liste) et parvint au camp d’Auschwitz-Birkenau le 2 juin. Âgé de 49 ans à son arrivée, il semblerait qu’il ait fait partie des 624 gazés immédiatement.   Sa mémoire est honorée à Montreuil par une plaque rendant hommage aux communistes de la ville tombés pour la France.

Source : Geneanet

  • David Pelta, né en 1897 à Osjaków, épousa le 08 juin 1926 à Paris (18e) Armande Igmann. Tailleur d’habits comme son frère (et tant de membres de la famille), nous avons retrouvé la trace d’un enfant du couple, Alain Bernard, né le 17 mai 1930 à Paris 10e, et mort l’année suivante (le 04 avril) dans le 18e. David s’engagea au début de la Seconde Guerre mondiale au régiment de marche de volontaires étrangers RMVE (matricule 841). Il fut par la suite assigné à résidence forcée à Lacaune [17](81). De 1942 à 1944, près de 650 Juifs furent assignés à Lacaune. Une première rafle eut lieu le 26 août 1942, où 90 juifs, dont 22 enfants, furent déportés. C’est lors d’une seconde rafle, le 20 février 1943, que 29 hommes y furent déportés et conduits au camp de Gurs, puis envoyés à Drancy avant d’être déportés par les convois n° 50 et 51 des 4 et 6 mars 1943 vers Maidanek. Aucune personne n’est revenue de ces deux rafles. David faisait partie du convoi 51. Sa mémoire est rappelée sur le monument commémoratif de Lacaune. Son épouse avait préalablement été également déportée de Pithiviers par le convoi 35 pour Auschwitz le 21 septembre 1942.

Monument commémoratif de Lacaune -Wikipedia

  • Lazare Pelta, né en 1901 à Wieluń, épousa le 22 mai 1930 [18] à Paris 15e Marie Schwartz. On ne leur connaît pas d’enfant. Tous les deux étaient fourreurs. Dans des conditions inconnues, sans doute arrêté lors de la rafle des notables du 12 décembre 1941, Lazare fut conduit au camp de Royallieu de Compiègne où il mourut le 16 février 1942. Son nom est indiqué sur la tombe collective du cimetière du Sud de Compiègne où furent inhumés 137 internés, morts sous la torture, de faiblesse ou fusillés. Arrivée le 13 mai 1944 à Drancy, Marie Schwartz fut déportée à Auschwitz le 20 mai par le convoi 74.

Tombe collective du cimetière Sud de Compiègne – photo personnelle

Elle fut la seule les vingt deux déportés de la famille à revenir des camps !

Leur photo de mariage (1930) permet de mettre un visage sur un grand nombre de membres de la famille que cette étude aborde.

Mariage Lazare Pelta et Marie Schwartz – Paris, 22 mai 1930 – Photo familiale

  • Salomon « Raymond » Pelta [19], né en 1904 à Osjaków, épousa religieusement au Temple de la Tournelle à Paris le 22 juin 1930 Adèle Herschcelikovitch, sœur de l’épouse de son frère Idel. Il fut également fourreur, d’abord à Paris (il exerça rue Boutry), puis à Montreuil. Il fut soldat 2nde classe au 6 21e, et à ce titre fut fait prisonnier de guerre en Allemagne en 1941 au stalag XVII B. Il revint cependant en France et fut naturalisé par décret du JO le 22 février 1947.

Salomon et Adèle lors de leur mariage (1930) – Photo familiale

Il mourut à Montreuil, au 9, rue Carnot, en 1981 ; faisant de lui l’unique membre de cette branche de la famille à avoir échappé aux rafles et à la déportation. Il maintint des liens après la guerre avec le reste de la famille Salomonovitch.

III – EMMA (1872-1955) ET LA FAMILLE LAUFER

Cette famille a été une source d’interrogations dès que nous sommes entrés en contact avec les branches Salomonovitch actuelles : tous nous parlaient des « Laufer », possédaient des photos d’eux, dont une, précieuse, annotée grâce à des « Anciens » de la famille aujourd’hui décédés, précisant que la mère de Marcel Laufer était la sœur d’Abraham. Nous n’avions rien trouvé dans l’Etat-civil, et nous en venions même à penser qu’il n’y avait pas de lien, contrairement à ce que pensait la famille, entre les Salomonovitch et les Laufer.

C’est après un très long travail de recherche que nous sommes parvenus à résoudre l’énigme : une Emma Salomonovitch avait bien épousé un Laufer, donnant naissance à deux garçons : Maurice, en 1900 dans le 18e arrondissement de Paris, et Marcel, en 1905, dans le 5ème arrondissement.

Malgré une erreur dans les tables décennales (mais heureusement pas dans les registres), nous avons finalement retrouvé le décès d’Emma à Paris en 1955.

Acte de décès d’Emma Salomonovitch, épouse Laufer – Paris 18e, 1955

On voit bien que le déclarant n’est pas très sur de lui : la mère d’Emma est rebaptisée Juliette (mais il est vrai que la femme de Salomon Salomonovitch (devenu ici Salomonowicz) n’a jamais le même prénom) ! Plus curieux : l’acte est assez précis sur sa naissance, la disant née à Sinica, commune polonaise éloignée de 300 kms de celles de ses frères et sœurs. Dans l’absolu, rien d’impossible : il suffisait d’un pogrom pour voir certaines familles juives s’exiler loin. Lorsqu’elle mourut en 1955, son mari Salie, plus âgé qu’elle de 29 ans, était mort depuis 34 ans ! On retrouve leur trace dans les registres d’inhumation : lui fut inhumé au cimetière de Bagneux [20], elle le fut dans une concession achetée par son fils Maurice au cimetière de Pantin [21].

Nous l’avons vu, l’acte de naissance de ce fils à l’hôpital Tenon (20e) en 1900 est le premier acte parisien de toute cette famille venue de Pologne. Emma Salomonovitch vivait donc avec certitude à Paris dès cette date. Au gré des actes, on connaît ses résidences successives : le couple habitait au 71, rue Saint-Jacques (5e) lors de la naissance de leurs deux enfants. A sa mort à Clamart en 1921, Salie est domicilié au 73, avenue Victor à Clamart, sans que nous en sachions la raison. En 1925 et 1926, Emma vit au 10, passage Ribet [22] tandis que de 1939 – mariage de son fils – à sa mort, elle habite le 14, rue Neuve de la chardonnière (18e).

Photo 1 : Assise : Emma Salomonovitch épouse Laufer. Le garçon juste derrière elle pourrait être Ferdinand Salomonovitch. – Photo familiale
Photo 2 : Ferdinand Salomonovitch (debout) et Marcel Laufer (assis) – Photo familiale

La famille actuelle a gardé en mémoire la présence d’un Laufer qui était médecin et qui soignait une partie de la famille : peut-être était-il un frère de Maurice et Marcel ?

Dernière anecdote humoristique sur cette branche de la famille : un entrefilet trouvé dans l’Intransigeant daté du 24 août 1932 concernant un trafic de vol de poules – au sens propre du terme – ! Nous n’avons aucune preuve que le Marcel Laufer incriminé soit le « notre », mais force est de constater que l’âge correspond !

IV – MORDKA (c1873-1932) ET SA DESCENDANCE

Mordka – Photo familiale

Bien que premier des fils de Salomon, Mordka ne fut a priori pas le premier à arriver à Paris (son dernier fils Léon étant né en 1907 en Pologne), on peut le suivre au gré des registres dans des déménagements fréquents à Paris [23] : 27, rue Dupleix puis 3, Place Dupleix en 1910, 21, rue de l’Eglise à l’entrée en guerre en 1914, 70bis, rue de Lourmel [24] en 1919. On le voit installer définitivement en 1926 au 10, impasse Ribet (15e), adresse où il mourut [25]. Il était cordonnier, comme beaucoup d’autres membres de sa famille. Il mourut en 1932 et fut inhumé le 31 juillet dans le même caveau que sa sœur Khoudes, au cimetière parisien de Bagneux.

Mordka, son épouse Golda et leur fils Salomon Maurice
Photo familiale

Avec son épouse, Golda Leizerovitch, qui le rejoignit dans ce caveau un an plus tard après avoir passée un an dans une maison de retraite de la rue Houdan à Sceaux (92), il eut huit enfants :

Les six premiers naquirent à Wieluń :

  • Zolec (Jules), né le 28 décembre 1891,
  • David, le 05 septembre 1898,
  • Juliette, le 04 septembre 1900,
  • Salomon Maurice, le 15 septembre 1903,
  • Anna, le 07 mars 1906,
  • Léon, le 10 avril 1907.

Arrivés à Paris, ils eurent encore deux autres enfants dans le 15e arrondissement :

  • Isaac, connu sous le nom de Jean, le 19 avril 1910,
  • Joseph, le 20 novembre 1914.

Le Matin, 16 mai 1914

Dans un dossier lourd de deuils et de drames, une petite anecdote au passage qui prêtera à sourire (encore que ce ne fut sans doute pas le cas pour la malheureuse) : le 16 mai 1914 paraissait dans le quotidien Le Matin, une petite chronique judiciaire rendait compte d’une singulière affaire, opposant au tribunal une Mme Salomonovitch et le docteur Laurent de Belloc. Dotée d’un « système pileux très développé », elle avait décidé, « par une coquetterie légitime, de recourir aux bons soins d’un docteur qui la traita par des rayons X, qui occasionnèrent sur les jambes une radiodermite, et des ulcérations dont les traces sont indélébiles ». Considérant que le docteur ne l’avait pas assez prévenu des risques, et qu’il aurait du se limiter « à l’épilation, chez la femme, de la difformité dite « barbe du sapeur », il fut condamné à verser à titre de dommages et intérêts la somme de dix huit mille francs.

Témoignage du temps, celui des premiers essais thérapeutiques des découvertes des Curie ! Nous ignorons de quelle « Madame Salomonovitch » il est ici question, sachant que nous n’en avons retrouvé aucune mariée aux alentours proches de 1914.

