Liki BORNSZTAJN (Borensztajn)
Liki Bornsztajn est née le 26 août 1927 à Nancy et décédée le 5 août 1944 à Auschwitz. Au printemps 1940, sa famille fuit Nancy ; c’est le début du déracinement, des incertitudes et des angoisses quant au lendemain.
Liki est née le 26 août 1927 à Nancy. Elle est la fille de Mordka Bornsztajn (ou Bornstajn), tailleur d’habits, né à Baluty, en Pologne (Baluty est devenu un quartier juif de Lodz) le 13 février 1897, et de Chaïa, Golda, Agrest, couturière, née à Lukow, ville située à l’est de la Pologne. Ils se sont mariés à Nancy le 26 mars 1927.
La famille de Liki est modeste. On note la mention portée sur l’acte de mariage : « l’épouse ayant déclaré ne savoir signer ».
Au moment de la naissance de Liki, ils sont alors domiciliés à Nancy, 38 rue Clodion. Liki a un frère aîné Henik-Albert Bornstajn, né le 19 mars 1925, sur lequel nous reviendrons, et une sœur née le 24 juillet 1926, Ida, malheureusement décédée le 14 juillet 1927, un mois avant la naissance de Liki.
Deux ans plus tard la famille s’agrandit avec la naissance de Marthe-Odile. Elle naît le 4 mai 1929 à Belfort. Mordka, son père, est mort avant sa naissance, le 19 février 1929, à Belfort, à l’âge de 32 ans.
Enfin Wolf naît le 21 octobre 1933 à Nancy. Leur mère, Golda, après la mort de son mari, vit alors avec Gabriel Weiss. Wolf porte le nom de sa mère car son père biologique est encore marié.
Liki est donc issue d’une famille polonaise nombreuse, installée en France dans les années 1920. On peut supposer que ses parents sont venus à Nancy pour travailler. Après la Première Guerre mondiale en raison des pertes militaires élevées, la France accueille de nombreux travailleurs polonais. Le gouvernement français a signé avec son homologue polonais, le 3 septembre 1919, une convention d’immigration qui prévoit un recrutement collectif de citoyens polonais, des contrats de travail et l’égalité des salaires avec la main-d’œuvre française.
Nous n’avons d’informations ni sur la scolarité de Liki, ni sur ses centres d’intérêt. Une photographie issue de la collection de Serge Klarsfeld nous la présente adolescente avec une camarade. On peut imaginer qu’elle aime sortir avec ses amies.
Après la drôle de guerre, au moment de l’offensive allemande en mai 1940, Liki, sa mère, ses sœurs et ses frères se réfugient dans le sud-ouest, à Saint-Jean-de-Blaignac (Gironde). C’est une petite commune de quelques centaines d’habitants située sur la Dordogne au sud de Libourne. Golda exerce peut-être son métier de couturière. Puis ils seraient allés à Bordeaux. D’autres familles venant de Nancy et de sa région se sont installées dans le département de la Gironde. Fin 1940, les Allemands expulsent vers le département de la Vienne les juifs réfugiés en mai 1940, car la Gironde est un département côtier et les Allemands ont peur d’être espionnés. La famille Bornstajn s’installe alors à Savigny-sous-Faye, une petite commune rurale située au sud de Loudun.
Toute la côte atlantique est en zone occupée (zone interdite à partir de 1941) y compris Bordeaux. Le département de la Vienne, comme 12 autres départements, est coupé en deux par la ligne de démarcation. Poitiers, Loudun et Châtellerault sont en zone occupée. La législation antisémite allemande s’y applique dès l’été 1940.
Le frère aîné, Henik (Albert) réside dans les dépendances du Château de la Plaine comme en rend compte ce document de 1943. Il est homme à tout faire dans les fermes de la région. Avec 6 autres juifs (3 femmes et 3 hommes), il demande à changer de résidence. Un document préfectoral ultérieur montre que finalement il reste à Savigny-sous-Faye.
Le 9 octobre 1942, Golda et ses trois enfants sont raflés et internés au camp de la route de Limoges à Poitiers.
Dès octobre 1939, des réfugiés politiques espagnols ont été internés dans ce camp, puis à partir de fin 1940 ceux que Vichy appelle les « Nomades ». En 1942, ils sont plus de 400. Les premiers internés juifs arrivent durant l’été 1941.
Ce camp est insalubre car les installations sanitaires sont insuffisantes et les rations alimentaires sont très limitées. Les familles sont entassées dans trois baraques Adrian (des préfabriqués démontables en bois)et doivent dormir à même le sol sur de la paille. Il n’existe pas de dortoirs spécifiques pour les enfants, et aucune école n’a été créée.
