Germaine WAGENSBERG

1927-2020 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: , , ,

Germaine WAGENSBERG

La biographie que vous allez lire a été rédigée par Sidonie Berthelot, Zoé Boivin, Amalia Cervantes, Elly Dana, Camille Froment, Jade Gautier, Louise Legouis, Antonin Louis, Siloé Pascarel et Maxime Wamo, élèves de 3ème du collège La Cerisaie de Charenton durant l’année scolaire 2022-2023, encadrés par Nathalie Baron et Sonia Drapier, enseignantes d’histoire-géographie.

Le hasard et internet nous ont permis de retrouver la trace de Gilles Hejblum, le fils de Germaine. Nous le remercions infiniment pour toute l’aide qu’il nous a apportée dans nos recherches en nous fournissant de nombreux documents ainsi que les coordonnées de sa tante, Madeleine Germain, que nous remercions également.

Tous deux sont venus témoigner au collège.

Vous pouvez visionner le témoignage de Madeleine, filmé par les Archives Départementales de Créteil, en cliquant sur ce lien : Madeleine Germain.

I – 1921-1938 : avant la guerre

Selon l’acte de naissance de leur fille Germaine, Chilel Wagensberg est né le 15 mars 1903 à Przedbórz (près de Łódź) et sa future épouse, Ruchla Lin, le 18 mars 1896 à Czyżewo (près de Varsovie).

Chilel et Ruchla se sont connus en France, dans des circonstances que nous ignorons, fuyant sans doute l’un et l’autre leur pays natal pour des raisons liées à l’antisémitisme. Les pogroms étaient en effet nombreux en Pologne à cette période.

Acte de naissance de Germaine – 1927 – Source : Etat civil Paris

 

Chilel serait arrivé en région parisienne vers 1921-1922 issu d’une famille de 18 enfants dont « deux paires de jumeaux ». Il serait parti seul, refusant de devenir rabbin comme son père.

Chilel et Ruchla se sont rencontrés à Paris en 1925, peut-être lors d’un bal du 14 juillet. Ils se sont mariés en 1926 et c’est un an plus tard, le 10 avril 1927 qu’est née Germaine dans le 10ème arrondissement. Nous restons sans réponse quant à la raison pour laquelle Ruchla a donné naissance à sa première fille à Paris alors que le couple résidait à Montreuil-sous-Bois.

Quelques années plus tard sont nées Jacqueline, le 1er juin 1930 dans le 12ème arrondissement et Madeleine, le 13 mars 1934 dans le 20ème arrondissement de Paris. Si les parents n’eurent jamais la nationalité française, ils obtinrent la naturalisation de Germaine et de Jacqueline mais pas celle de Madeleine pour des raisons administratives.

Photographie de mariage de Chilel et Ruschla – 1926
Source : Madeleine Wagensberg Germain

 

La famille s’installe dans une maison à Montreuil, dans l’actuelle Seine-Saint-Denis, au 94 rue Etienne Marcel comme l’indique le récépissé des Puces de Montreuil.

Récépissé des puces de Montreuil – 1er février 1927
Source : Gilles Hejblum

 

Selon l’ouvrage « Les juifs dans la banlieue parisienne » de Jean Laloum la ville de Montreuil accueillait une importante communauté juive polonaise.

L’auteur évoque « une communauté à part entière qui avait sa propre synagogue, son environnement alimentaire avec ses épiceries juives, ses boucheries et sa boulangerie, une communauté organisée au travers de nombreux mouvements associatifs et très engagée à gauche. »

Chilel ou Ruchla avaient peut-être des connaissances dans à Montreuil ce qui a pu les inciter à s’y installer.

Le nom de Wagensberg apparait sur les recensements de la ville de Montreuil au 94 rue Etienne Marcel uniquement sur le registre de 1926. Seul le père y est mentionné avec pour prénom Henry au lieu de Chilel. L’adresse ne figure pas sur les recensements de 1921, 1931 et 1936. Cela demeure un mystère pour nous…

Extrait du recensement de 1926
Source : Archives départementales de Seine-Saint-Denis

 

Quoi qu’il en soit, les filles ont des parents travailleurs. Leur père, Chilel, a d’abord fait des travaux de voirie. Il a notamment travaillé au pavage de la rue de Bercy. Il s’est ensuite installé en tant que brocanteur et s’est spécialisé rapidement dans les matelas.