Tentons maintenant de reconstituer le parcours des huit enfants de Mordka et de Golda.

1. Jules (1891-1943) et David (1898-1943), les deux aînés

Lorsque la guerre éclata en 1914, tous les Salomonovitch de cette famille étaient en France. Des huit enfants de Mordka, seul l’aîné, Zolec, plus connu sous le nom de Jules [26], et né en 1891, était en âge de partir sur le front. Polonais, il ne pouvait faire partie du contingent national.

A 19 ans, Jules s’engagea donc sous l’uniforme français dans la Légion étrangère. Il participa à la guerre et on sait, par un document ultérieur, qu’il reçut la Croix de guerre. En 1919-1920, il fit la campagne de Pologne pour lutter contre les Bolchéviques. C’est là qu’il rencontra sa future épouse, Olga Glazer, originaire d’Ukraine. Sans doute se marièrent-ils en Pologne mais c’est en France que naquirent cinq enfants, tous dans le 15e arrondissement : Rose [27] (1921), Zélie (1924) [28], Jeannette (1924), Georges (1925) [29] et Lucienne (1928).

Jules était tailleur et vivait 81, rue du Théâtre (15e), où on le retrouve dans les recensements de 1926, 1931 et 1936.

Jules et Olga Glazer – Photo familiale

En 1936, réunion de famille : à cette même adresse vit non seulement Jules, son épouse et ses filles, mais dans l’appartement contigüe sont venus s’installer son frère Salomon Maurice, son épouse, leur fils, mais également Anna, leur sœur née en 1906, célibataire. Le 11 juillet 1932, on apprend que Jules a monté, avec une certaine Sarah Benenson, une société en nom collectif appelée « Sarah et Jules » avec pour objet l’exploitation d’un commerce de tailleurs/travail à façon, dont le siège social est fixé à l’adresse de Jules (81, rue du Théâtre). Le 26 juin 1933 pourtant, dans un entrefilet du Matin, l’entreprise est déclarée en faillite.

Photo 1 : Archives commerciales de la France, 20 juillet 1932
Photo 2 : 81, rue du Théâtre (15e) : La famille Abrahamowicz y vécut après la guerre (au 3ème étage et au rez-de-chaussée), venue rejoindre d’autres membres de la famille. Derrière cet immeuble –traversant- se trouvait un autre immeuble donnant sur cour où vivaient Jules et sa famille, mais également Salomon Maurice et la sienne. C’était également le
siège social de l’entreprise fondée par Jules – Photo : GoogleMaps

Son frère David, né le 05 septembre 1898 à Wieluń, exerçant également la profession de tailleur d’habits, eut l’âge de partir sur le front en 1916. On sait qu’il reçut également la Croix de guerre. L’Etat-civil et les recensements du 15e arrondissement de Paris nous permettent de retracer son parcours.

En juin 1910, Alice Albertine Amanda Vincent épousa dans le 15e arrondissement un comptable, Armand Maginaut. Avec lui, elle eut en 1913 une fille (Odette), mais ce dernier fut tué sur le front dans la Meuse en février 1916. La jeune veuve se retrouva dès lors avec sa fille de trois ans. C’est vers cette époque qu’elle noua une relation avec David Salomonovitch, avec lequel elle eut, sans être mariée avec lui, quatre autres enfants : Simone (1919), Paulette Andrée (1920), Henri (1922) et Raymonde (1925) [30].

Alice Vincent – photo familiale

On retrouve sa trace dans le recensement de 1926 chez Alice Vincent, au 7, rue Léontine-prolongée (15e). Ce qui est intéressant au regard de ce recensement, c’est qu’il y apparaît en tant « qu’ami », et que si les quatre enfants apparaissent bien, ils le sont sous le nom de Maginaut, alors qu’Armand était mort trois ans avant la naissance de la première !

Probables photos de David Salomonovitch (né en 1898) – Photo familiale

On ne sait pas où habitait la famille lors du recensement de 1931, mais on la retrouve dans celui de 1936 au 10, Impasse Ribet (15e), ce qui signifie que David reprit l’appartement de son père, qui y mourut quatre ans auparavant.

7, Passage Léontine prolongée – Photo : GoogleMaps

En 1939, au mariage de sa fille Simone, David et Alice demeurent au 84, rue Lecourbe (15e). Ils ne se marièrent jamais : ainsi, sur son acte de décès en 1970 (Paris 13), Alice est dite veuve d’Armand Maginaut !

Recensement 1926 du 7, Passage Léontine prolongée

 

2. De la descendance de David : pour lever un mystère sur une archive du Memorial de la Shoah

Parmi les documents contenus dans le dossier de David Salomonovitch que nous avait confié le Convoi 77 figurait une lettre, datée de 1991 à Marignane, d’un certain André Salomonovitch qui demandait des renseignements sur certains déportés de sa famille. Nous la reproduisons ici :

En un premier temps, nous n’y avons pas porté plus d’attention que cela : nous étions persuadé qu’il s’agissait d’André, né en 1941, petit-fils de Mordka. La veuve d’André, avec qui nous entrâmes en contact, nous certifia que ce n’était pas son mari qui avait rédigé cette lettre ; et qu’en outre ils n’avaient jamais habités à Marignane.

Cette révélation nous laissa perplexe : qui pouvait-donc être cet André ? Aucun membre de la famille actuelle ne pouvait nous aider ; cette lettre les laissant eux-aussi perplexes. Recherches faites évidemment : plus de Salomonovitch à Marignane, qui aurait pu nous mettre sur une piste.

La lettre contenait néanmoins un détail important : André y évoquait un de ses oncles, décédé lors de la rédaction de la lettre, qui avait été « capitaine de corvette ». Maigre indice, dans la mesure où cet oncle aurait pu appartenir à une autre famille que les Salomonovitch. C’est l’étude exhaustive de la famille qui nous permit de résoudre le « mystère » : David (né en 1898) eut quatre enfants de sa liaison hors mariage avec Alice Vincent. Trois étaient des femmes mariées, qui ne pouvaient donc pas avoir eu un enfant au nom de Salomonovitch.

Paulette, née en 1920, avait épousé en 1947 dans le 15e arrondissement Pierre Omer Sergeant : il se trouve que ce dernier était … capitaine de corvette !   Né en 1921 à Millencourt dans la Somme, il était encore étudiant lorsqu’il décida de s’engager, dès juin 1940, dans les futures FFL au sein de la Marine. A la fin des hostilités, il poursuivit son engagement militaire ; fit campagne en Indochine, et fut promu capitaine de frégate en 1966. Il mourut à Rouen (76) [31] en 1988, soit trois ans avant la lettre d’André. Dès lors, le mystérieux André ne pouvait être que le fils d’un frère de Paulette. S’il eut quatre enfants, David n’eut qu’un fils : Henri, né en 1922 et marié en 1947 avec une Allemande de Berlin, Erika Anneliese Kosse.

Pierre Sergeant – Source de la photo : compagnonshavrais.jimdofree.com

Si notre analyse se révèle vraie, André naquit donc après 1947. Peut-être lira-t-il cette étude, qui lui apportera, nous l’espérons, une meilleure connaissance de sa famille.

Dans l’immédiat, reprenons le fil du récit de ce que devinrent Jules et David.

3. La guerre : assignations à résidence et déportations de Jules et David

Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, Jules et David entrèrent dans une spirale infernale qui se termina par la déportation dans les camps. Si nous possédons pas mal d’informations sur cette période, force est de constater que certaines nous manquent et que nous ne sommes pas parvenus à totalement gérer la confusion qui règne dans la compréhension des événements ; les documents en notre possession donnant parfois des informations contradictoires. Les membres les plus âgés de la famille Salomonovitch actuelle étaient trop jeunes à l’époque pour en savoir beaucoup plus. Des faits étayés par des documents seront donc complétés par des suppositions probables à défaut d’être certaines.

Jules Salomonovitch – Mémorial de la Shoah

En un premier temps, nous nous concentrerons sur les deux aînés, Jules et David, qui suivirent un parcours assez similaire sans que l’on sache exactement avec quel degré de concertation.

On a peu d’information sur Jules et David lors de l’entrée en guerre de la France : on sait que le premier se sépara de son épouse au début des années 40. On possède un document daté du 25 avril 1940 laissant penser que David souhaitait s’engager dans l’armée française : muni d’un certificat du Consul Général de Pologne attestant sa déchéance de la nationalité polonaise, il vint solliciter l’échange de sa carte d’identité au titre de Polonais contre une carte portant la mention « nationalité indéterminée », nécessaire pour son incorporation. Il obtint ce document, mais on peut penser que l’Armistice qui suivit rendit cet engagement caduque.

Lettre de la Sureté Générale, 25 avril 1940 – Archives de la Police, 1999 40 446/3

A des dates et dans des circonstances que nous ignorons, les deux frères franchirent la ligne de démarcation et se retrouvèrent en « zone libre ». On retrouve alors leur trace dans le Cantal, au moment où ils sont assignés à résidence.

