Georges KLOTZ
Georges Klotz dans l’entre-deux-guerres
Source : ©M.Heilbronn
Georges Klotz naît le 4 août 1868, à 8 heures du matin, à Paris (1er arrondissement). Il est issu d’une famille française (originaire d’Alsace), de confession juive.
Georges Klotz, souvenir de Deauville, août 1869
Source : surnostraces.org
Georges Klotz à 75 ans
Source : Klotz Georges ©SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21P 469 395
Acte de naissance
Source : Klotz Georges ©Archives de Paris
Ses parents sont Victor Klotz (1836-1906) et Brunette Victorine Klotz (1846-1936), née Meyer. Lors de la naissance de Georges, Victor a 31 ans et est négociant en soierie, Brunette a 21 ans et est sans profession. Les témoins de l’acte de naissance sont Emile Meyer, parfumeur, père de Brunette, et Eugène Klotz, négociant en soierie, le frère de Victor.
Victor Klotz, le père de Georges en garde mobile, guerre franco-prussienne 1870 et en civil
Source : ©M.Heilbronn
Brunette Victorine Klotz, née Meyer, en 1924, mère de Georges
Source : ©M.Heilbronn
Georges est le deuxième enfant du couple et a un frère aîné, Lucien Henry (c’est ce deuxième prénom qui sera le plus utilisé), né deux ans plus tôt, le 21 septembre 1866.
Son frère aîné, Lucien Henry (1866-1944), enfant
Source : ©M.Heilbronn
Lucien Henry adulte
Source : geneanet.org
©Généanet
Brunette et ses deux fils, Henry et Georges
Source : surnostraces.org
Les deux actes de naissance nous indiquent que la famille habite 4, place des Victoires, dans le 1er arrondissement.
Acte de naissance de Lucien Henry
Source : Klotz Lucien Henry ©Archives de Paris
Une réussite française
Georges est né dans une famille de la grande bourgeoisie parisienne. Victor fut d’abord chef de la maison Klotz jeune, fabricant de cravates, sise au 2, place des Victoires de 1852 à 1883[1]. Puis il s’associe, en 1883, avec son beau-père, Emile Meyer. Le père de Victorine était un ami et collaborateur d’Edouard Pinaud. A la mort de ce dernier, il devient directeur de la parfumerie et maison de cosmétiques Ed. Pinaud.
Emile Meyer
Source : geneanet.org
L’intérieur de la parfumerie Pinaud en 1870
Source : www.ed-pinaud.com
La fortune sourit à Victor. La maison multiplie les succès, dont le parfum Flirt, « symbole du luxe et du raffinement de la Belle époque »[2]. Les têtes couronnées du monde entier, et les aristocrates françaises se font livrer ses parfums et produits de beauté.
Victor acquiert pour un million de francs un hôtel particulier au numéro 9 de la rue de Tilsitt, au pied de l’Arc de Triomphe (aujourd’hui ambassade de Belgique) et ouvre en 1897 une nouvelle boutique au 18, place Vendôme (aujourd’hui occupée par Chanel), A la corbeille fleurie.
La maison Pinaud ouverte place Vendôme par le père de Georges
Source : surnostraces.org
A travers le développement de son entreprise de parfums et cosmétiques, Victor contribue au rayonnement de la France à l’étranger, notamment grâce à son active participation aux différentes expositions internationales (Grand Prix à Paris 1889, Moscou 1891, Chicago 1893, Bruxelles 1897, Médaille d’or à Paris 1900. Durant cette fastueuse exposition, il invente le musée de la parfumerie). La maison Ed. Pinaud a créé la fameuse brillantine, en 1900.
En récompense de sa créativité industrielle et de la politique sociale de son entreprise (salle d’allaitement pour les employées qui ont un bébé, assurances sociales, etc.) Victor est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1894 au titre du commerce et de l’industrie, puis reçoit le grade d’Officier en 1902. Il meurt en février 1906, à l’âge de 69 ans, rue de Tilsitt.
Un jeune homme cultivé, qui se bat pour sa patrie
Sa fiche militaire[3], établie en 1886, nous apprend qu’à 20 ans, Georges a des cheveux bruns, des yeux noirs, un front haut, un nez et une bouche ronds et qu’il a un visage allongé. Il mesure 1,72 mètre, ce qui est assez grand pour un homme de sa génération.
Alors qu’il est employé de commerce, sans doute dans l’entreprise familiale, à 21 ans, le 11 septembre 1887, il est « engagé conditionnel » pour un an, précise la même fiche militaire, qui indique également qu’il demeure à la même adresse que ses parents, 51, avenue Montaigne.
