Bernard JEIFA

1881-1944 | Naissance: | Arrestation: | Résidence: ,

Biographie de Bernard JEIFA

par Noémie Janin,

Master Archives du Département d’Histoire de Paris VIII, sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci.

 

Noémie JANIN adresse ses plus sincères remerciements à Michel,

fils d’Adèle et Bernard Jeifa, pour l’avoir informée et documentée,

et lui avoir permis d’écrire cette biographie.

 

Bernard Jeifa, fils de Maurice Jeifa et Blanche Haye est né le 23 avril 1881 à Jitomir, à l’époque en Russie, aujourd’hui en Ukraine. Entouré de ses trois frères et ses trois sœurs, Bernard a grandi dans une famille très religieuse dont l’éducation se faisait en Yiddish[1]. Alors que toute la famille de Bernard quitte la Russie pour s’installer aux Etats-Unis, Bernard part en 1905pour la France, très populaire parmi les juifs aux idées libérales. Cette émigration s’explique par les persécutions contre la population juive après l’échec de la Révolution en 1905. La France Républicaine est très admirée, notamment par Bernard qui cherche à fuir la conscription dans l’armée durant la guerre russo-japonaise de 1905[2]. Il s’installe à Paris, dans le quartier de l’Hôtel de Ville et apprend tout seul le français.  En moins de deux ans, il est diplômé coupeur de la chambre syndicale professionnelle, ce qui fait de lui un tailleur pour hommes auprès de maisons prestigieuses. Le 31 janvier 1907, Bernard se marie avec une parisienne, Adèle Tarder. Celle-ci est née le 8 avril 1887 à Paris dans le 15ème arrondissement[3]. Elle est française, née de parents polonais. Leur mariage religieux a lieu le 21 février au Temple des Tournelles[4]. Adèle et Bernard se font naturaliser français en 1926.[5] Un an plus tard, le 9 février 1908, Adèle et Bernard donnent naissance à leur fille, Marguerite. Ils habitent au 28 rue du Pont Louis-Philippe dans un appartement du premier étage où Bernard travaille à son compte. Bernard fait également travailler plusieurs personnes, notamment un ouvrier français, des culottières giletières françaises[6].

Le dimanche 30 janvier 1921, Bernard Jeifa est suspecté d’avoir affaire avec une organisation communiste en relation avec Moscou[7]. La perquisition ne donne rien : Bernard n’est pas communiste, mais sympathisant de la Révolution en cours en Russie sous le régime Tzariste. Bernard a simplement l’esprit critique, et est très fier d’avoir la possibilité de voter en France[8]. Si Bernard est suspecté de communisme, c’est vraisemblablement en raison de l’accroissement du nombre de communistes en France après la première Guerre Mondiale.

Entre 1923 et 1924, Bernard et Adèle habitent au 65 rue Claude-Bernard dans le 5e arrondissement de Paris. L’habitation est également le lieu de travail de Bernard : elle est composée d’une boutique, une arrière-boutique et l’appartement comprend trois pièces, une cuisine et une dépendance. Bernard et Adèle travaillent ensemble : Bernard est tailleur, et Adèle commerçante. L’entreprise marche très bien.

Bernard et Adèle donnent naissance à leur deuxième enfant le 11 mars 1927, Michel. Bernard s’est toujours efforcé de donner une bonne éducation à ses enfants. Michel a eu une enfance très heureuse au sein d’une famille  aimante et aisée malgré la crise économique de l’époque. Bernard attache énormément d’importance à l’éducation de ses enfants, il disait toujours à Michel :

« Tu peux tout perdre, mais on ne peut pas te prendre ton éducation. »[9]

Une phrase que Michel n’oubliera jamais, et qu’il transmettra à ses enfants. Une valeur que la famille Jeifa continue de faire prospérer aujourd’hui.

En 1937, les nazis envahissent l’Autriche, en 1938, la Tchécoslovaquie. Mais Bernard garde courage et est certain que la France est forte, et qu’elle saura se défendre. Il rassure son fils en lui disant qu’il pouvait y avoir de l’antisémitisme en Russie, en Pologne, dans l’Est de l’Europe, mais pas en France qu’il ne faut pas s’en inquiéter.[10]

En 1940, l’idéalisation de la France par la famille Jeifa disparaît peu à peu. En juin, les Allemands occupent Paris. La propagande antisémite augmente. En Octobre, les juifs doivent être enregistrés.

« La première pensée que l’on avait était de leur montrer que nous étions comme tout le monde, nous allions nous enregistrer et nous serions fiers. »[11] (respect de la loi ?)

Mais à partir de cet enregistrement, la situation se détériore. En 1941, des arrestations de juifs commencent, notamment des personnes importantes telles que des avocats, des entrepreneurs, des médecins. La mention « Magasins juifs » était apposée sur les vitrines des boutiques en français et en allemand.

Le 22 juillet 1941, une loi concernant la liquidation des biens juifs et leur contrôle par des administrateurs non juifs est créée. C’est le début de l’ « aryanisation » des biens juifs. Cette loi a donc une répercussion sur l’entreprise de Bernard Jeifa. Un administrateur provisoire lui est attribué.[12] Bernard refusera toujours de transmettre ses comptes. Etant un homme très droit, il l’empêchait d’exercer ses missions, et ce dernier était jugé par ses supérieurs comme incapable de remplir ses missions.[13]

Le 28 mai 1942, une ordonnance allemande est créée, exigeant le port d’une étoile jaune par tous les juifs âgés de plus de 6 ans en zone occupée. Enormément de restrictions accompagnent cette ordonnance, telles que l’interdiction pour les enfants juifs d’aller dans les parcs publics, un couvre-feu à 21 heures, ou encore l’obligation de n’emprunter que la dernière voiture du métro[14].