Archives du Cantal – 9NUM7

Un document porte les deux noms de Jules et David et donne les informations suivantes :

  • Jules, qualifié de « tailleur pour dames » inapte (sans doute aux emplois pénibles dans l’industrie), est indiqué avoir été placé en internement par le département du Rhône alors « qu’il séjournait au 972 GTE». Les GTE étaient les groupements de travailleurs étrangers, créés par une loi du 27 septembre 1940, dont le but était de lutter contre le chômage par l’exclusion des républicains espagnols, des prisonniers du Reich (jusqu’à l’Armistice), puis des Juifs, considérés « en surnombre dans l’économie nationale ». Placés sous l’autorité du ministère de la Production industrielle et du Travail, ces GTE étaient composés de 250 hommes commandés par un officier de réserve. Contre un salaire de misère, ils participaient à des travaux pénibles très variables selon les endroits. En 1941, il existait cinq GTE : le 5ème était celui de Lyon, et c’est dans celui-ci que se trouvait le 972, composé de travailleurs polonais, basé au fort de Chapoly, à Saint-Genis-les-Ollieres (69). Ce GTE était particulièrement pénible car il était disciplinaire, et possédait même une prison. Tentons donc de reconstituer une trame possible alors qu’il nous manque pas mal d’éléments : Jules franchit la ligne de démarcation au cours de l’année 1941. Arrêté lors d’une rafle dans une grande ville (Lyon ?), il est enrôlé dans une GTE. Inapte pour le travail qu’on lui a confié, ayant quelques moyens de subsistance, il est finalement assigné le 23 décembre 1941 à résidence dans le Cantal, d’abord à Ytrac puis à Chaudes-Aigues.
  • Concernant David, on a peu d’information, qui parfois se contredisent. On dispose d’un dossier de demande d’homologation au grade de FFI daté de 1947, où sa compagne (Alice David), puis sa fille aînée Simone, rassemblent des documents à cette fin [32]: ce document, non exempt d’erreurs – il naît selon les dossiers en 1896 ou 1898 / est marié ou non- apporte certaines données : il est indiqué avoir franchi la ligne de démarcation dès juillet 1940 [33] et s’être installé dans le Cantal à Chaudes-Aigues, information démentie par un autre document du      dossier qui précise qu’il ne passa que quelques temps dans la commune avant de partir pour la région d’Aurillac où on perd sa trace.

Archives du Cantal – 9NUM7

Un document de son dossier de déporté de Caen précise que le 20 janvier 1942, il se trouve assigné à résidence au Rouget-Pers, commune de Saint-Mamet-la-Salvetat (15), a priori avec son épouse et un enfant [34] mais un arrêté du 29 janvier de la même année [35] le somme de changer de commune et de repartir, dans les quinze jours, pour Chaudes-Aigues [36]. Un document un peu plus tardif, mais hélas non daté, indique la présence simultanée de Jules et David à Chaudes-Aigues, parmi 69 Juifs : tous deux sont déclarés célibataires [37] ! Le document à son nom que l’on a trouvé aux Archives militaires de Vincennes [38] indique qu’il fut arrêté en octobre 1942 par la gendarmerie de Chaudes-Aigues en raison d’une dénonciation.

Archives militaires de Vincennes – 16P 532 893

Si les camps d’internements et de transits de la zone sud (Gurs, Rivesaltes, les Milles…) sont connus et font l’objet de nombreuses études, il semble qu’il n’en est pas de même pour ce phénomène qui concerna un grand nombre de juifs étrangers : les assignations à résidence, que nous avons déjà évoquées dans la première partie de cette étude puisque David Pelta fut assigné à celle de Lacaune (81) [39]. Une trentaine de lieux d’internement dans la zone sud portant l’appellation de “Centres de résidence assignée” avaient été créés. Prévus dès la loi du 4 octobre 1940, qui précisait que «Les ressortissants étrangers de race juive pourront en tout temps se voir assigner une résidence forcée par le préfet du département de leur résidence », ces lieux se développèrent dès la fin 1941 [40] pour atteindre leur apogée en 1943.

Les communes destinées à devenir centre d’assignation dans toute la France libre avaient toutes le même profil : une petite ville isolée [41] dans un cadre rural dans laquelle se trouvait une brigade de gendarmerie, mais disposant également de capacités d’hébergement. Les petites stations thermales, d’où le tourisme avait quasiment disparu pendant la guerre, furent donc privilégiées. L’assignation à résidence était destinée à ceux qui disposaient de moyens d’existence, et donc capables de subvenir à leurs besoins [42], les autres étant internés dans des camps. C’était un moyen moins coûteux pour le gouvernement de Vichy de mettre les Juifs à l’écart sans user de l’internement. En théorie, en étaient exemptés les femmes et enfants de moins de quinze ans et les personnes de plus de soixante. Les conditions de vie des assignés dépendaient de la « pension » qu’ils pouvaient verser.

Située à proximité de Saint-Flour, Chaudes-Aigues répondait totalement aux critères exigés : une petite station thermale rurale loin des grands centres urbains. Un arrêté municipal du 01 juin 1942 stipule que « les Juifs en résidence forcée à Chaudesaigues n’auront accès dans les magasins vendant au détail les produits nécessaires à l’alimentation que de 10h30 minutes à midi et de 16h00 à 18h00, le restant de la journée demeurant expressément réservé à la population française de Chaudes-Aigues ». Au départ, les communes choisies et leurs populations furent assez hostiles à cette installation vue comme une invasion : non seulement pour beaucoup de ruraux, la rencontre de populations juives était une première ; mais on voyait d’un très mauvais œil cette population oisive (ils avaient été chassés de leur emploi). Ces arrivées alimentèrent l’antisémitisme : les Juifs étaient des parasites qui ne faisaient rien pour gagner leur vie ! Accusation récurrente également : ils pratiquaient le marché noir pour pouvoir se nourrir.

Lettre de M. Brémont, maire de Chaudesaigues, et pétition des légionnaires de Chaudesaigues (signée par tous les légionnaires) en date du 16 mai 1942. Ces courriers attestent à la fois d’un fort antisémitisme ambiant, mais également d’une cécité totale – volontaire ou non – de l’état catastrophique des populations assignées à résidence forcée. Sources : archives du Cantal, 9NUM7

Les demandes sont appuyées, dès le 23 mai 1942, par la Légion Française des combattants, organisation vichyste, qui ne laisse aucun doute sur leur orientation idéologique et politique.

Archives du Cantal – 9NUM7

Malgré tout, progressivement, des liens se créèrent entre populations locales et assignées. Pour des raisons pragmatiques d’abord : pour les particuliers logeant des Juifs, mais également pour les propriétaires et gérants d’hôtels et d’établissements thermaux, frappés par l’absence de touristes pendant la guerre, ce fut le moyen de réaliser quelques bénéfices. Un système de troc profitable à tous se mit en place : un grand nombre d’assignés à résidence étaient des artisans (cordonnier, tailleurs…) qui réalisaient des travaux en échanges de denrées agricoles. Ces assignations à résidence, apparaissant comme une version adoucie de l’internement dans les camps, ne les protégeaient que temporairement : outre le fait que des rafles existaient, comme celle qui entraîna la déportation de David Pelta ; des ressources épuisées signifiaient le retour dans les camps français, voire la déportation en Pologne.

David Salomonovitch eut-il une activité résistante ? Un document du dossier FFI [43] laisse entendre qu’il appartint à un mouvement de résistance rattaché à la huitième région de Lyon. Néanmoins, la demande faite d’homologation au titre de FFI engagé en 1947 par la famille reçut une réponse négative, les commissions d’homologation ayant considéré, après consultation de son dossier, les preuves non suffisantes. Ce même dossier indique son internement en date du 01 mars 1943, sans plus de détails.

Concernant Jules, la situation devient floue : nous avons vu qu’il avait été placé en résidence assignée dans le Cantal en décembre 1941, d’abord à Ytrac puis à Chaudes-Aigues. Un document retrouvé aux archives du Cantal précise qu’à l’issue d’un sauf-conduit qu’il avait obtenu, il n’est pas retourné en résidence assignée le 02 mai 1942 !

On retrouve sa trace quelques mois plus tard, sans savoir ce qu’il a fait et où il a vécu dans l’intervalle. Le 13 mars 1943, un procès verbal du commissaire principal de police de l’agglomération lyonnaise fait part de l’arrestation de Jules. L’affaire est peu claire : une Mme Bailly qui rentrait à l’hôtel avec ses deux filles au 110, rue de Vendôme [44] pour récupérer des bagages assista à l’arrestation d’une dizaine de personnes, en particulier Jules, mais elle précise que ce dernier possédait sa carte d’alimentation qu’elle aimerait récupérer ! Dans la famille, la tradition raconte qu’elle devait être sa maîtresse.

Procès verbal – Service régional de police judiciaire de Lyon (SRPJ), 13 mars 1943, Archives du Rhône, cote 3335W30, 3335W1

On ignore pourquoi il se trouvait à Lyon, et on ne sait si elle récupéra sa carte ; mais pour Jules, qui n’avait pas déclaré sa judéité aux autorités de Vichy et qui possédait a priori de faux-papiers, ce fut le début de la descente aux enfers. Arrêté le 08 mars à Lyon, incarcéré à la prison de Montluc puis transféré à Drancy dix jours plus tard alors qu’il était atteint de la typhoïde, il fut déporté le 23 mars 1943 par le convoi 52.

Transportés en autobus vers la gare du Bourget-Drancy, emportant avec eux quelques provisions et une petite valise, 994 Juifs partirent à 9:42 pour une destination inconnue, à savoir le camp d’extermination de Sobibor. Jules fut a priori gazé dès son arrivée.

Le sort n’avait pas été pas plus clément pour David : lorsque Le 13 février 1943, deux officiers de la Luftwaffe furent abattus à Paris, les Allemands en représailles ordonnèrent l’arrestation et de déportation de 2000 Juifs. Les arrestations se firent surtout en zone sud, et visèrent plus particulièrement les Juifs de nationalités étrangères. La plupart furent en un premier temps conduit au camp de Gurs, puis transférés à Drancy où ils arrivèrent le 4 mars. Deux jours plus tard, à 8h55, le convoi 51 partit de la gare du Bourget-Drancy avec 1000 Juifs à bord, dont David, à destination du camp de Majdanek. En 1945, on dénombrait cinq rescapés de ce convoi.

Au cimetière israélite de la Mouche, dans le quartier de Gerland à Lyon (69), un monument rappelle la mémoire des Juifs déportés passés par le département, en particulier ceux emprisonnés à Montluc. Quatre Salomonovitch y figurent, avec leur année de naissance et le numéro de leur convoi : Jules et David, dont nous venons de tenter de retracer l’itinéraire, mais également David (né en 1909), que nous étudions dans la partie suivante et Maurice (voir partie VI), tous deux partis avec le convoi 77.