Golda est transférée le 15 octobre 1942 au camp de Drancy. Elle fait partie d’un groupe de 231 personnes dont 94 femmes, 86 hommes et 51 enfants. Plus de la moitié des membres de ce groupe sont des Polonais. Ses trois enfants demeurent au camp de Poitiers, car ils ont la nationalité française ce qui n’est pas le cas de Golda. On peut imaginer sa douleur de devoir les quitter pour une destination inconnue. On peut imaginer la tristesse de ses enfants qui désormais sont seuls. Golda est déportée par le convoi n° 42 à Auschwitz, le 6 novembre de la même année.
Le rabbin Elie Bloch, secondé par le père Fleury, aumônier catholique des Nomades(Tziganes)qui a agi dans la clandestinité, parvient à faire libérer des enfants. Il argue auprès des autorités de leur statut de Français. Jean-Marie Lemoine, intendant de police de la région de Poitiers, accepte la libération de 11 enfants en raison « de leur qualité de Français » en novembre 1942. Ainsi Liki, sa sœur cadette Marthe et son demi-frère Volf sont libérés le 12 novembre 1942. Ils sont placés dans des familles juives et non juives (bien que ce soit interdit) de Poitiers et de ses environs.
Ils sont à nouveau arrêtés le 23 juillet 1943 et détenus au camp de la route de Limoges. Puis, avec dix camarades, encadrés par de nombreux gendarmes, ils sont transférés à Paris le 19 août 1943, dans un wagon à bestiaux. Ce sont les derniers enfants qui quittèrent le camp de Poitiers.
Les trois enfants sont alors pris en charge par les services de l’Union générale des Israélites de France (UGIF), rue Lamarck, où arrivent tous les enfants avant d’être éventuellement envoyés dans d’autres centres. Ils sont ensuite séparés. Liki est placée dans le centre de la rue Vauquelin, qui accueille des jeunes filles à partir de l’âge de 15 ans ; Volf est envoyé dans la maison des orphelins de La Varenne-Saint Hilaire. Le sort de Marthe est inconnu. Va-t-elle avec Liki ? Comme Marthe n’est pas raflée avec sa sœur, il semble qu’elle ait été recueillie ailleurs.
En juillet 1944, Aloïs Brünner, adjoint au chef de la police allemande de Paris, décide de déporter les enfants confiés à l’UGIF. Il organise des rafles dans toutes les maisons d’enfants gérés par l’UGIF de Paris et de la banlieue parisienne. Il fait arrêter les 33 jeunes filles du centre de la rue Vauquelin, dont Liki, dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944. Transférée à Drancy, Liki retrouve Volf. Ils sont déportés à Auschwitz le 31 juillet 1944, dans le convoi n° 77, et assassinés dès leur arrivée.
La politique antisémite de Vichy et des occupants allemands a détruit une grande partie de la famille.
Marthe a survécu, ainsi qu’Henik Albert.
Ce dernier avait rejoint la Résistance. Il a pris le nom de guerre d’Albert Boréal. Officiellement, il a été autorisé à porter ce nom à partir de 1987. Il a obtenu les titres de déporté et interné de la Résistance (DIR), et de membre des Forces Françaises de l’intérieur (FFI)(voir annexes 4 et 5).
Pendant qu’il est au château de la Plaine, il rencontre Rosa Apter qui deviendra sa femme. C’est elle qui remplit en 1998 les feuilles de témoignage que l’on trouve sur le site de Yad-Vashem. Albert est mort à Lyon, le 4 décembre 2004 ; Rosa le 13 octobre 2012, à Avignon. Marthe est morte à Créteil en 1984. Elle a eu deux enfants : une fille Hélène et un fils Ariel.
Sources
Service Historique de la Défense à Caen :
- Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC), dossier 21 P 482609
Service historique de la Défense à Vincennes :
- Bureau Résistance, dossier GR 16 P 74640
Mémorial de la Shoah :
- Fiches Drancy, carnet de fouilles et cahier de mutations
- Collection Serge Klarsfeld
Archives départementales du Territoire de Belfort :
- Registre décennal des naissances, 1 E TD 2
Archives municipales de Nancy :
- Registre des décès de l’état civil de Nancy, 4 E 372
- Registres des mariages de l’état civil 1927,3 E 336
Contacts via les réseaux sociaux avec Martine Boréal, une des deux filles d’Albert Boréal, frère aîné de Liki.
Bibliographie
- Paul Lévy, Un camp de concentration : Poitiers 1939-1945, Paris, Sedes,1999.
En complément : Consulter les biographies de Volf (Wolf) AGREST et de Henri, Léon et Kiwa ZYLBERMANN
This biography of Liki BORNSZTAJN has been translated into English.