Salomon YENI

1905-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: ,

Salomon YENI (1905-1944)

Un site web a été crée autour de la biographie de Salomon Yeni, placée dans son contexte historique.

I – Salomon Yeni à Salonique

Salomon Yeni est né le 27 décembre 1905 (ou 1906, selon des sources divergentes) à Salonique, dans les dernières années de l’empire ottoman.

Il est juif (comme 51% de la population de Salonique à cette époque, soit 86 000 personnes) et sa famille est très modeste (comme 75% des juifs de Salonique) : son père Abraham est marchand d’œufs. Sa mère, Hanna Rafael, est originaire de Smyrne.

Hannah, mère de Salomon.

Les juifs de Salonique , qui payent le dhimmi (impôts spécifiques aux non-musulmans dans tout l’empire ottoman) ont une certaine autonomie religieuse, culturelle, linguistique et administrative.

Ils parlent judéo-espagnol et français.

Comme les archives de Thessalonique ont brûlé en 1943, nous savons très peu de choses sur la vie de Salomon Yeni jusqu’à l’âge adulte mais le contexte historique peut nous aider à comprendre ce qu’était la vie d’un jeune juif de Thessalonique né au début du siècle et ce qui le pousse à émigrer en France, vers l’âge de 25 ans.

En voici les grandes étapes résumées

  • 1908 : Un groupe de jeunes officiers turcs de Salonique et de Macédoine se mobilise contre le sultan Abdul-Hamid II auquel ils reprochent de livrer l’empire ottoman aux puissances étrangères et de montrer aussi trop de complaisance pour les Arabes. Le sultan cède à leurs exigences et rétablit une Constitution, le 24 juillet 1908, laissant espérer un sort meilleur aux minorités de l’empire ottoman, sur des bases laïques. Mais c’est l’inverse qui se produit, avec la poussée des nationalismes partout dans les Balkans puis les échecs des guerres balkaniques et de la Grande Guerre.
  • 1912 : Avec la première guerre balkanique (1912-1913), l’empire ottoman est obligé de céder la Macédoine. Salonique devient grecque. Les juifs voient se transformer leur mode de vie sous la pression des grecs orthodoxes (obligation de fermer les magasins deux jours par semaine , samedi et dimanche ; les salaires des non-orthodoxes sont diminués). Partout dans la région, les juifs subissent une poussée de l’antisémitisme.
  • 1917 : Grand incendie de Thessalonique. Les juifs ont interdiction de reconstruire dans leurs anciens quartiers du centre-ville. Ils reconstituent une vie très dynamique à la périphérie de la ville.
  • A partir de 1923 : Arrivée de près d’un million de grecs orthodoxes , chassés de Turquie, après l’effondrement de l’empire ottoman. 100 000 d’entre eux s’installent à Thessalonique, ce qui fait quasiment doubler la population urbaine. Ainsi, les juifs de Thessalonique, jusque-là majoritaires démographiquement, deviennent minoritaires.
  • 1931 : Pogrom dans le quartier de Campbell à Thessalonique, où un incendie est allumé dans la nuit par des émeutiers antisémites.
  • 1932 : Les suspects du pogrom sont jugés et acquittés. Parallèlement, l’instabilité politique fragilise de plus en plus le pays, jusqu’à la mise en place d’une dictature en 1936.
  • 1933 : Salomon quitte Thessalonique pour la France. Il arrive à Marseille le 1er novembre.

Cartographie réalisée par D. Vaultier

II – Salomon Yeni en France :

  • 1933 : Salomon Yeni arrive en France le 1er novembre par le port de Marseille. Il déclare être tailleur en Grèce. Il réside à Paris jusqu’en 1940.
  • 1937 : En Juillet 1937, Salomon vit à Paris chez sa sœur Rachel qui s’est mariée. Son frère Jacob s’est marié à Bruxelles où il est installé.