Cimetière israélite de la Mouche
Photo : Geneawiki

4. Juliette et Khil Hauser

Troisième enfant de Mordka et Golda, Juliette [45] et [46], née le 04 septembre 1900 [47] à Wieluń, épouse le 19 juin 1919, dans le 15e arrondissement de Paris Khil Hauser, originaire de Brzeziny, village polonais à l’est de Łódź. Elle est couturière et habite au 70bis, Rue Lourmel chez ses parents ; lui est tailleur. Ensemble, ils n’eurent qu’un fils : Maurice. En 1926, la famille habite au 19, rue Boinod (18e) [48].

Photo 1 : « Julia » et Khil Hauser
Photo 2 : Maurice Hauser, le fils unique de Julia et Khil
Photos familiales

On retrouve la trace de Khil Hauser dans un document des Archives de Vincennes [49]. L’étude de ce dossier est passionnante et se lit en deux temps, qui témoignent de la complexité des homologations au titre de FFI : en premier lieu, dès 1946, on apprend qu’il servit en 1939 au sein du 2ème Régiment de marche étranger, puis qu’il entra dans la Résistance communiste (FTPF) en novembre 1940. Soldat de seconde classe dans les FFI, il fut arrêté le 21 août 1941 lors d’une mission sur dénonciation pour propagande antiallemande et dépôt d’armes, interné à Drancy, puis à la Santé, à Fresnes, puis à Compiègne, avant d’être déporté le 29 avril 1942 à Auschwitz par le convoi n°2. Son homologation au titre de FFI est accordée.

Khil Hauser
Photo familiale

 

Archives de Vincennes
Dossier FFI Khil Hauser 16P287144

En 1951 pourtant, revirement : son dossier est réétudié. Son appartenance à la Résistance est considérée comme insuffisamment documentée. Le rapport précise que les registres d’écrou à la Santé, qui aurait pu détenir des informations supplémentaires, ont été détruits par l’occupant. En outre, son épouse a déclaré que « son époux avait été arrêté le 21 août 1941 comme israélite au cours d’une rafle, qu’il avait été interné à Compiègne en 1942, et qu’elle n’a pu fournir aucune précision concernant l’appartenance de son mari à un groupement de résistance ». Par conséquent, l’homologation de Khil Hauser au titre de FFI fut annulée.

Archives de Vincennes
Dossier FFI Khil Hauser 16P287144

Quoiqu’il en soit, Khil Hauser fut bien déporté par le convoi n°2 qui partit de Compiègne pour Auschwitz, d’où il ne revint pas.

5. Salomon Maurice (1903-1981)

Salomon Maurice nait le 15 septembre 1903 à Wieluń. Le 17 juin 1926, vit encore chez ses parents au 10, impasse Ribet lorsqu’il épouse dans le 15ème arrondissement de Paris Golda Abrahamowicz, qui est également sa cousine puisque cette dernière est la fille de Sura Salomonovitch. Leurs témoins de mariage étaient Alice Maginaut, la compagne de David Salomonovitch, frère du marié, et Juliette Hauser, sa sœur.

En 1932, il est cordonnier [50] à Bobigny (93) et habite au 12, rue Buté de cette commune lorsqu’il déclare le décès de son père dans le 15e arrondissement de Paris ; tandis qu’un an plus tard, il vit au 33, rue Robert Lindet lorsqu’il déclare le décès de sa mère à Sceaux. Le couple eut deux enfants : Félix, né en 1928 et mort l’année suivante dans le 15e arrondissement [51], et Henri, né le 22 novembre 1931 à La Courneuve (93), qui décéda le 04 mai 2024 alors que nous rédigions cette monographie. Il travailla chez Citroën avant la guerre.

Durant la guerre, il se fit discret avec son épouse, demeurant à Paris au 81, rue du théâtre où, nous l’avons vu, une partie de la famille s’était regroupée comme l’atteste le recensement de 1936. Leur fils Henri avait été envoyé le temps de la guerre chez une famille paysanne auvergnate [52]. Un voisin, policier corse du nom de Scabini [53], les prévint plus d’une fois des risques de rafles ou de descentes de police, ce qui leur permit, contrairement à de nombreux membres de la famille, de survivre à la guerre.

Bien après la guerre, Salomon-Maurice se fit construire, avec son frère Léon, deux maisons mitoyennes à Apt, où s’était installé leur frère Joseph (voir plus loin). Mort à Apt, il fut rapatrié dans le caveau familial du cimetière parisien de Bagneux.

6. Anna (1906-1947)

Anna fait sa bat-mitzvah, 1918
Photo familiale

On possède peu d’informations sur Anna, cinquième enfant de Mordka et Golda. De santé fragile, née le 07 mars 1906 à Wieluń, elle ne se maria jamais, n’eut pas d’enfant, et mourut prématurément à l’hôpital de Garches (92) le 26 avril 1947. Déclarée couturière lors du recensement de 1926 au 10, impasse Ribet ; elle est dite marchande de la maison Rabaux (19e arrondissement de Paris) lors du recensement de 1931. Sur le recensement de 1936, elle est déclarée peintre !

Anna repose également au cimetière parisien de Bagneux, mais pas dans le caveau familial de la 4e division [54].

7. Léon (1907-1992) 

Léon nait le 10 avril 1907 à Wieluń, sixième enfant de Mordka et Golda. Chauffeur au recensement 1926 au domicile de ses parents au 10, Passage Ribet, il est magasinier et habite au 27, rue Robert Lindet lorsqu’il épouse, le 13 avril 1935 à la mairie du 15e arrondissement de Paris Marguerite Charrière, une téléphoniste. Sa sœur Juliette est l’un des témoins du mariage. Léon et son épouse n’eurent pas d’enfant.

Son dossier d’homologation FFI des Archives de Vincennes [55] permet d’obtenir des informations sur ce qu’il devint pendant la guerre : engagé en 1939 (mais pas appelé, pour une raison inconnue), il se cacha en un premier temps à Clamart (92) après l’armistice, puis se rendit en zone libre. Arrêté, il fut interné au camp Malaval de Marseille (13) mais s’en évada. Il rejoignit le 10 août 1944 la Résistance [56] et servit dans les FFI de la Seine [57] du 18 au 25 août 1944. Il participa à la libération de Clamart et d’Issy-les-Moulineaux, effectua des reconnaissances à l’île-Saint-Germain (sur la commune d’Issy-les-Moulineaux), prit part à l’engagement du « Soleil levant » [58] et au nettoyage des bois de Clamart, où il ramena des prisonniers et de l’armement, ce qui lui valut d’être cité à l’ordre du régiment. Le 24 août, il fut nommé caporal.

Homologation FFI – Archives de Vincennes 19 P 532 895

Il fut homologué membre des FFI et démobilisé en novembre 1945. Il devint par la suite représentant. Lorsqu’il prit sa retraite, avec son frère Salomon Maurice, ils firent construire une maison près de leur frère Joseph. Léon et son épouse furent inhumés au cimetière de Saint-Saturnin d’Apt.

8. Isaac « Jean » (1910-1989)

 

De tous les membres de la fratrie, Isaac, qui se faisait appeler Jean [59], fut celui qui vécut le plus en marge du reste de la famille : de ce fait, nous possédons assez peu d’informations sur lui. Né le 19 avril 1910 dans le 15e arrondissement de Paris, il exerça les métiers de mécanicien, puis de plombier. Caporal pendant la guerre, il fut prisonnier dans un stalag. Il épousa le 18 décembre 1948 à Vanves (92) Emilienne Elisa Coulombier avec laquelle il n’eut qu’une fille, Jeannette.

Il mourut le 24 février 1989 à Clamart et fut inhumé au cimetière parisien de Montrouge.

9. Joseph (1914-1996)

Dernier né de Mordka et Golda, Joseph nait le 20 novembre 1914 dans le 15e arrondissement. Il épouse le 16 octobre 1937 dans ce même arrondissement Esther Szajbowiecz. Il est alors chauffeur et réside 81, rue du Théâtre. Sa future épouse habite au 27, rue Robert Lindet. Son frère David est l’un des témoins du mariage. Il exerce la profession de chauffeur.

En 1941, on entend parler de lui dans les journaux : avec plusieurs compagnons, il opère alors dans le quartier de la Bourse à Paris dans un trafic de dollars-or. Pas de chance : ils proposent une vente à quatre inspecteurs de la Police !

Document 1 : Paris-Soir, 24 février 1941
Document 2 : Le Matin, 24 février 1941

Après une course-poursuite au métro Saint-Denis, ils sont appréhendés. On ignore comment cette affaire se termina.

On sait que peu de temps après, il se rendit à Toulouse en zone libre où il fut caché par une famille catholique. Lorsque les Allemands s’emparèrent de la zone libre et envahirent Toulouse, la situation devint trop risquée et Joseph et sa famille quittèrent la ville. On la retrouve ensuite dans le Vaucluse où Joseph prit le maquis [60] : il servit dans les FFI du 01 février 1943 au 26 août 1944 et y devint sergent-chef. La citation à l’ordre du régiment [61] qu’il reçut est élogieuse et nous informe de ses missions : nombreuses réceptions de largages d’avions, chauffeur de la section alimentant en armes les différents réseaux du Vaucluse malgré la présence de l’armée allemande, distinction particulière lors de la prise d’Apt entre le 20 et le 22 août 1944.On loue son audace et son habileté.

Son dossier de FFI [62] précise davantage ses missions : affecté au service des transports du secteur, il effectua entre mars et décembre 1942, de jour comme de nuit, tous les transports nécessaires à la Résistance d’Apt. En février-mars 1943, il fut recruteur pour la Résistance de la région. En novembre-décembre 1943, il effectua les transports pour le maquis du communiste Alphonse Dumay, dit commandant Lazare. En janvier-février 1944, même cas de figure pour le maquis de Céreste (où il rencontra peut-être le poète René Char qui en faisait partie). Il prit part en mars 1944 à un transport d’armes à Lagarde d’Apt. En août 1944 enfin, il participa à la libération d’Apt et devint le chauffeur du commandant Henry, de l’Etat-major interalliés.