Après avoir déballé aux Puces de Montreuil, le couple a disposé d’une boutique. Les affaires fonctionnaient bien puisque l’entreprise possédait deux automobiles et une voiture à cheval, employant même plusieurs ouvriers. Chilel aurait même, selon Germaine et Madeleine, inventé le lit métallique et le lit valise.

Ruchla était matelassière, fabriquant des matelas, des oreillers et des lit cages. Elle était obligée de porter de lourdes charges qui lui causèrent une hernie discale qui entraîna, quelques années plus tard, la paralysie de ses jambes.

L’entreprise marche bien et la famille gagne assez rapidement suffisamment d’argent.

La vie à la maison est heureuse, les filles vont à l’école publique et Germaine fait du piano à partir de 1933-34. Elle en possédait un à la maison et recevait des leçons particulières. Par ailleurs Ruchla se plaisait à habiller les trois sœurs avec de jolis habits et sandales.

Le père de Ruchla, était rabbin en Pologne. Selon Madeleine, il aurait eu la barbe arrachée au retour d’une cérémonie de mariage et serait mort de septicémie six semaines après. Suite à cela sa femme, Chaja, a rejoint la France après la naissance de Germaine en 1928 pour s’installer dans le foyer Wagensberg.

Chaja s’occupe particulièrement des filles, elle est décrite par Madeleine comme une femme très gentille. Elle ne parlait que le yiddish et était très pratiquante, allant à la synagogue et ne mangeant que casher contrairement au reste de la famille.

Chilel était très engagé politiquement. Madeleine nous a appris qu’il avait participé à la manifestation de soutien à Sacco et Vanzetti à Paris le 7 août 1927. Cela aurait entrainé son fichage par la police, ainsi que celui de Ruchla, et compromettant en partie leur demande de naturalisation.

Chilel adhère au Parti Communiste dont il pense qu’il a la capacité de freiner l’antisémitisme ambiant en Europe. Le couple n’hésite pas à aider des réfugiés Juifs et Espagnols en les cachant dans leur grange. Il y avait toujours beaucoup de monde à la maison se remémore Germaine dans les témoignages dont nous disposons.

En 1934 Chilel serait parti à Birobidjan en URSS dans le cadre d’une délégation communiste avec l’idée, rapidement abandonnée, de s’installer avec sa famille dans ce premier état juif.

En 1938, Chilel se serait porté volontaire pour rejoindre les rangs de l’armée française.

Cependant à cette période il choisit de partir seul, et sans prévenir sa famille, pour Cuba, laissant derrière lui sa femme malade et ses trois filles. Pendant toute la guerre, les filles n’ont aucune nouvelle de lui. Madeleine nous a seulement dit qu’il était parti dans un taxi le qualifiant de « monsieur pas très joli ». Ruchla s’est alors rendue au commissariat pour déclarer la disparition de Chilel.

La déclaration de guerre en août 1939 vient perturber le quotidien de la famille Wagensberg.

II – 1939-1944 : à l’épreuve de la guerre

Dès le début du conflit, en septembre 1939, l’évacuation des enfants habitant Paris est décidée. Des trains spéciaux sont affectés pour assurer le départ des petits parisiens vers d’autres départements. C’est ainsi que Germaine, Jacqueline et Madeleine sont séparées de leur mère et de leur grand-mère pour être accueillies en Bourgogne avec les enfants de leurs classes.
Les filles partent donc pour un village en Bourgogne. Elles auraient été séparées un temps, Jacqueline était à Sens tandis que Madeleine se trouvait à Joigny.
Durant l’hiver 1940 Ruchla et Chaja furent logées à Bassou, « la capitale de l’escargot » dans l’Yonne où la comtesse accueillait des réfugiés dans son château. Elles auraient ensuite logé toutes les cinq dans une maison face à l’église, Germaine et Jacqueline fréquentant l’école du village.