Isaac CORONEL, Jacob YENI et sa femme Jeanne, Salomon YENI en Juillet 1937 sur les Champs Élysées

  • 1939 : Salomon est courtier en marchandises à Paris. Il vit avec Cyrla Buchla Hefter au 6 rue Mercœur, Paris 11ème. Sa compagne donne naissance à une petite fille, Annette Cécile, le 6 janvier 1939 mais la mère décède le jour même, comme de nombreuses femmes jusque dans les années cinquante. Annette Cécile est reconnue par son père le 9 janvier, puis placée dans une famille juive dans les environs de Beauvais et reconnue par la Nation en 1953, puis adoptée par Marcel Klopstein et Madeleine Dreyfus en 1959 (source : Tribunal de Senlis). Elle a épousé le 27 mai 1965 à Marseille Michel Louis Alexandre Rognin (29 mai 1928 à Marseille- 21 octobre 1974 à Beauvais). Elle a vécu principalement à Crépy en Valois, la ville de ses parents adoptifs et à Beauvais dans l’Oise, où elle décède le 1er mai 2019.
    Comme tous les étrangers, depuis son arrivée à Marseille, Salomon est soumis à une déclaration obligatoire qui correspond à une demande de carte d’identité. Cette carte d’identité étranger a été instaurée durant la 1ère Guerre mondiale, par un décret du 2 avril 1917. C’est la première expérience en Europe d’une identification ciblée de tous les résidents étrangers sur le sol national. Ce document traduit le désir de contrôler la main-d’œuvre étrangère, et d’assurer un statut juridique précis aux immigrants à la fois comme ressortissants étrangers et travailleurs et de soumettre cette population à un impôt spécial : En effet l’obtention d’une carte correspond au paiement d’une taxe .

Cette carte est délivrée par le Service central de la Carte d’identité des étrangers, installé auprès de la direction de la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur.

Dès la fin des années 1920, les mesures policières de contrôle se multiplient et le ministère de l’Intérieur recommande aux autorités préfectorales de recourir à des mesures spéciales de surveillance qui se poursuivent et s’amplifient durant le régime de Vichy.

  • Décembre 1939 : Dès les premières semaines de la guerre , Salomon Yeni s’engage volontairement dans l’armée française, au titre d’étranger. C’est fait le 12 décembre :

  • Le 10 mai 1940 : Salomon épouse Esther BENBASSAT, née en Turquie le 3 mai 1919. Esther est âgée de 21 ans. Salomon a 33 ans.

Mariage de Salomon et Esther le 10 mai 1940.

  • Le 13 mai 1940 : En tant que volontaire étranger, Salomon est mobilisé dans le 213e DGI de Versailles . Il sert dans l’armée à partir de cette date mais ne combat pas. Il est démobilisé le 12 juillet 1940 à Garlin dans les Landes. Sa femme est déjà installée dans les Landes.
  • Juillet 1940 : Salomon rejoint sa femme Esther . Ils vivent à Pau, ville située alors en zone sud (« libre »).
  • Le 1er septembre 1940 : Salomon déclare avoir perdu sa carte d’identité de travailleur étranger industriel durant le repliement dans le sud de la France, c’est pourquoi il fait régulièrement des demandes auprès de la préfecture des Basses-Pyrénées. Il obtient un récépissé de carte d’identité attestant de sa demande de régularisation, qu’il renouvelle régulièrement grâce à plusieurs attestations d’emplois. Ainsi, nous savons que Salomon a exercé plusieurs métiers durant la guerre : fabricant de ceintures, tailleur, manœuvre à la société Limonades du Béarn à Pau…

La famille Yeni accueille des proches : la famille Raffael à Pau. La famille Raffael a été obligée de quitter Paris : cette photo marque les fiançailles du cousin de Salomon, Armand Tzigler et de Renée Raffaël le 30 mai 1943 à Pau. Ils se marient le 24 février 1944, 3 mois avant l’arrestation de toute la famille.