Citation à l’ordre du régiment,
Archives militaires de Vincennes, dossier FFI 16 P 532 894

Avec Esther, Joseph eut deux garçons : le premier fut Léon, né en 1931, qui fut pendant la guerre confié à sa tante Marguerite Charrière à Clamart. Le second fut André, né en pleine guerre à Toulouse le 15 octobre 1941. Son père qui était dans le maquis était ravitaillé par son épouse, trimballant avec elle son jeune fils dans une carriole attelée à son vélo ! Après la guerre, la famille s’installa définitivement dans la région : Joseph vendait des draps sur les marchés avant d’ouvrir un magasin de vêtements. En 1965, André épousa sa cousine Estera [63], désormais l’aînée de la famille, avec laquelle nous sommes en relation, profitant de ses nombreux souvenirs et ses photos dont une partie illustre cette étude.

Mariage André et Estera 1965 – Photo familiale

Joseph et son épouse furent inhumés au cimetière juif d’Avignon (84). Leur fils André les rejoignit en 2005.

V – ABRAHAM (1883-1943) ET SA DESCENDANCE : la branche directe de David Salomonovitch

Le projet Convoi 77 nous orienta à l’origine sur l’étude de la biographie de David : c’est donc par rapport à lui que nous présenterons la descendance de ses parents.

1. Abraham et Sarah : ses parents

Abraham naît à Osjaków le 20 février 1883 [64]. Il épouse Sarah Fischlovitch [65], née le 27 décembre 1879 à Ozorków, le 02 août 1904 à Łódź (Pologne).

Il arrive en France en 1905 et sur sa demande de naturalisation, en 1930, on apprend qu’ils ont habité 2 ans au 94, rue Mouffetard, puis environ 2 ans au 11, rue Beaubourg [66], un an au 9, Passage Gustave Lepeu (rue des Boulets). En avril 1910, ils s’installent définitivement au 81, rue de Lourmel (15e) [67].

Avec son épouse, ils eurent quatre enfants : Ferdinand en 1905, David en 1909, Isaac en 1910, et Juliette, leur unique fille, en 1913.

En 1925, Abraham obtient l’enregistrement de son activité professionnelle en tant que cordonnier.

En 1929, il fait sa demande de naturalisation. Un rapport du commissariat de police est fait sur la famille le 12 novembre 1929, qui donne de nombreuses informations, en particulier sur la situation financière de la famille : il est dit gagner entre 35 et 40 francs par jour, qu’il n’a pas de patente pour sa boutique du 18, rue Lauriston qu’il loue 150 frs par mois. La famille paye un loyer de 700 francs mensuel rue Lourmel. Concernant ses enfants, Ferdinand est mécanicien et gagne 40 frs par jour ; Isaac travaille avec son père et gagne 20 frs par jour, tandis que Juliette gagne 450frs par mois en tant que vendeuse en bonneterie rue Tiquetonne [68].

Dossier de naturalisation d’Abraham Salomonovitch – Archives

On apprend également qu’il est assimilé et parle correctement le français. Le rapport se conclut ainsi : « Le postulant n’a rendu aucun service. Âgé de 31 ans lors de la déclaration de guerre, et habitant en France depuis neuf ans déjà, il n’a pas senti vibrer, au moment du danger, son amour pour la France [69].

Cordonnier en échoppe, il gagne très largement sa vie et n’a pas de frais. Il dit cependant ne pouvoir rien payer ». Pour ces raisons, le rapport est défavorable à sa naturalisation. Pourtant, le 3 septembre 1930, Abraham et son épouse obtiennent la nationalité française [70].

Isaac et son père Abraham devant l’échoppe de la rue Lauriston – Photo familiale

La guerre éclate, puis l’occupation de Paris par l’Allemagne, et l’étau se resserre : le 14 mai 1941, la préfecture de Police de Paris nomme Marc Richard de Loménie administrateur provisoire de l’échoppe d’Abraham : c’est le début de la procédure d’aryanisation de celle-ci. A cette époque, la boutique est au nom d’Isaac, même si Abraham y travaille encore : a-t-il pensé qu’en la confiant à son fils, né en France, cela la protégerait des réquisitions ? Le 27 mai, cet administrateur, dans un courrier, demande à la préfecture si Isaac pourrait se conformer aux conditions exigées pour répondre à la dénomination d’artisan.

Il fait dans ce rapport l’état de l’entreprise : située 18, rue Lauriston, dans le 16e arrondissement [71], elle fait 1m sur 2 ! Il est dit y travailler seul, n’a pas de stock, et son gain journalier est estimé à 60 francs. Devant une réponse négative, Richard de Loménie fait procéder à la fermeture de l’échoppe le 6 juin. Indiquant qu’il n’a pas trouvé de repreneur, il procède à la radiation de l’établissement au registre de l’Artisanat. A priori pourtant, l’activité professionnelle n’a pas cessé immédiatement, comme nous le verrons par la suite.

Le 6 août 1941, on possède une lettre écrite par Abraham à Xavier Vallat, Haut-commissaire aux affaires juives : « A Paris depuis 1904, naturalisé depuis 1930, ayant eu trois fils qui après avoir accompli leur service militaire, ont été mobilisés en septembre 1939 et dont l’un d’eux est encore prisonnier au stalag VB n°9929, j’exerçais jusqu’à ce jour la profession de cordonnier dans une échoppe louée à mon nom rue Lauriston, n°18. Obligé de fermer par décision du statut des juifs, je me trouve de ce fait sans ressources, quoique devant continuer à assister mon fils et ma famille, et dans l’impossibilité de trouver du travail vu mon âge. J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur mon cas assez particulier, et de solliciter de votre bienveillance l’autorisation de rouvrir mon échoppe, afin de subvenir aux besoins de ma famille […] ». Force est de constater, sans surprise, que la bienveillance de Xavier Vallat ne fut pas au rendez-vous !

Coup de théâtre : le 29 avril 1942, l’administrateur Marc Richard de Loménie est relevé de ses fonctions. La raison invoqué est que ce-dernier est l’époux d’une juive ! Il est remplacé par Raymond Molard qui fait lui aussi son rapport : l’échoppe est louée à un bougnat, M. Gaubert, pour la somme de 1200 francs par an. Elle ne possède ni de comptabilité, ni de livre de caisse mais le chiffre d’affaire est estimé : 6700 frs en 1939, 8000 frs en 1940, et 2950 frs au premier trimestre 1941. Il indique qu’il continuait à faire quelques réparations pour une clientèle particulière, ce qui lui a été strictement interdit par une lettre du 18 mai 1942 [72]. Dès réception de la lettre, Isaac a fermé définitivement la boutique et est parti sans laisser d’adresse. La radiation se fait alors de manière définitive, le rapport concluant que cette activité n’avait « aucun intérêt réel pour le pays » ! Comme fixée par la loi, le produit de la liquidation des biens fut versé à la Caisse des Dépôts et Consignations.

Aryanisation de la boutique du 18, rue Lauriston, 14 décembre 1942
Archives Nationales

On imagine aisément la précarité financière dans laquelle se retrouva la famille, devant recourir à partir de cette époque à des expédients plus ou moins « légaux » pour survivre. C’est ainsi qu’Abraham fut arrêté une première fois le 14 mai 1943 à 18h40 par la police française. Le 17 mai, il fut condamné par la 14ème chambre correctionnelle du tribunal de la Seine à 15 jours de prison à la Santé pour « délit de courses » (réception de paris clandestins sur la voie publique).

Ecrou d’Abraham Salomonovitch, 14 mai 1943 – Archives de la Police

A l’issue, un deuxième écrou fut effectué le 31 mai à 19h15 par l’inspecteur Dezan pour raisons raciales. Il fut transféré à Drancy le lendemain 01 juin. Sarah, son épouse, fut arrêtée pour raisons raciales en juillet de cette même année. Ils furent déportés à Auschwitz par le convoi 58 le 31 juillet 1943[73] et déclarés décédés le 05 août [74], laissant entendre qu’ils furent gazés dès leur arrivée, sans même entrer dans le camp. Leur acte de décès fut transcrit le 30 avril 1947 sur les registres de l’Etat-civil de Paris (XVe).

Déporté le 1er juin, on sait que le lendemain, le ministère de la Justice diligenta une enquête sur Abraham auprès de la préfecture de Police. On possède les résultats de cette enquête en date du 18 janvier 1944, alors qu’Abraham est déjà mort ! On y apprend que l’appartement du 81, rue de Lourmel a été mis sous scellés par les autorités allemandes en juillet 1943. Le rapport fait également état que sa boutique, au 18, rue Lauriston, a été fermé en application des lois raciales et qu’il faisait depuis quelques corvées dans le voisinage. Il est dit qu’il ne sait pas écrire mais lit un peu le français ; qu’il n’a « jamais attiré l’attention, tant au point de vue national que politique ». On sait enfin que « sa femme et ses enfants, Isaac et Juliette, ont quitté leur domicile à la suite de l’arrestation du père et qu’ils ont été vainement recherchés. Il en est de même que David, qui paraît rarement à son domicile ». En raison de sa condamnation pour paris sur la voie publique, le compte-rendu conclut « qu’en raison des faits précités et de son assimilation incomplète », la préfecture confie au ministère « le soin d’apprécier l’opportunité de son maintien dans la communauté française » !

En 1962, il obtint le titre de déporté politique [75].

2. Ferdinand, Isaac et Juliette : ses frères et sœur

Vers 1916. De gauche à droite : Ferdinand, David, Abraham, Juliette, Sarah.  Au premier plan : Isaac – Photo familiale

Photo 1 : De G à D : Ferdinand, Isaac et David
Photo 2 : Isaac et Ferdinand devant la boutique
Photos familiales

Ferdinand naquit le 19 juin 1905 à l’hôpital Saint-Antoine à Paris 12e. Sur son acte de naissance (mais également celui de mariage), il est dit fils de Ferdinand et de Sarah Salomonovitch [76]. En 1927, il fit durant 18 mois son service militaire au 129e Régiment d’Infanterie du Havre (76), et fut libéré en novembre 1928.