Un nouvel administrateur s’occupe de l’affaire le 19 novembre 1943, un mois avant l’arrestation d’Adèle. Michel se souvient de cet homme, qui était très antisémite, et qui faisait pression sur la famille. Face à l’absence de Bernard et Adèle, l’administrateur considère leur arrestation comme une opportunité. Une lettre mentionne qu’« il serait vraiment regrettable de ne pas profiter de cette circonstance pour vendre les fonds de commerce ».[15]

Le 20 décembre 1943, tandis que Bernard est sorti, et que Michel est parti 15 minutes plus tôt à l’école[16], les officiers arrivent au 65, rue Claude Bernard. Ils arrêtent Adèle, restée seule à la maison. Elle sera déportée à Auschwitz par le Convoi 66. Lorsque Bernard revient chez lui, on le prévient de ne surtout pas rester. Bernard récupère son fils à l’école, et c’est à partir de ce moment que tous deux se cachent des nazis.

Bernard et Michel trouvent refuge chez Marguerite[17] à Sartrouville, où ils restent deux jours. Mais il leur est impossible d’y rester pour leur sécurité. Ils se cachent dans divers endroits, chez plusieurs amis. Une amie de Marguerite intervient pour leur venir en aide. Elle s’appelle Madeleine Jacquet[18], et travaille à la Mairie de Sartrouville. En contact avec la Résistance, elle réussit à leur fournir de faux papiers d’identité. Mais il est trop dangereux pour Michel et Bernard de rester ensemble. Séparés, ils ont une chance de survivre, ensemble, aucune. Bernard a un accent assez prononcé, il lui faut se fondre au cœur d’une grande ville, c’est pour cela qu’il retourne à Paris. Madeleine lui trouve une chambre, et un travail. Quant à Michel, il est envoyé dans une famille protestante dans les Alpes sous le nom de Michel Louis Piarry[19].

Bernard est arrêté par la Police Française le 4 mars 1944 durant la rafle au métro Chaussée d’Antin et est livré aux autorités allemandes en tant que « sujet juif ». En raison de ses faux papiers d’identité, il est d’abord envoyé à la Prison de la Santé. Paradoxalement, la prison le protége de la déportation. Malgré les stratagèmes tentés par Madeleine pour qu’il y reste, il est relâché le 22 juillet pour être envoyé au 44 Quai des Orfèvres, puis interné à Drancy le 29 juillet sous le matricule 26086[20]. Il fait partie de la catégorie B des internés, signifiant sa déportation immédiate à Auschwitz qui a lieu le 31 juillet 1944. Il part dans le Convoi 77, dernier grand convoi à déporter des hommes, des femmes, et des enfants à Auschwitz, depuis Drancy. Bernard Jeifa est tué le 15 août 1944 dans une chambre à gaz[21].

Michel continue de faire vivre la mémoire de ses parents lors de nombreux témoignages.

Références :

[1] Correspondance avec Michel Jeifa, fils de Bernard Jeifa, datant du 25/02/2018.
[2] Selon Michel Jeifa, le grand-père de Bernard avait dû rester dans l’armée durant 25 ans.
[3] BB/11/9254, Ministère de la Justice, Décret de naturalisation du 15/12/1926, Dossier 5758×26 concernant Bernard et Adèle Jeifa.
[4] Cf. Acte religieux de Bernard et Adèle Jeifa, fournis par Michel Jeifa et conservé aux Archives de Seton Hall University.
[5] Ibid. Lorsqu’un(e) français(e) se marie avec un(e) étranger(e), il perd sa nationalité française. C’est la raison pour laquelle Adèle, bien que née à Paris, se fait naturaliser française en même temps que Bernard.
[6] « On découvre en France une organisation communiste en relations avec Moscou, Dix arrestations » in Le Journal, publié le lundi 31 janvier 1921
[7] Ibid.
[8] Correspondance avec Michel Jeifa datant du
[9] Op.Cit. Correspondance avec Michel Jeifa datant du 25/02/2018
[10] Témoignage de Michel Jeifa.
[11] Traduction du témoignage de Michel Jeifa.
[12] Archives Nationales MIC/AJ/38/1748 – Dossier 3612 concernant l’aryanisation du bien de Bernard Jeifa
[13] Ibid.
[14] Op. Cit. Témoignage de Michel Jeifa
[15] Op. Cit.AJ/38 – Dossier 3612
[16] Michel Jeifa était au lycée Saint-Louis.
[17] Le mari de Marguerite a été arrêté en 1941, interné dans un camp au Nord de la France, et déporté à Auschwitz. Marguerite reste seule avec ses deux enfants.
[18] Madeleine Boisseille est son nom de mariée.
[19] Michel Jeifa suppose que le nom Piarry était également attribué à Bernard.
[20] Archives du Mémorial de la Shoah F/9/5788, Présence du reçu n°7035 dans le carnet de fouilles n°162
[21] La date de décès de Bernard Jeifa est incertaine. Selon le témoignage de Michel Jeifa, la date de décès des déportés de la première moitié du mois est estimée au 15, ceux de la deuxième moitié du mois au 31.

Contributeur(s)

Noemie JANIN, Master d'histoire de Paris VIII, sous la direction de madame le Professeur Matard-Bonucci., Michel JEIFA, fils de Bernard et Adèle JEIFA

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