Ecole de Bassou (Yonne) – Mars 1940
Source : Madeleine Wagensberg Germain
Germaine avant-dernière rang du haut à gauche – Jacqueline dernière à droite du 1er rang

Ruchla décide ensuite de revenir en région parisienne. En application de la politique d’aryanisation les personnes de religion juive sont, dès 1941, dépossédés de tous leurs biens, entreprises et comptes en banque. De ce fait le magasin de Montreuil est saisi, ses comptes contrôlés par des administrateurs. Ruchla a réussi à conserver la maison et les dépendances mais a dû vendre tout le reste dont les voitures. Elle se trouve alors sans ressources.
La situation se complique encore lorsque Ruchla, souffrant d’une hernie discale, est hospitalisée à la Pitié-Salpêtrière sous le nom de WALIN (contraction de WAgensberg et LIN). Germaine se retrouve alors cheffe de famille à 13 ans. Dès 1941 elle est obligée de travailler et fut alors immatriculée à la sécurité sociale.
Elle travaille tout d’abord dans une usine Mazda pour remplir les piles avant d’enchainer les petits boulots : vente de journaux, de bretzels, ménages…
La situation devenant difficile à gérer Chaja, la grand-mère, est quant à elle placée à l’institut Rothschild en octobre 1942 grâce à l’aide d’une assistante sociale.
Depuis 1941 Rothschild est le seul hôpital où peuvent encore exercer des médecins juifs. Il est réservé aux patients de religion juive qui ne peuvent plus être accueillis dans les autres hôpitaux parisiens.

La DASS place les trois filles à l’assistance publique avenue Denfert-Rochereau où se trouve « L’hospice des enfants assistés du département de la Seine ».
Cependant le maréchal Pétain signe un décret qui chasse les enfants juifs de l’assistance publique. Les filles trouvent donc refuge à l’UGIF. L’Union générale des Israélites de France est une organisation créée par la loi du 29 novembre 1941 avec pour mission d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics et de gérer leur assistance. Tous les Juifs demeurant en France devaient y adhérer car les autres associations juives avaient été dissoutes et leurs biens donnés à l’UGIF.

Les sœurs sont tout d’abord logées au centre UGIF de la rue Lamarck dans le 18ème arrondissement de Paris. Cela coïncide avec la période où le gouvernement de Vichy impose le port de l’étoile jaune et où les enfants sont déportés vers les camps à l’initiative des autorités françaises.
Comme Madeleine n’avait pas la nationalité française ses sœurs la cachaient dans les placards ou les sacs à linge pour qu’elle ne se fasse pas arrêter.
Puis les sœurs ont été séparées. Les plus jeunes sont parties au centre UGIF 9 rue Guy Patin dans le 10ème arrondissement, tandis que Germaine loge au centre UGIF 9 rue Vauquelin à partir du 6 septembre 1943.
Jacqueline et Madeleine ont ensuite été placées dans les familles d’accueil dans la Sarthe. Elles en ont en tout connu 17 et sont toujours restées ensemble.
Madeleine nous a expliqué qu’elles sont arrivées chez des gens parfois pas très sympathiques, car à cette époque être famille d’accueil rapportait de l’argent, donc certaines personnes accueillaient beaucoup d’enfants pour toucher de l’argent.
Ainsi madame Martin, dont le fils faisait partie de la Milice, accueillait 14 enfants, juste pour l’argent. Elle rendait responsable l’ainé des fratries, leur donnait une dose quotidienne de pain et les envoyait à l’école selon son bon vouloir.
Les filles ont également croisé la route d’une assistante sociale qui leur a apporté la protection dont elles avaient besoin.

Extrait du registre de l’UGIF 6 septembre 1943
Source : Mémorial de la Shoah Paris

Germaine avait obtenu son certificat d’études primaires en mai 1940. Alors qu’elle loge à l’UGIF rue Vauquelin, elle débute une formation de couturière et effectue son apprentissage dans la maison du célèbre couturier Lucien Lelong, située avenue Matignon à Paris.
Germaine le décrit comme désagréable et antisémite. Il faut savoir qu’il fut accusé de collaboration avec les nazis ce qui lui valut un procès en 1945 à l’issue duquel il fut acquitté.
A l’UGIF rue Vauquelin Germaine bénéficie de différentes animations, fréquente l’école de l’ORT rue des Rosiers dans le 4ème arrondissement de Paris et le week-end les Éclaireuses et éclaireurs israélites de France rue Claude Bernard dans le Vème arrondissement. L’ORT et les EEIF étaient sous la responsabilité de l’UGIF durant la guerre.
Germaine connait cependant les dangers que courent les personnes juives à Paris sous l’occupation. Ainsi, elle se souvient avoir été contrôlée en 1942 sur les Champs-Elysées par un soldat allemand qui contrôlait le port de l’étoile jaune.
En juillet 1942 des agents du commissariat préviennent Germaine d’une rafle à venir pour qu’elle fasse circuler l’information. Elle envoie Nono, le voisin, prévenir sa famille dont son oncle, sa tante et un cousin. Néanmoins la femme de son cousin et leur enfant Serge furent arrêtés.
Sur le registre de sortie de l’UGIF rue Lamarck daté du 11 juillet 1943 nous avons constaté que Germaine disposait d’une autorisation de sortie pour aller à la Salpêtrière. Le mystère de cette sortie a été levé par Gilles, son fils, puis Madeleine, sa sœur : Germaine rendait visite à sa mère qui était hospitalisée.