Ferdinand en soldat / Ferdinand dans son camp de prisonniers
Photos
familiales

Il épousa à Lisieux (14) le 08 juillet 1933 Jeanne Renée Burtey. Prisonnier de guerre en 1939, il habitait en 1944 à Bois-Colombes (92) [77].

Mariage Ferdinand et Jeanne Burtey – Lisieux, 08 juillet 1933
Photos familiales

Isaac naquit le 17 décembre 1910 à Paris 15e dans le domicile de ses parents, au 81, rue de Lourmel. Jeune, il travailla auprès de son père dans la petite boutique du 18 rue Lauriston, dans le 16e arrondissement. On a vu qu’en 1929, il gagnait 20 frs/jour. Compte-tenu de l’étroitesse de l’échoppe, on peut sans mal imaginer que le jeune Isaac devait en particulier récupérer et rendre les chaussures confiées à son père, tout en apprenant le métier. Nous avons vu qu’il reprit l’affaire familiale, mais que celle-ci fut liquidée au nom de l’aryanisation des entreprises juives. Contrairement à de nombreux membres de sa famille, Isaac échappa aux rafles et survécut à la guerre.

On le retrouve en 1947, en train de constituer le dossier d’ayant-droit de ses parents. Il signale 3 enfants vivants du « non-rentré ». En 1961, Seul lui et sa sœur Juliette sont mentionnés [78]. Isaac habite cette même année au 81, rue de la Convention (15e). En 1946, il épouse Marie-Louise Chemineau avec laquelle il a un fils, Armand, né en 1953.

Vivant en 1964 au 38bis, rue Gutenberg (15e), il détient la procuration de sa sœur Juliette et reçut 276 francs au titre de « paiement du pécule aux ayants-droits des déportés », cynique dédommagement pour la perte de ses parents, la spoliation de sa boutique, et la précarité et l’angoisse qui furent le lot de la famille durant toutes ces années. Il décéda en 1981 dans le 15e arrondissement où il avait toujours vécu.

Isaac et Marie-Louise Chemineau
Photos familiales

Juliette, la benjamine, naquit le 18 févier 1913 dans le 15e. Vendeuse rue Tiquetonne en 1929, puis 3, rue du Commerce (15e) lors du recensement de la rue Lourmel en 1936, elle se maria après la guerre à Lyon avec Henri Gabriel Musy avec lequel elle n’eut pas de descendance. Elle décéda en 2007 à Villeurbanne (69).

Juliette / Juliette et Henri Musy – Photos familiales

Tickets de rationnement familiaux, conservés par Armand Salomonovitch

3. David

David, le second fils, naît le 29 janvier 1909 à Hôpital Rothschild : ses parents habitent alors 9, Passage Gustave Lepeu dans le 11e : l’année suivante, la famille déménage au 81, rue de Lourmel (15e) qui fut dès lors son adresse jusqu’à son mariage. Il effectua son service militaire à partir du 29 octobre 1929 au 26e Régiment d’Infanterie à Nancy (54).

Plusieurs photos témoignent qu’il était au camp militaire de Bitche (57), à quelques kilomètres de la frontière allemande, où il fit partie de l’équipe de cuisiniers du bataillon.

 

Photos familiales

Appelé sous les drapeaux en septembre 1938, puis le 26 août 1939 dans l’Infanterie. Il fut libéré en 1940 en raison de la loi concernant les pères de famille de plus de 4 enfants [79]. On connaît ses adresses successives : né alors que ses parents vivent Passage Gustave Lepeu, il les suivit au 81, rue de Lourmel entre 1910 et son mariage en 1932 . Il s’installa ensuite avec son épouse au 14, rue des quatre frères Peignot (15e), où il vécut jusqu’en 1944.

Photo 2 : Madeleine Picot dans les années 60 – Photo familiale

Le 3 septembre 1932, il épouse dans le 15e arrondissement Madeleine Marguerite Picot, originaire de la Haute-Saône, alors femme de chambre vivant 30 avenue Bosquet (7e). Ses témoins sont ses deux frères. Le mariage a sans doute été précipité, car leur première enfant, Micheline, nait deux mois plus tard le 20 novembre. Elle est l’aînée de trois autres filles : Juliette Gilette, née le 09 février 1934 [80], Nicole, née le 25 novembre 1936, et Jacqueline, le 18 juin 1938.

L’arrestation et la déportation de ses parents (juillet 1943) précipitèrent sans doute les événements. La famille possède deux dernières photos de lui dans la Creuse en 1943.

Sur celle de droite, on le voit avec son épouse et ses deux filles, Micheline et Jacqueline
Photos familiales

Le 9 septembre 1943 [81], il est à Lyon où il loue un garni au 25, rue du Bœuf, qu’il partage avec son cousin germain Maurice Salomon [82] : c’est à cet endroit qu’ils sont arrêtés le 19 mai 1944 [83], pour motifs à la fois raciaux et politiques [84]. On apprend par un document concernant la demande d’inscription « Mort pour la France » que David portait comme « nom de guerre » Louis Nicolas [85], sans que l’on sache exactement ce que cachait cette identité. Il fut en un premier temps incarcéré à la prison de Montluc, à Lyon. Le 03 juillet, il fut envoyé à Drancy [86] d’où il partit pour Auschwitz le 31 juillet 1944, soit un an jour pour jour après la déportation de ses parents, par le convoi 77.

25, rue du Boeuf à Lyon, dans une ruelle étroite

David ne revint pas. La famille a conservé un ultime et bouleversant témoignage sur lui : la dernière lettre qu’il écrivit le 31 juillet, alors qu’il était déjà dans le train pour Auschwitz. Nous la reproduisons ici intégralement :

Drancy, le 31 juillet 1944

Chère femme,

Je t’envoie cette lettre pour te donner de mes nouvelles qui sont bonne, en ce moment je suis dans le train à la gare de Bobigny et nous partons en déportation pour une destination inconnue et avec le bon morale J’espère que tu recevra cette lettre tu embrasseras bien les enfants pour moi et surtout ne t’en fait pas pour moi j’espère que je serais bientôt de retour.

Je termine cette lettre en pensant que tu pense toujours à moi. Tu embrasseras bien toute la famille pour moi à Bry-sur-Marne [87] et tout les amis.

Je t’embrasse bien. David

Tu iras prévenir M. et Mme Yakerson 37 rue Simart que Maurice [88] est parti pour le grand voyage gonflé à bloc.

Dernière lettre de David – Possession de la famille

Le 27 novembre 1945, Madeleine Picot qui n’a toujours aucune information sur le sort de sa famille écrit à la direction des Recherches pour savoir ce que sont devenus son époux et ses beaux-parents. Elle constitue à cet effet un dossier entre 1945 et 1947, qui témoigne de l’espérance tardive d’un hypothétique retour. Dans ce dossier figurent plusieurs témoignages de voisins sur la « disparition » de David.

Archives du Mémorial de la Shoah – dossier David Salomonovitch

Le 08 décembre 1947, son décès fut porté sur les registres d’Etat-civil de la mairie du 15e arrondissement. D’abord déclaré mort le 31 juillet 1944 à Drancy, l’acte est corrigé, en 1994, le faisant mourir le 05 août 1944 à Auschwitz [89]. En février 1948, la mention « Mort pour la France » est transcrite sur ses actes de naissance et de décès. Le 05 mai 1954, David est qualifié de déporté politique [90]. Cette même année, sa veuve reçoit un chèque de 12 000 frs au titre de « paiement du pécule aux ayants-droits des déportés ».

VI – ISRAÊL (1885-1943) ET SA DESCENDANCE : UNE BRANCHE DÉCIMÉE PAR LA DÉPORTATION

Israël, né en 1885 à Wieluń, fut à l’origine de la branche la plus sinistrée de la famille. C’est évidemment la moins documentée. Parce que nous ne savons rien de la nature de la relation d’Israël avec le reste de sa famille, nous ne savons pas si les membres de cette branche apparaissent sur les photos qui jalonnent cette monographie. Israël apparaît dans les registres parisiens le 22 décembre 1910 lorsqu’il se marie, dans le 11e arrondissement [91], avec Anna Rachel Tabatchnik. Il habite alors au 77, rue de Longchamps (16e) et est cordonnier. Elle est originaire de Gostynin, un village au nord de Łódź [92]. De leur union vont naître six enfants : Salomon Maurice (1911), Henri (1913 à l’hôpital Beaujon), Henri (1920), Olga (1922), Georges (1923) et Charles (1933).

Premier « mystère » : si Salomon Maurice (qu’on ne doit pas confondre avec son cousin germain né en 1903 qui porte les mêmes prénoms – voir            IV – ) nait dans le 16e , et que le premier Henri nait dans le 8e , on ne trouve aucune autre trace des naissances des autres enfants dans l’Etat-civil parisien par la suite [93]. Faisons le point : lors de leur mariage et à la naissance de leur premier enfant, ils vivent dans le 16e, au 77, rue de Longchamps. En 1913, à la naissance d’Henri, ils habitent au 53, rue Legendre (17e) et au recensement de 1926, la famille vit au 23bis, rue Juge (15e). Dans les recensements de 1931 et 1936, ils semblent installés de manière pérenne au 20, rue Bachelet (18e). Autre information : Henri (né en 1913) n’apparaît plus par la suite, pas plus qu’Olga, née en 1922. Cela laisserait penser qu’ils sont morts très jeunes, même si aucun décès n’est trouvable dans l’Etat-civil [94].