Nous ne savons pas pourquoi ce jeune homme de culture, qui fréquente notamment le comte Robert de Montesquiou-Fézensac, critique d’art et figure du monde aristocratique et intellectuel (qui aurait servi de modèle à Marcel Proust pour son personnage du baron de Charlus dans son roman A la recherche du temps perdu), a décidé de s’engager.
Dédicace de Robert de Montesquiou à Georges Klotz
Source : ©M.Heilbronn
Georges rejoint le 26e Régiment d’artillerie. Un an après, il est brigadier. Disponible dans l’armée active le 15 septembre 1888, il passe dans la réserve le 1er novembre 1890. L’année suivante, en mars, il est nommé sous-lieutenant de réserve au 11e Régiment d’artillerie.
Dossier matricule de Georges Klotz, matricule 1042
Source : Klotz Georges ©Archives de Paris
Il accomplit régulièrement ses périodes militaires. En 1898, toutefois, il informe l’Armée qu’il quitte Paris et le 9 de la rue de Tilsitt pour voyager en Amérique, pour un temps indéterminé. En septembre 1900, en tout cas, il est en France et se plie à 15 jours d’exercices militaires. Ce qu’il fait à nouveau en août 1904. En juillet 1906, il est promu par décret lieutenant au service des Chemins de fer et étapes de la 20e Région.
Le 22 juin 1914, il a le grade de capitaine de réserve. C’est sous ce grade qu’il se présentera quelques semaines plus tard à son régiment, après l’ordre de mobilisation générale du 2 août. Personne ne le sait encore, mais la Première Guerre mondiale est alors sur le point de commencer.
La parfumerie Pinaud à New York
Source : surnostraces.org
Avec Henry et Georges, les parfums Ed. Pinaud se développent à l’international
Alors qu’ils travaillaient dans l’entreprise depuis leur jeunesse, à la mort de leur père, Henry et Georges Klotz prennent sa succession. Avec eux la parfumerie franchit une nouvelle étape et grandit à l’échelle mondiale et s’implantent notamment sur la 5e Avenue à New York en 1908. Le voyage de Georges dix ans plus tôt aux États-Unis était-il destiné à établir de fructueux contacts ?
L’entreprise des deux frères est à son apogée. Lucien Henry est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1906, puis Officier en 1925. Georges est également nommé Chevalier en 1912, comme l’indique son dossier de matricule, puis Officier[4].
Le siège parisien de l’entreprise s’installe au 120, avenue des Champs-Élysées et un magasin d’exposition ouvre au 168, rue du Faubourg-Saint-Honoré.
C’est une ère prospère, mais la première guerre mondiale éclate. Les deux frères sont mobilisés et partent au front, même Henry qui, âgé de 44 ans et père de cinq enfants, aurait pu être dispensé.
Georges a 46 ans. Il sert toute la durée de la guerre comme capitaine d’artillerie. Il sera décoré de la Croix de guerre 14-18.
Après la première guerre mondiale
A leur retour de la guerre, la situation de l’entreprise des frères Klotz est plus compliquée. Leur mobilisation les a tenus écartés de la direction de l’entreprise et il est difficile de revenir en arrière. Puis la crise de 1929 entraîne la faillite de la filiale américaine en 1931, suivie de celle de l’ensemble du groupe en 1935. Puis vient la saisie des deux immeubles (Etoile et Vendôme) qui servaient de garanties aux prêts bancaires. En quelques années, les Klotz sont ruinés.
Nous n’avons pas d’indication sur ce que fait Georges Klotz après que la maison Ed. Pinaud a été vendue. Il a alors 67 ans.
L’arrestation et la déportation vers Auschwitz-Birkenau
En 1944, Georges vit au 41, boulevard Exelmans, dans le 16e arrondissement. Il est célibataire. Il a depuis trente ans une gouvernante, Mme Cagnac.
Le 11 juillet 1944, il est arrêté dans son appartement et conduit directement au camp de Drancy. Il y dépose 895 francs et reçoit le matricule 25.009.
Nous ne connaissons pas les circonstances de son arrestation. Mais Georges n’est pas le seul membre de la famille arrêté. Lucienne (épouse Bloche Foucaud) et Denise Klotz, ses deux nièces (qui font l’objet d’une biographie sur le site du Convoi 77), sont arrêtées le 12 juillet par la Gestapo. Leurs cousins Maurice et Claudine Sergine et André Hayem, le 12 juillet. Leurs cousins Fernand et Louise Ochsé ont été arrêtés le 3 juillet à Cannes dans la clinique où ils se cachaient.