Registre de l’UGIF Lamarck 11 juillet 1943
Source : Mémorial de la Shoah Paris

Germaine assurait par ailleurs le lien entre ses sœurs et sa mère par des lettres dans lesquelles elle se montrait rassurante pour n’affoler personne.

Sans doute ne leur a-t-elle pas appris l’arrestation à l’hôpital Rothschild puis la déportation vers Auschwitz de Chaja. Née en 1866 en Pologne, Chaja a été arrêtée le 6 novembre 1942 puis déportée par le convoi 45 au départ de Drancy le 11 novembre 1942. Elle n’est jamais revenue.
De son côté Ruchla, entre-temps transférée à l’hôpital Rothschild, rencontre des difficultés. En février 1944 Germaine est avertie par une de ses amies d’enfance, secrétaire à Rothschild, que sa mère est sur les listes des arrestations à venir. Elle demande alors de l’aide à Monsieur Marcel, un résistant caché à l’UGIF rue Vauquelin, pour la faire évader. Le personnel de Rothschild avait mis en place un certain nombre d’astuces pour protéger les malades. Ainsi monsieur Marcel a-t-il pu faire sortir Ruchla par la morgue, certainement avec un faux certificat de décès, comme ce fut le cas pour d’autres patients.
Ruchla fut ensuite hébergée chez une vendeuse de journaux de la Porte de Montreuil. Elle ne devait pas faire trop de bruit car le fils de cette dame était dans la milice et s’il s’apercevait de sa présence dans son grenier, il pourrait la dénoncer. Germaine s’occupe donc discrètement de sa mère en lui apportant de la nourriture que Jacqueline lui envoie depuis la campagne. Elle passait la voir tous les deux jours et avait pour habitude de glisser un ticket de métro sous la porte pour se faire connaître. Après l’arrestation de Germaine, son amie Rosette Berangol apportait de la nourriture à Ruchla en glissant à son tour un ticket de métro sous la porte.

Photographie de Germaine en 1942
Source : Gilles Hejblum

 

III – 1944-1945 : l’enfer des camps

Du 21 au 22 juillet 1944, en pleine nuit, Germaine est arrêtée par la Gestapo ; le centre de l’UGIF de la rue Vauquelin ayant été la cible d’une rafle ordonnée par Aloïs Bruner, le commandant du camp de Drancy, qui fit arrêter tous les enfants des maisons de l’UGIF de Paris et sa région.

Germaine précise dans son témoignage que trois personnes ont pu échapper à la rafle de la rue Vauquelin cette nuit-là. L’ensemble des enfants, des jeunes filles et du personnel a été emmené au camp d’internement de Drancy.

Dans ses souvenirs, Germaine dit que l’arrestation et le trajet vers Drancy se déroulèrent lors d’une journée de canicule. A leur arrivée, ils furent accueillis par le chef de camp. La directrice de l’UGIF Vauquelin, madame Mortier, qui a été raflée également et qui parle allemand, fait office d’interprète. Dans le camp, ils souffrent de privations, les enfants ont faim, et Germaine explique que les plus grandes ont dû s’occuper des plus jeunes. N’ayant aucun renseignement sur leur destination, on leur racontait que les familles allaient être regroupées dans des camps de travail.