Photo 1 : 23, bis rue Juge
Photo 2 : 20, rue Bachelet
… Des lieux à défaut de portraits ! Photos : GoogleMaps

Recensement 1926 du 23, bis rue Juge (15e) – unique document trouvé qui
rend compte de la descendance du couple

Recensement 1936 du 20, rue Bachelet (18e) – Dix ans plus tard, Maurice Salomon a quitté le domicile parental : Olga a disparu (décès précoce, comme son frère ?) et Charles est né.

Publication de la bar-mitsva d’Henri pour le 25 février 1933 à la synagogue de Montmartre (Temple Saint-Isaure). Source : L’Univers israélite, février.

En 1934, Salomon Maurice épouse dans le 18e une juive roumaine, Ghizela Aberman : il est dit boucher à cette époque, et s’installe avec sa famille au 35, rue Simart (18e) où on le retrouve dans le recensement de 1936. Avec elle, il eut trois enfants : Henri (1935), Raymonde (1937) et François-Laurent, connu sur le site du Mémorial sous le nom de Willy (ou Villy), en 1940.

Recensement 1936 du 35, rue Simart (18e)

La Seconde guerre mondiale va alors décimer la famille intégralement.

Le premier coup de semonce date du 04 juillet 1942 : à 20h30 (30 minutes après le début du couvre-feu), Salomon Maurice est arrêté devant le 5 de la rue Simart (il habite au 35) et est envoyé le lendemain à Drancy pour circulation interdite. Il en est libéré le 11 juillet. Si on ignore le jour de leurs arrestations, son épouse Ghizela et leurs trois enfants très jeunes (Henri avait 7 ans, Raymonde 5 et le petit Willy deux ans) sont envoyés à Drancy [95].

Arrestation de Salomon Maurice, 04 juillet 1942 – Archives de la Police
(dossier des renseignements généraux – 77 W art 347 – 158 448

A 8h55, le 18 septembre 1942, le train du convoi 34 [96] quitte la gare du Bourget-Drancy pour Auschwitz avec à son bord 1000 Juifs. Arrivé le 20 septembre, on imagine sans peine que Ghizela et ses trois petits furent immédiatement gazés [97]. Salomon Maurice se retrouve seul, et c’est probablement vers cette date qu’il décide de passer la ligne de démarcation pour rejoindre la zone dite libre.

Le 28 octobre 1943, c’est au tour de son frère Henri (né en 1920) d’être déporté [98] de Drancy (nous ignorons quand il y entra) avec le convoi 61. Destination finale Auschwitz dont il ne revint pas [99]. Une information discrète mais intéressante, même si nous n’avons pas les moyens d’en dénouer le fil : sur sa fiche à Drancy, Henri est dit né à Gostynin, village polonais déjà rencontré. On se perd alors en conjecture : dans un sens, cela pourrait expliquer qu’on ne retrouve pas de trace des naissances des frères et sœurs de Maurice Salomon à Paris après 1913. Mais une naissance dans un tel lieu semble peu probable, à moins qu’Israël et Anna Rachel ne soient retournés vivre en Pologne entre 1913 et 1923 (après, on les retrouve dans les recensements parisiens). Vues les conditions difficiles que constituait ce type de migration (cette famille n’avait pas la nationalité française), on voit mal comment ils auraient pu se lancer dans une telle aventure avec de jeunes enfants. En outre, un autre point ne concorde pas : sur sa fiche de Drancy, Georges [100] est dit né à Paris, où on ne retrouve cependant pas sa naissance.

Moins de deux mois plus tard, Salomon Maurice perd ses parents et son frère Georges, qui est dit bobineur, âgé de 20 ans. Ils sont déportés de Drancy par le convoi 63 le 17 décembre 1943, qui arrive à Auschwitz le 20 décembre. Agés de soixante ans, on suppute qu’Israël et Anna Rachel furent gazés à l’arrivée. Tout comme pour Henri, on ignore le sort de Georges qui ne revint cependant pas de captivité. En cette fin d’année 43, si on fait abstraction de son frère Charles né en 1933 et dont on ne connaît pas le destin, Salomon Maurice a perdu l’intégralité de sa famille : parents, frères et sœur, enfants.

Quelques mois plus tard, on le retrouve avec son cousin David dans un garni de la rue du Bœuf à Lyon, comme nous l’avons vu dans la présentation de David. C’est là qu’il est arrêté le 19 mai 1944 et conduit à la prison de Montluc. Il partage dès lors le sort de son cousin : transféré le 03 juillet 1944 à Drancy, il fut déporté le 31 juillet 1944 à Auschwitz par le convoi 77. Contrairement à David qui est déclaré mort à leur arrivée au camp, Maurice Salomon fut sélectionné pour entrer dans le camp. A une date ultérieure qui ne nous est pas connue, il fut transféré au camp de Dachau (matricule 139.439) où il est déclaré décédé le 5 mars 1945, un peu moins de deux mois avant la libération du camp par les Américains. Son acte de décès fut retranscrit sur les registres du 5e arrondissement de Lyon en … 2012 !

A moins qu’un des enfants d’Israël ait miraculeusement survécu, il n’existe donc aucun descendant de cette branche que la famille actuelle ne connaissait d’ailleurs pas.

SOURCES – REMERCIEMENTS

Services d’archives

  • Archives nationales
  • Archives de la Police
  • Archives militaires de Vincennes

Sites Internet

 

Nous tenons à remercier plusieurs membres de la famille Salomonovitch, et plus particulièrement Estera, Armand, Alain, et Catherine Rougeul, pour nous avoir permis de profiter de leur patrimoine photographique familial ainsi que de leurs précieuses connaissances et anecdotes familiales.

Notes & références

[1] Ainsi, Juliette Salomonovitch née en 1909 n’est connue par la famille Salomonovitch que sous le nom de « tante Julia ».

[2] Quatre exceptions uniquement : trois individus nés en Pologne dont l’un à Łódź, et une petite branche originaire de Belgrade en Serbie.

[3] La population juive y fut particulièrement martyrisée pendant la guerre : durant cette période, les juifs de Wielun, au nombre de 4 200, furent éliminés sur place, transférés au ghetto de Łódź ou directement déportés au camp d’extermination de Chełmno. Sura Salomonovitch, restée en Pologne, en fit partie.

[4] Sur l’acte de décès de son fils Mordka (Paris, 1932), on le dit fils de Ida Zelkowitch. Tous les actes qui abordent leur existence sont des actes français : à l’absence d’une orthographe bien établie à l’époque s’ajoute la mémoire de leurs descendants, les fautes consécutives à un accent mal compris…

[5] Elle est indiquée être née dans cette commune dans son acte de décès. Sinica est loin d’Osjaków ou de Wieluń où naquirent ses frères et sœurs : déplacement forcé des parents ou erreur sur l’acte de décès, où les déclarants n’avaient que peu d’informations sur la défunte ? Ainsi, elle est dite fille de « Salomon et de Juliette ».

[6] Dans doute dérivé du prénom Mordecai.

[7] Jeune veuve, elle mourut en 1953 et repose dans la 34e division du cimetière parisien de Saint-Ouen. Nous ignorons en revanche où repose Henri.

[8] Elle décéda sans postérité et sans avoir été mariée en 1994 à Avon (77).

[9] Comme l’atteste son acte de décès retranscrit à la mairie du 18e arrondissement de Paris le 12 octobre 1916.

[10] Témoignage de leur petite-fille, Estera Salomonovitch.

[11] L’immeuble a disparu.

[12] 4ème division, 5nord, 16. Ce caveau, qui existe encore, est une sépulture collective (Voleinders, qui regroupent des défints originaires de Wieluń) dans laquelle repose un grand nombre de membres de cette famille, comme nous le verrons ultérieurement.

[13] Il habitait encore avec ses parents au 15, rue Bachelet à son mariage.

[14] On ne trouve rien, ni dans les archives de Montreuil, ni dans celle du 18e arrondissement de Paris.

[15] Dossier aux archives de Vincennes GR 16 P 464533.

[16] Matricule 22 641.

[17] Nous expliquons en quoi procédaient ces assignations à résidence forcée dans la partie IV.

[18] Il habite encore avec ses parents au 15, rue Bachelet à son mariage.

[19] Bien qu’il s’appelât Salomon, toute la famille le connut sous le prénom de Raymond.

[20] Il fut transféré de la 102e à la 64ème division. La concession fut renouvelée en 1932, puis plus rien. J’imagine qu’elle a été reprise.

[21] Elle fut transférée de la 34bis à la 114ème. Le registre indique qu’elle fut exhumée le 12 avril 1961.

[22] Où habitent d’autres membres de la famille, comme nous le verrons plus tard.

[23] Mais toujours dans le 15e arrondissement.

[24] L’immeuble n’existe plus.

[25] L’immeuble n’existe plus. Les Laufer habitèrent également à cette même adresse.

[26] C’est sous ce prénom que nous le désignerons par la suite.

[27] Que la famille appelait Rosa.

[28] Ce dernier changea d’identité dans les années 60 et devint Robert Monot : il était le grand-père de l’actrice Louise Monot.

[29] Il mourut deux ans plus tard à l’hôpital Rothschild et fut inhumé dans le caveau familial du cimetière parisien de Bagneux.

[30] Les enfants furent reconnus par leur père par la suite.

[31] Certaines sources l’indiquent mort au Havre.

[32] Dossier FFI David Salomonovitch 16P532893

[33] Seul ? En famille ?

[34] On ne sait lequel puisqu’il en eut quatre : la plus jeune, Raymonde, avait alors 17 ans. En outre, il n’était pas marié avec la mère de ses quatre enfants.

[35] Sur les différents documents, il est appelé David, puis David André, puis André. Nous n’avons pas les moyens d’expliquer ces changements, mais nous certifions qu’il s’agit de la même personne. Une photo de famille laisse penser qu’il se fallait appeler André.

[36] Autre commune du Cantal à une centaine de kms d’Ytrac.

[37] On sait que, de facto, David n’avait jamais épousé la mère de ses quatre enfants.

[38] Dossier FFI, ibid.