  • 1940-1944 : Tout au long de leur séjour à Pau , les époux Yeni sont soumis aux contraintes administratives répétées du régime de Vichy. Pour ne pas être obligés de quitter Pau, les époux Yeni doivent demander un permis de séjour à la préfecture des Basses-Pyrénées qui leur est accordé le 1er octobre 1940 pour 1 mois. Ainsi, Salomon et sa femme adressent tous les mois durant l’année 1941 des courriers à la préfecture des basses-Pyrénées afin que leur autorisation de séjour soit prorogée. A partir du 2 septembre 1942, les demandes sont effectuées tous les 3 mois jusqu’au 1er septembre 1944.
  • Novembre 1942 : La zone sud (« libre ») est occupée par les allemands.
  • 16 février 1943 : Mise en place du STO

Salomon et Esther (enceinte de jumeaux) au printemps 1943.

  • Le 1er juillet 1943 : Salomon s’engage dans la Résistance le 1er juillet 1943 chez les FFI (déclaration du lieutenant Boscheron qui l’a recruté) , avec le grade de sergent (au 1er mai 44), sous le pseudonyme de Sylvain (homologation faite par le colonel Dauphin, alias Duc, le 26 août 1947).
  • Le 10 octobre 1943 : Naissance des jumeaux Yeni au 23 rue Lespy, à Pau : Anne-Viviane et Albert-Jean-Claude (dit Tiste) . La fillette meurt le 26 décembre 1943.

Le couple Yeni et le petit Jean-Claude au printemps 1944, peu de temps avant l’arrestation de Salomon.

L’immeuble du 5 rue Cazaubon-Norbert où Salomon a été arrêté, avec ses cousins Raffael, par la milice et la police.

  • Le 20 mai 1944 : Jean-Claude a 7 mois, lorsque son père Salomon est arrêté par la milice et la police française chez ses cousins au 7 rue Cazaubon Norbert, sur dénonciation d’actes de résistance et après le meurtre d’un milicien dans les jours précédents.

Dans un document ultérieur, la milice confirme avoir trouvé une machine à écrire pour fabriquer des faux-papiers dans l’appartement où la famille a été arrêtée un soir de shabbat. Ainsi, toute la famille Raffaël est entre les mains de la Gestapo. Ils sont transférés à la prison Saint Michel à Toulouse qu’ils quittent le 15 juin 1944 directement pour Drancy. Ils sont déportés à Auschwitz par le convoi 76. Salomon est isolé du restant de la famille (peut-être du fait de son statut de résistant ).

Document rédigé par la milice, suite à l’arrestation de Salomon (archives de Pau)

  • Le 23 mai 1944 : Salomon est remis à la GESTAPO, transféré à la prison St Michel de Toulouse, puis au centre de Compiègne.
  • Le 6 juillet 1944 : Salomon est transféré à Drancy.
  • Le 31 juillet 1944 : Salomon est déporté par le convoi 77 en direction d’Auschwitz ; c’est le dernier grand convoi de déportés quittant la France (1306 personnes, dont une majorité d’enfants raflés), alors que les Alliés sont à peine à 20km de Paris. Toute trace de Salomon disparaît à partir de cette date.
  • Le 5 août 1944 : Le convoi arrive à Auschwitz-Birkenau.
  • Le 27 juillet 1946 : Après plusieurs demandes, le Ministère du Commerce rend un avis définitif favorable pour qu’Esther (l’épouse de Salomon) puisse ouvrir un commerce de fabrication de chemises et bonneterie à Pau.
  • Février 1949 : Esther est enfin « naturalisé Français » (sic) . Elle se remarie dans les jours suivants et a deux filles, de son second mariage.
  • Octobre 1949 : Un jugement déclaratif (de la mairie de Pau) fixe le décès de Salomon au 31 juillet 1944 à Drancy
  • Mars 1950 : Le ministère des anciens combattants et victimes de guerre fixe finalement la date du décès de Salomon au 5 août 1944.
  • A partir de 1950 : Esther (son épouse), Annette-Cécile (sa fille, née de sa première compagne) puis Jean-Claude (son fils, né d’Esther) demandent régulièrement (et jusqu’en 2001) la reconnaissance du statut de « déporté-résistant » à titre posthume pour Salomon Yeni. Cela leur est systématiquement refusé.
  • 1972 : Décès d’Esther.

