Anna Klinger : « Une élève m’a dit : ‘Madame, je ne savais pas qu’on était si importants' »

Anna Klinger et ses élèves du lycée bilingue de Poznan, en Pologne, ont travaillé sur les biographies d’Isaac Jacques Jakubowicz et de Lejzor Perelcwejg, tous deux nés en Pologne. Ce travail fait partie des onze projets européens sélectionnés par le ministère de l’Education nationale. 

Pouvez-vous vous présenter et nous présenter votre classe ?

Je m’appelle Anna Klinger. J’enseigne le français à l’Université Adam Mickiewicz et au lycée bilingue de Poznan, en Pologne. C’est surtout avec les lycéens que j’ai réalisé le projet Convoi 77 même s’il y a des éléments liés à l’université dans notre projet.

Nous avons travaillé sur deux biographies – trois élèves sur la biographie d’Isaac Jacques Jakubowicz et quatre élèves sur celle de Lejzor Perelcwejg. Quand nous avons commencé ce travail, début janvier 2020, les élèves étaient en première année de lycée. Ils venaient des deux classes bilingues dans notre lycée – une option histoire/polonais et mathématiques/physique, l’autre biologie/chimie. Ils avaient six heures de français par semaine et deux heures d’une DNL (discipline non linguistique) en français également. En tout, ils apprenaient le français depuis plus de cinq ans dans notre école.

Comment avez-vous organisé ce travail collectif dans le cadre du projet Convoi 77?

J’ai commencé par montrer les photos des déportés à mes élèves. Il me semble que cela a été un moment important.

Nous avions reçu d’autres documents de la part de Convoi 77, que j’ai partagés de façon équitable entre les élèves. C’était des documents en français, parfois manuscrits, un peu difficiles à déchiffrer. 

Nous nous sommes rencontrés deux ou trois fois à l’école avant que la pandémie ne commence, en mars 2020. A ce moment-là, j’ai créé une équipe sur Teams afin de permettre aux groupes respectifs de faire le point sur ce que chacun avait trouvé et pour chercher des pistes à explorer dans la recherche de nouvelles informations.

Anna Klinger et ses élèves. Crédit : DR

Les élèves me disaient en français et en polonais ce qu’ils avaient compris. Pour chaque groupe, la façon de travailler a été un peu différente car les sources d’informations ont été variées. J’ai demandé aux élèves de rédiger des lettres aux institutions, aux personnes auprès desquelles on espérait trouver des informations sur nos déportés.

Après avoir rassemblé les informations qui nous semblaient exhaustives, nous avons fait un plan de nos biographies. A chaque fois j’intervenais, j’expliquais, je donnais mes idées et j’écoutais celles de mes élèves.

Au bout de quelques mois, les élèves ont rédigé leurs biographies. Je les ai relues pour ajouter des informations. Puis nous avons choisi des documents qui pouvaient accompagner les textes sur le site.

Quel a été l’impact de ce travail, d’un point de vue individuel (en ce qui vous concerne, en ce qui concerne les élèves…) mais aussi plus largement (au niveau de l’école, de la municipalité ou autres) ?

Je suis professeure de français et la Shoah n’est pas vraiment un sujet qui est traité dans les manuels de français langue étrangère. Mon but était d’évoquer ce sujet et de travailler la langue en même temps.

Les élèves se sont vraiment investis. Ils ont donné leurs impressions dans les biographies. Une élève a notamment écrit : « Quand j’ai entendu parler de ce projet, différentes idées me sont venues en tête. Je m’y suis intéressée vraiment car le projet Convoi 77 s’appuie sur les histoires de vrais gens. Ces histoires sont un peu confuses, pas toujours claires, mystérieuses, parce qu’elles se sont déroulées dans un passé que je connaissais seulement à travers les manuels. J’ai eu donc l’occasion de connaître les événements ‘d’un autre côté’ et en plus de devenir une partie de cette époque en reconstituant la chronologie de la vie d’Isaac ».

Votre travail a été sélectionné parmi les projets les plus remarqués, quel sentiment cela vous procure/cela procure aux élèves ?

Surtout de la joie. Car la participation au projet a demandé des recherches mais a aussi provoqué, parfois, des moments difficiles, où il y avait la tentation d’abandonner. Par exemple, on n’arrivait pas à trouver d’informations supplémentaires sur M. Perelcwejg, mais cela a changé presque du jour au lendemain après avoir reçu des informations du Kazerne Dossin de Bruxelles [Mémorial, musée et centre de recherche sur la Shoah et les droits humains, ndlr]. On a aussi eu des moments d’émotions, notamment quand le neveu de Jacques Jakubowicz a répondu à notre mail.

 A la suite de cette distinction, nous avons été reçus de façon solennelle chez l’Ambassadeur de France en Pologne. Nous avons également pu bénéficier d’une visite guidée du Musée Polin et du quartier Muranow à Varsovie. Après cette visite, une de mes élèves m’a dit : « Madame, je ne savais pas qu’on était aussi importants ».

En 2021, nous avons également été récompensés par le concours Label européen des langues [ce concours, instauré par la Commission européenne, valorise des initiatives innovantes dans l’enseignement et l’apprentissage des langues, ndlr].

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à d’autres enseignants qui souhaiteraient participer au projet ?

Je conseille d’oser prendre part à ce projet. Il permet aux jeunes de découvrir une autre façon de parler de l’histoire, de découvrir l’histoire en dévoilant petit à petit la vie des gens qui sont nés près de chez nous ou au moins dans notre pays. Le projet permet de se sentir comme un chroniqueur analysant les événements et découvrant avec joie le fruit de son travail. 

On apprécie l’idée des organisateurs du projet de parler de la Shoah autrement, de redonner un peu de vie aux victimes du système nazi. Il ne faut pas avoir peur de ne pas connaître le français pour prendre part au projet Convoi 77. Nous pouvons proposer notre aide.

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