La déportation vers Auschwitz débute le 31 juillet 1944 à la gare de Bobigny où les déportés furent entassés avec leurs bagages dans des wagons à bestiaux. Germaine décrit ce trajet comme étant « horrible », « le plus dur de tous ». Au centre du wagon, un tonneau avec un peu d’eau qui servit par la suite de toilettes. Les conditions d’hygiène étaient désastreuses. Les enfants criaient, pleuraient, ne sachant où ils allaient, les plus âgés tentaient de les rassurer en leur disant qu’ils se rendaient à Pitchipoï.

Au bout de 3 jours, les déportés arrivent à Auschwitz en pleine nuit. Ils descendent sur le quai où on les presse, on leur crie dessus, pour qu’ils se hâtent en abandonnant toutes leurs affaires dans les wagons. Germaine a gardé en mémoire le souvenir de la lumière éblouissante, du bruit des chiens et des Allemands qui hurlent, mais aussi d’une odeur insoutenable. Elle ne comprit que plus tard qu’il s’agissait de celle des fours crématoires.

Fiche de Drancy
Source : Mémorial de la Shoah Paris

D’un signe de la main les nazis désignaient ceux qui allaient vivre ou mourir. Aucun enfant ne passait la sélection. Dans leur groupe une fille de treize ans a réussi à passer, Germaine mentionne le fait qu’elle faisait plus grande que son âge. Elle deviendra « la mascotte » du groupe. Germaine précise que les filles sont séparées de leur directrice et que Rachel Honigmann qui a 21 ans, s’attache au bras de celle-ci refusant de la laisser partir. Cette scène a marqué la mémoire de Germaine, car ni Rachel ni la directrice n’ont pu passer la sélection.

Un autre souvenir a fortement marqué Germaine : au camp de Drancy elle se serait liée à un petit garçon de deux ans dont elle s’est occupée durant tout le trajet. En sortant du wagon à Auschwitz, un homme en tenue rayée lui a pris l’enfant et l’a mis à terre. Elle précise alors qu’elle ne le savait pas encore mais que cet homme lui a probablement sauvé la vie, aucune mère avec son enfant ne passant la sélection.

Germaine est sélectionnée pour aller au camp de travail ainsi que plusieurs jeunes filles de la rue Vauquelin.

A l’arrivée, tous les déportés sont placés en quarantaine. Puis, les femmes doivent se déshabiller et sont rasées, c’est insupportable. Il n’y a plus ni pudeur ni respect ; des hommes entrent et sortent de la pièce. Elles sont ensuite vêtues de haillons, puis sont tatouées. Germaine se vit attribuer le numéro A16827.

Une fois entrée dans le camp Germaine reste avec ses amies de Vauquelin ou des Eclaireuses Israélites de France. Elles restèrent très soudées dans cet environnement hostile. Dans le camp, les filles ne mangent pas à leur faim. Un petit pain carré est coupé pour 8 personnes qui doivent s’en contenter jusqu’au soir où elles ont droit à une sorte de soupe.

Le travail qu’on leur demande de faire est épuisant et dépourvu de sens. Elles doivent par exemple déplacer des pierres pour les remettre à leur place le lendemain, c’est un enfer. Des sélections ont lieu lors des appels chaque jour et parfois la nuit. Celles qui tombent de fatigue sont immédiatement envoyées aux chambres à gaz.

Germaine et plusieurs de ses amies ont été transférées du 27 octobre 1944 au 9 mai 1945 au kommando Weißkirchen bei Kratzau au nord de la Tchécoslovaquie, à 15 kilomètres de Reichenberg. Elles parcouraient 6 kilomètres le matin et le soir pour aller travailler dans une usine d’aviation. L’hiver 1944 est épouvantable et glacial, elles n’ont pas de quoi se couvrir ni se chausser convenablement.

Elles travaillent avec des prisonniers de guerre italiens qui ont des contacts avec la résistance. Aux toilettes de l’usine, des nouvelles, des journaux ou des pommes circulent. Germaine et ses camarades se lavent comme elles peuvent aux robinets.

En mai 1944, Germaine, « Furet » (Denise Schneer), « Gypsie » (Yvette Dreyfus) et d’autres camarades sont emmenées pour aller emballer des armes allemandes dans la montagne. Ce sont des amies de Germaine qui ont dû le lui rappeler après la guerre car elle avait oublié cet épisode. Les filles ont fini par toutes redescendre de la montagne sauf Germaine qui a continué à travailler seule là-haut. Un ou deux jours après elle redescend et ni elle, ni ses camarades ne vont plus à l’usine. Le mois est difficile car les Allemands sont énervés et sous pression, ils ont perdu la guerre.