[39] Sur cette forme particulière de détention, nous nous sommes largement inspirés de 589-(03) Ch. Eggers (memorialdelashoah.org) et de MARC Sandra (celeonet.fr)

[40] Une circulaire de l’Intérieur du 3 novembre 1941 ordonne la création de plusieurs “Centres de résidence assignée”. Les intéressés assureront à leurs frais, leur logement, et leur subsistance. Ils seront sous contrôle des autorités de police locales, généralement la gendarmerie. Il leur est interdit de quitter le territoire de la commune sans sauf-conduit. Les internés étaient donc privés de leur liberté dans des conditions moins pénibles que dans les camps.

[41] Le but étant de mettre à l’écart une population jugée « indésirable ».

[42] Ils devaient en outre s’acquitter d’une caution élevée à leur arrivée.

[43] Dossier FFI, ibid.

[44] A cette adresse se trouve toujours un hôtel.

[45] Le 31 janvier 1917 naît dans le 15e arrondissement de Paris Lucien Salomonovitch, qui meurt le 07 février suivant au même endroit. Il est le fils naturel de Golda Sarah (sur son acte de naissance) et de Julienne (sur son acte de décès). Nous n’avons pas trouvé la trace de son enterrement sur les registres de cimetières parisiens. Tout laisse à penser qu’il était un enfant – hors mariage – de Juliette.

[46] Pour toute la famille Salomonovitch actuelle, elle est connue sous le nom de « tante Julia ».

[47] Sur son acte de naissance, sa mère est dite Golda Boreovitch (qui devient sur d’autres actes postérieurs Baruch).

[48] L’immeuble n’existe plus.

[49] Dossier FFI Khil Hauser 16P287144

[50] Il devint plus tard tailleur d’habits.

[51] Il fut inhumé dans le caveau familial de la 4e division du cimetière parisien de Bagneux.

[52] Témoignage d’Estera Salomonovitch.

[53] Témoignage d’Estera Salomonovitch.

[54] Elle se trouve division 16, 1 Sud, 12.

[55] 16 P 532 895

[56] Matricule 1845.

[57] 25e division, secteur Sud.

[58] « Le 19 août 1944, le Comité local de libération de Clamart décide de passer à l’action. A 13h00 un groupe de FFI s’empare d’un camion allemand, capture les trois occupants et récupère trois fusils-mitrailleurs, un téléphone de campagne et un canon anti-chars. Les prisonniers sont laissés à la garde d’un jeune homme de quinze ans dans les sous-sols de la poste. Tandis que la population pavoise la façade de la mairie, les FFI, rejoints par un autre commando, décident d’attaquer les Allemands retranchés dans le bois de Clamart. A 14h30, au lieu-dit le Tapis Vert, ils ouvrent le feu sur une auto-mitrailleuse et un camion allemand. Dix soldats sont faits prisonniers. La riposte est immédiate. Une compagnie de grenadiers et une section de SS, appuyées par deux auto-mitrailleuses encerclent le groupe. Au cours de l’engagement, six FFI sont tués ; huit autres huit autres sont blessés mais transportables. Michel Weishar, Adalbert Sipos, Georges Lionnet et Henri Gros s’offrent pour couvrir leur évacuation et la retraite des rescapés. Le groupe parvient à se retirer avec les blessés. Henri Gros donne l’ordre de décrochage. Rattrapés par les auto-mitrailleuses au Soleil Levant, juste à côté de l’école du Jardin parisien, ils sont collés contre un mur et abattus. Au même moment, apparaissent Mr et Mme Schmauder accompagnés de leurs petites filles. Ils reviennent d’une promenade à l’étang Colbert. Surexcités par les combats, les SS les fusillent. Alertés immédiatement, les groupes qui occupent la mairie font disparaître les drapeaux et se dispersent. Quand les Allemands pénètrent dans le centre ville, vers 16h30, tout est calme »

Source : https://museedelaresistanceenligne.org/

[59] Selon Estera Salomonovitch, la famille l’avait baptisé Jean Gabin, dont il partageait la gouaille et un certain nombre de traits physiques.

[60] Selon Estera Salomonovitch, son nom de résistant était Bonis.

[61] Citation 238 en date du 26 octobre 1944 du général de division commandant la 15e région militaire.

[62] dossier FFI 16 P 532 894

[63] Sa grand-mère était Sura Salomonovitch.

[64] Il est dit fils de Salomon et Itta ?. En 1930, fils de « Salomon et Ita Abramovitch ».

[65] Selon les sources, on trouve également Fischlovitch, Fishevitch, Fuschlevitch, Fuchelevitcj ou Fuchelvitch.

[66] Où se trouve aujourd’hui le centre Beaubourg.

[67] L’immeuble a été remplacé par un immeuble récent.

[68] David n’est pas comptabilisé puisqu’il fait son service militaire.

[69] Un peu plus loin, on peut lire : « Aucun mobilisé, sauf son frère Léon qui est parti dans l’armée française en 1914 et a été tué en 1915, volontaire » ! On notera au passage l’approximation : ce n’est pas Léon mais Henri qui mourut sur le front en 1915.

[70] Décret 10 677×30. Sur ce décret, deux enfants seulement sont mentionnés : Isaac et Juliette, car ils sont mineurs. Ferdinand et David, majeurs, n’y figurent pas.

[71] Au 93 de la même rue se trouvait la Gestapo française, la fameuse « Carlingue » des sinistres Bony et Lafont !

[72] Dans ces courriers successifs, on parle de « l’affaire Salomonovitch » !

[73] Lui a le matricule 1829, elle le 3231.

[74] Leur décès est retranscrit en 1947 dans l’Etat-civil de la mairie du 15e arrondissement (acte 1822 et 1823).

[75] Carte I.I.75.15189.

[76] A sa naissance, son père Ferdinand Salamanovitch à 29 ans (°c1876) et sa mère Sarah Salamonovitch de 25 ans (°c1880). Ils sont journaliers et habitent au 71 rue Saint-Jacques (5e). Beaucoup de choses ne semblent donc pas concorder. Pourtant, dans le recensement du 81 rue de Lourmel de 1926, on voit très clairement apparaître 4 enfants du couple Abraham et Sarah, dont un Ferdinand né en 1905 à Paris. En outre, à son mariage en 1933 à Lisieux, il est bien déclaré habiter –encore – au 81 rue de Lourmel dans le 15e. Abraham se faisait-il appeler également Ferdinand ?

[77] 6, rue du 14 juillet. Sur le recensement de 1946, le couple apparaît bien, et sans enfant.

[78] Nous ignorons pourquoi son frère Ferdinand, qui mourut à Clamart (92) en 1981, n’y figure pas.

[79] Dans sa lettre de novembre 1945, Madeleine Picot dit qu’il est père de 4 enfants ; En 1954, dans la demande d’attribution du titre de déporté politique, elle n’indique que 3 noms, Juliette étant décédée en 1949.

[80] Elle meurt à 15 ans, le 26 septembre 1949, à l’hôpital Vallée de Gentilly (94), spécialisé dans les troubles mentaux et autistiques de l’enfance.

[81] Date donnée par un document du ministère de l’Intérieur daté de 1953.

[82] Voir la descendance d’Israël.

[83] Selon les nombreux documents, il fut arrêté le 14 mai ou le 14 juin : difficile de trancher.

[84] Etait-il simplement communistes ? Appartenaient-ils à un réseau de Résistance ? Malgré nos recherches, nous n’avons rien retrouvé.

[85] Etonnant ? Au 81 rue de Lourmel habite, au moment ou David se marie, un Louis Nicolas ! Coïncidence ?

[86] Matricule 24 785

[87] Aucun membre de la famille Salomonovitch après consultation des registres de la commune : sans doute des membres de la famille Picot.

[88] Il s’agit sans aucun doute de Maurice Salomon, arrêté à Lyon et déporté dans le même convoi que David. Il habitait avant la guerre au 35 de la rue Simart : on peut penser que les Yakerson étaient des voisins avec lesquels il avait noué des relations d’amitié et de confiance. En juillet 1944, il n’y avait plus personne à prévenir pour Maurice : ses parents, son épouse et ses enfants avaient tous été déjà déportés.

[89] Ce fut le cas de tous les déportés du convoi 77 qui furent gazés à leur arrivée au camp.

[90] Carte n°117502112.

[91] Ils se marient dans cet arrondissement car l’épouse habite alors passage Saint-Bernard.

[92] Dans les documents du Mémorial de la Shoah, tout comme ceux de Yad Vashem, ce village est presque toujours mal orthographié en Gastinine.

[93] Nous connaissons leur existence car ils apparaissent sur les recensements.

[94] Dans le cas de Henri né en 1913, une mort prématurée est probable dans la mesure où l’on voir mal pourquoi ils auraient donné le même prénom à leur fils suivant né en 1920.

[95] Sur le site du Mémorial, ils apparaissent sous le nom Salomonowitch.

[96] Dans le même convoi se trouvait également sa cousine par alliance Armande Pelta (voir I)… L’ont-elles seulement sue ?

[97] On ne trouve aucune trace de transcription d’actes de décès dans l’Etat-civil du 18e arrondissement après la guerre, comme cela se fait généralement pour les déportés.

[98] Orthographié Salomonowiecz sur le site du Mémorial.

[99] Il avait 23 ans : a-t-il été sélectionné pour les travaux forcés et est mort ensuite ou a-t-il été immédiatement gazé ? Nous ne le savons pas.

[100] Orthographié Salamonowicz sur le site du Mémorial.

Contributeur(s)

Ce travail a été réalisé par une classe de Terminale du lycée Maurice Ravel (Paris 20e) en 2023-24, sous la direction de leur enseignant d’histoire et professeur principal, Philippe Landru.

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1 commentaire
  1. Bitoun Oliver 1 mois ago

    Petit fils de Jeannette (fille de Jules et Olga), je remercie chaleureusement le formidable travail de recherche des élèves et de Philippe Landru. J’ai découvert énormément de choses, c’est passionnant et bouleversant. Bravo et merci.

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