Denise Klotz (1905-1944 à Auschwitz-Birkenau, Convoi 77)
Source : Klotz Denise ©Mémorial de la Shoah
Ils y retrouvent également des amis, comme l’indique André Jullien Hayem qui, le 17 juillet écrit de Drancy à son épouse : « Retrouvé ici amis (illisible) et famille Sergine et Klotz, arrivés même jour que moi ainsi que Fernand Ochsé[5]. »
Lucienne Klotz (1899-1944 à Auschwitz-Birkenau, Convoi 77)
Source : Klotz Lucienne ©Mémorial de la Shoah
Le frère de Georges, Henry, lieutenant-colonel décoré, diabétique et invalide, est arrêté le 31 juillet 1944. Mais il n’est pas déporté puisque le train est parti. Il est interné à l’hospice Rothschild, qui est sous le contrôle de l’UGIF et donc des Allemands, situé 76, rue de Picpus à Paris 12e. Il y décède le 18 août 1944 à 5 heures du matin, jour de la libération du camp de Drancy. La veille, le 17, le nazi Brunner et ses sbires avaient quitté le camp, emmenant avec eux 51 femmes et hommes, résistants juifs et quelques personnalités en otages.
Henry Klotz (1866-1944)
Source : Klotz Henry ©Mémorial de la Shoah
Georges est déporté avec les membres de la famille, réunie à Drancy, par le convoi 77. Ce sont donc neuf membres de cette famille française qui sont arrêtés par les nazis et la police française. Selon l’un des témoignages recueillis, c’est un homme se présentant comme résistant et qui devait soi-disant les aider à faire de faux papiers qui serait à l’origine des arrestations de cette famille.
Le convoi arrive à Auschwitz-Birkenau dans la nuit du 3 au 4 août 1944.
Carnet de fouille Drancy
Source : Klotz Georges ©Mémorial de la Shoah
Déportation
Source : Klotz Denise ©Mémorial de la Shoah
Le jour de l’anniversaire de ses 76 ans, Georges est sans doute gazé dès son arrivée, comme presque tous les membres de sa famille. Ou bien n’a-t-il pas survécu à l’éprouvant transport de Drancy à Auschwitz, sous une chaleur étouffante, à soixante par wagon à bestiaux, avec très peu d’eau et aucune hygiène ?
Denise Klotz, âgée de 39 ans et Claudine Sergine, qui avait 44 ans, sélectionnées pour entrer dans le camp de Birkenau, mourront toutes deux du typhus à l’automne 1944.
L’après-guerre
On sait, qu’après la guerre, la gouvernante de Georges depuis trente ans, Mme Cagnac, âgée de plus de 70 ans, occupe toujours l’appartement boulevard Exelmans qu’il louait. En mai 1946, une lettre des « propriétaires », M. et Mme Fallavier, demande à récupérer cet appartement accusant la famille de ne pas établir la succession plus rapidement.
Un acte de décès pour Georges est établi le 17 décembre 1946.
Lettre d’après-guerre concernant l’appartement de Georges Klotz
Source : Klotz Georges ©SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21P469 395
Récépissé d’avis de mention de décès
Source : Klotz,Georges © SHD de Caen DAVCC, Dossier n°21P 469 395
Merci à M.Heilbronn[6] d’avoir partagé les photos de la famille Klotz et de nous avoir raconté l’histoire de cette famille française, dont il est l’un des membres, décimée par la haine et l’antisémitisme.
Sources :
- Dossier DAVCC, Caen, 21 P 469 395
- Ville de Paris, archives sur les conscrits parisiens : Archives de la Ville de Paris, FRAD075RM-D4R1 0553 0490 D (accessible en ligne).
- Archives familiales.
- Archives nationales, base de données Léonore : dossier sur la Légion d’honneur.
- Victor Klotz : https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/notice/201276#spotlight
- Lucien Henry Klotz : https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/notice/201273
- Mémorial de la Shoah : https://ressources.memorialdelashoah.org/notice.php?q=klotz%20georges&spec_expand=1&start=0
Notes & références
[1] Dossier de Légion d’honneur, AN, Base Léonore, https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/notice/201276#spotlight.
[2] https://www.ed-pinaud.com/notre-histoire/
[3] Archives de la Ville de Paris, FRAD075RM-D4R1 0553 0490 D
[4] même si on ne le retrouve pas sur la Base Léonore des Archives nationales.
[5] Lettre d’André Julien Hayem à sa femme (nommée Bady, nom d’emprunt ?/Germaine Marie Badiller) et adressé 24 rue des Marronniers dans le 16e arrondissement (archives de Caen dossier n°44.711/22P 451 150) ; cf. biographie de Lucienne KLOTZ, site de Convoi 77. https://convoi77.org/deporte_bio/lucienne-klotz/#_ftnref26
[6] François Heilbronn, Deux étés 44, Paris, Stock, 2023.