IV – 1945-2020 : le retour en France

Lors de la libération des camps, quand les troupes soviétiques sont arrivées à Kratzaw, les portes du camp sont restées fermées à cause de la résistance des nazis. Les grilles ont finalement été ouvertes le 9 mai au soir.

Le rapatriement fut long et laborieux. Denise Schneer est allée avec Yvette Dreyfus à la mairie de Kratzau pour demander un laisser passer au maire afin de rentrer en France. Le groupe de filles a connu beaucoup de difficultés. Elles ont d’abord remorqué des malades de l’infirmerie, puis elles se sont dirigées seules vers Prague.

Laisser passer établi par le maire de Kratzau
Source : Yvette Levy

Germaine raconte que les filles ont été agressées sur la route par des soldats britanniques qui voulaient violer l’une d’entre elles. Elles se sont battues toute une nuit pour se défendre.

Elles sont ensuite arrivées dans une caserne où, selon Germaine, elles ont dû effectuer des « corvées de chiottes » : elles étaient nourries avec une alimentation peu adaptée aux déportées. Elles sont finalement rentrées à Paris par un train militaire.

Arrivée à l’hôtel Lutetia à Paris, ne sachant pas où était sa mère, ni qui contacter, Germaine a envoyé un télégramme à son ancienne professeure d’anglais avec qui elle prenait des cours avant d’être arrêtée.

Celle-ci a prévenu le centre de la rue Vauquelin qui était devenu un lieu d’accueil où résidaient sa mère et ses sœurs, leur maison et son contenu ayant été réquisitionnés.

Dans son témoignage, sa sœur Madeleine, qui faisait partie du comité d’accueil des déportés, nous explique qu’elle a dévalé la rue en courant vers le métro espérant y trouver Germaine, tandis qu’un camion remontait celle-ci à contre sens. Elle entend alors quelqu’un crier « Madeleine ! » : c’était sa sœur !

Ce fut un choc pour Germaine et ses sœurs de se retrouver : elle pesait 31 kilos et avait la moitié des cheveux coupés.

Après leurs retrouvailles, Germaine a été logée avec sa mère et ses sœurs rue Vauquelin : elles étaient les seules femmes et l’unique mère dans le centre accueillant des garçons. Sa relation avec ses sœurs a pu parfois être compliquée. De leur point de vue, Germaine n’était « pas capable de prévoir le prévisible » et n’avait jamais vraiment quitté Auschwitz. Ainsi, peu importe le sujet, elle le raccrochait toujours aux camps. Cela a créé des tensions avec ses sœurs car, selon Madeleine, leur mère leur disait parfois « elle a été déportée, Elle !».

Ruchla et ses filles en janvier 1946
Source : Madeleine Wagensberg Germain

Une fois de retour, Germaine a cherché à retrouver leur père. Elle apprend alors qu’il se trouve en Amérique du sud où il s’est remarié et a eu des enfants. Il avait fait une demande de divorce en 1942 alors qu’il était à Cuba. Divorce qu’il obtint, le deuxième parent ne s’étant présenté au tribunal puisque Ruchla était incapable de se déplacer en pleine guerre… Chilel serait revenu en France pendant une brève période en 1946. Il profita de ce voyage pour déposer l’acte de divorce dans leur boite aux lettres. Sur ce dernier, il est précisé qu’il payerait une pension pour Germaine, chose qu’il ne fit jamais.

C’est en août 1946 à La Baule, dans une maison de convalescence, que Germaine rencontre Samuel Hejblum. Celui-ci fut déporté après la Rafle du Vel d’Hiv par le convoi 15 parti de Beaune-la-Rolande le 05 août 1942 à destination d’Auschwitz.

A la suite de cette rencontre, ils se sont recroisés quelquefois à la sortie du métro Belleville à Paris car ils habitaient le même quartier. C’est en avril 1953 que Samuel propose à Germaine de prendre un verre au café. Durant ce rendez-vous il l’invite à l’ouverture du “Jardin de Montmartre” ; un dancing du quartier de Montmartre. Ils sont donc allés danser dès le lendemain après-midi puis se sont revus la semaine suivante et par la suite sont devenus très attachés l’un à l’autre.