Jean-Claude a est élevé par sa mère et son beau-père, dans la religion catholique. Vers 15 ans, il apprend sa judaïté et la mort de son père biologique à Auschwitz. Il suit les cours de l’École Boulle et devient designer sur cuir. Il a fondé des entreprises d’artisanat du cuir à Pau et Paris. Il a eu quatre fils et décède en mars 2020, faisant partie des premières victimes du Covid.

Extrait de l’arbre généalogique de Salomon Yeni, réalisé par D. Vaultier

Famille directe de Salomon Yeni, assassinée pendant la Seconde Guerre Mondiale (1943 et 1944) . On reconnaît Salomon en bas à gauche. Photo-montage de Denis Vaultier

Jean-Claude Iéni, fils de Salomon Yeni, en compagnie de Denis Vaultier en 2018. Jean-Claude, est décédé des suites du Covid en mars 2020.

Les classes de TG3 et TG6 du lycée V.Louis de Talence et leurs professeures, Mmes Boutet et Tanty
remercient très chaleureusement :

  • les archives de Pau, qui ont mis gracieusement à leur disposition des documents scannés indispensables dans cette construction biographique.
  • M. Vaultier, sans qui cette biographie aurait été beaucoup moins complète. Il a rencontré les classes de TG3 et TG6 du lycée Victor Louis de Talence et lui a permis d’enrichir la biographie par de précieux documents officiels et personnels.
  • Alexandra Choleva, professeure au 1er lycée d’Oraiokastro (près de Thessalonique) dont les élèves ont partagé ce travail biographique en grec et en anglais par un projet E-twinning.

M. Denis Vaultier a rédigé un ouvrage « le feu du diamant »sur la généalogie de son épouse, petite-nièce de Salomon Yeni.

Sources :

  1. Documents d’archives donnés par Convoi 77
  2. Documents et photographies donnés par D Vaultier
  3. Documents des archives départementales des Pyrénées Atlantiques

Liens :

  1. https://pboutet33.wixsite.com/website/post/biographie-de-salomon-yeni
  2. https://padlet.com/astealex2000/h6iqy6v5o3vsywbv

 

Poèmes de Sofia et Maria, Oraiokastro (arrondissement de Thessalonique)

 

Écriture poétique par les élèves grecs (classe de Terminale) du 1er lycée d’Oraiokastro (près de Thessalonique) – février 2022.

 

« Memories of the holocaust » from Maria Anastasiadou

The wind is holding my hand ready to tear me apart, as I enter the grey emprty room where stacked with the crowd, I lose every piece of myself and become one with the mass of animals that fate has turned her back on. A flower is blooming on the black vail of inexistence that has covered us. Screams in the abyss heading towards complete nothingness, like us, pixies floating until we reach the asylum, they happily call paradise. Until we reach madness and forget that we are humans with dignity. As days passed by, the screams stopped, tired of running in the void. We pass the gate with the inscription « Work will free you » and unshaped masses with grey overcoats were mocking and spitting on us, taking off our clothes just because they could, playing with the souls of humans like they were their own, like they were never kids. We were leaving our last breaths with the stench burning our lungs and Death holding our hand, leading us to safety. Everything seems like a fake memory, like recollections from an old nightmare. However, I am glad I still remember, I am glad I still have the strengh to shout that I was, I am and will always be human.

 

« Can you hear them? » by Kousenidou Sofia

They get on the train Hoping there’s something to gain The train makes it’s first move They’re still hoping their life will improve The train makes a move on track And now there’s no going back. The moment is arriving…

Stop. Close your eyes. Listen…

Can you hear them?

Children are crying, people are dying.

Can you hear them? When the moment arrives, the earth interwines with the hottest pits of hell

Can you hear them? Then, the moment arrives. And everyone they have ever known, everyone they have ever loved, Suddenly, dies…

 

This biography of Salomon YENI has been translated into English.

Contributeur(s)

Les Terminales Générales 3 et 6 du Lycée Victor Louis de Talence et leurs professeurs Mme Boutet et Tanty ; Les élèves de Mme Choleva, professeure au 1er lycée d’Oraiokastro (près de Thessalonique)

Reproduction du texte et des images

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