Ils se sont mariés le 16 janvier 1954 et ont eu deux enfants : Francine (née le 27 août 1954 à Paris – décédée le 14 novembre 2017 à Paris) et Gilles, né le 31 mai 1958 à Paris.

Photo de Germaine, Samuel, Francine et Gilles vers 1962-1963
Source : Gilles Hejblum

 

Comme l’explique Germaine dans son témoignage : « C’est une revanche sur le nazisme d’avoir fondé une famille, d’avoir des petits-enfants ».

Après son mariage, Germaine devient couturière et avec Samuel ils fondent leur propre entreprise de couture, nommée Elvy.

Leur appartement au 83 rue de la Verrerie à Paris était dédié principalement à cette activité : pas de salle de bain, les enfants dormaient dans une chambre sans fenêtre. L’atelier possédait une salle de découpe où travaillait Samuel qui effectuait aussi les livraisons et la comptabilité, tandis que Germaine s’occupait des travaux de couture.

En 1964, ils emménagent au 43 rue Turbigo dans un logement plus grand et confortable. Quelques années plus tard, l’entreprise fit faillite et ils travaillèrent dans l’entreprise d’un ami.

Au début des années 1980, Germaine et Samuel prennent leur retraite à Cannes. Samuel décède en 2003. Quant à Germaine, elle entre dans un EHPAD en 2015 à Nice. Elle y décède des suites du confinement le 16 avril 2020.

Germaine n’a jamais voulu retourner à Auschwitz. Sa sœur Madeleine s’y rendit en 1989. Selon Gilles, Germaine a peu parlé à ses enfants de sa déportation, souhaitant sans doute les épargner. En revanche, Germaine a effectué des témoignages dans des écoles ainsi qu’auprès des Archives Départementales des Alpes Maritimes (audio) et du musée de la Résistance de Lyon (vidéo). Elle a, lors d’un repas en 2007, eu l’occasion de rencontrer Simone Veil, elle-même déportée à Auschwitz.

Photographie de la rencontre avec Simone Veil à Nice 2007
Source : Madeleine Wagensberg Germain

Madeleine et Germaine
Source : Madeleine Wagensberg Germain

Mariage de Jacqueline – Germaine à gauche derrière Ruschla – Madeleine à droite
Source : Madeleine Wagensberg Germain

Témoignage de Madeleine Wagensberg Germain – 3 février 2023 – Collège La Cerisaie –
Photo: Nathalie Baron

Germaine en 1947…           

… en 1961

… en 1965

Source : Gilles Hejblum

Germaine et Samuel Hejblum, probablement vers la fin des années 1950
Source : Gilles Hejblum


Deuxième rencontre avec Gilles Hejblum – 21 avril 2023 –
Photo : Nathalie Baron

 

Cette carte de déportée politique est un des documents qui a servi de point de départ à notre enquête.

Nous sommes satisfaits d’avoir pu contribuer à ce que l’existence de Germaine ne se résume pas à ce document administratif.

Après avoir résisté à la déportation, elle a eu la force de se reconstruire en bâtissant une famille… ce que nous ignorions en débutant notre travail.

Carte de déportée politique en date du 24 mars 1956
Source : Gilles Hejblum

 

En complément : Consulter les biographies de Necha GOLDSZTEJN, Rosa HOFENUNG, Blima KRAUZE et Violette PARSIMENTO

 

This biography of Germaine WAGENSBERG has been translated into English.

Contributeur(s)

Sidonie Berthelot, Zoé Boivin, Amalia Cervantes, Elly Dana, Camille Froment, Jade Gautier, Louise Legouis, Antonin Louis, Siloé Pascarel, Maxime Wamo, Nathalie Baron et Sonia Drapier

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1 commentaire
  1. Lecaille 2 mois ago

    C est avec beaucoup d émotion que je lis ce texte.
    Ruchla avait une soeur, Chana, qui était ma grand-mère.
    J avais rencontré Germaine chez ma tante Rachel, mais nous n avions pas eu le temps d évoquer le passé.
    Merci de combler les lacunes.
    Germaine a tenté de prévenir sa cousine Ruchla de la rafle de 1942, mais qui aurait pu croire que ça arriverait. Ruchla et son fils Serge ont été des victimes de la rafle du Vel d Hiv (ma tante et mon cousin)

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