Jeanne MOHA

1925-1998 | Naissance: | Arrestation: | Résidence:

Jeanne MOHA (1925–1998)

Déportée à 19 ans par le même convoi que ses parents et ses frères disparus, Jeannette Secaz, née Moha, est revenue d’Auschwitz. Parcours d’une rescapée.

Jeannette naît le 5 avril 1925 à 4 heures du matin au 31 rue des Nonnains d’Hyères dans le IVe arrondissement de Paris, au domicile de ses parents, dans le quartier du Marais où vit une importante communauté juive. Ses parents, Charles et Zina (née Djian) MOHA, se sont mariés en 1915 à Alger alors que Charles était mobilisé. La petite fille est prénommée Félicie et Jeanne mais c’est ce dernier prénom qu’elle adoptera et utilisera toute sa vie tandis que ses proches et ses amis l’appelleront affectueusement Jeannette.

Charles et Yvonne ont déjà une fille aînée prénommée Berthe née le 24 avril 1920, ainsi qu’un garçon nommé Marcel né le 10 novembre 1921 tous deux nés à Alger. Charles est peintre en lettres et Zina est femme au foyer. À leur arrivée à Paris, dont on ignore la date exacte, la famille a d’abord tenu une petite épicerie dans le quartier du Marais, rue du Roi de Sicile. Deux ans plus tard, le 13 avril 1927 la famille s’agrandit avec la naissance de Roger.

L’année suivante, en 1928, la famille s’installe au 13 rue Abel dans le XIIe arrondissement. À l’âge de 6 ans, en 1931 Jeanne est inscrite à l’école de filles Charles Baudelaire, située près du domicile familial. Elle en sort avec son certificat d’études en mars 1938. Le registre de l’école précise qu’ensuite « elle reste chez elle ». Il est probable qu’elle ait suivi une formation de dactylo puisque c’est la profession qui est indiquée sur des documents postérieurs.

En octobre 1940, Jeannette a 15 ans. Comme les autres membres de la famille (même si leurs fiches ont disparu), elle est recensée. Bien que sa fiche de couleur bleue n’indique aucune profession, il semble qu’elle ait assuré un travail de secrétariat chez un reprographe jusqu’à son arrestation. Le 7 octobre, avait été abrogé par le gouvernement de Vichy le décret Crémieux qui accordait depuis 1870 la nationalité et la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie[1].

Fiche de recensement de Jeannette

Jeannette en 1943 ou 1944 avant sa déportation

Le 3 juillet 1944, Jeannette est arrêtée par la Gestapo avec son jeune frère Roger. Elle a alors 19 ans. Il semblerait que cela se soit produit alors qu’ils rentraient d’un après-midi à la piscine, ce qui voudrait dire qu’ils auraient bravé l’ordonnance allemande qui interdisait l’accès des piscines aux juifs[2]. Le bordereau d’arrestation précise que le frère et la sœur arrivent à 19h10 au Dépôt de la préfecture de police de Paris, amenés par la PJ et relevant des « Affaires juives ». Jeannette est confiée aux religieuses qui assurent le gardiennage des détenues femmes. Les deux jeunes en sortent deux jours plus tard, le 5 juillet pour être transférés au camp de Drancy.

Bordereau d‘arrestation

Jeannette se voit attribuer le numéro matricule 24864. Elle est internée dans la chambre 3 de l’escalier 19 à proximité de Roger qui est dans la chambre 4. La fiche établie à son arrivée nous apprend qu’elle exerce alors la profession de sténodactylo.

Fichier Drancy, recto

Sur dénonciation d’un ami de la famille, sa mère, son père et son frère Marcel ainsi que Colette sa fiancée sont arrêtés trois semaines plus tard, le 27 juillet et rejoignent Drancy peu après. Berthe, l’ainée, évite fortuitement l’arrestation et se cache quelque temps chez des voisins.

LA DÉPORTATION

Le 31 juillet, 1309 personnes internées à Drancy sont transportées en autobus jusqu’à la gare de Bobigny. À 8 heures du matin le signal de départ du convoi 77 est donné.

On sait, grâce aux témoignages de survivants que le trajet s’est déroulé dans des conditions inhumaines. Les déportés étaient entassés dans des wagons à bestiaux. L’hygiène était déplorable (une tinette faisant office de toilettes), la promiscuité…. Au matin du 3 août des ordres criés en allemand, les aboiements des chiens, l’ouverture des portes marquent l’arrivée à Auschwitz-Birkenau. Il faut alors sauter des wagons et se ranger très vite (les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre) avant de subir la sélection. Jeannette raconte que « ce jour-là, c’est le fameux Josef Mengele[3][4] qui décide du sort des déportés ». Les plus faibles (vieillards, malades, femmes avec bébés et enfants, et de façon générale toutes les personnes dont la force de travail paraît insuffisante) sont directement envoyés aux chambres à gaz ; parmi ces personnes se trouvent Charles et Zina.

Jeannette et ses deux frères sont sélectionnés pour entrer dans le camp mais sont séparés, le camp des femmes et celui des hommes étant situés à deux endroits différents.

Dès son arrivée, Jeannette est tatouée A 16764 sur l’avant-bras. Désormais, son nom est remplacé par cette suite de chiffres. Mis à part ce numéro, nous n’avons aucune information sur les 5 mois passés à Auschwitz. À quel commando a-t-elle été affectée ?

En novembre 1944, soit 5 mois après son arrivée à Auschwitz, elle est transférée à Kratzau, un sous-camp de Gross Rosen concentrant environ 1 000 personnes, situé en Tchécoslovaquie, relié à une usine d’armement où travaillent des prisonniers de différentes nationalités. Selon le témoignage d’Yvette Levy le voyage d’Auschwitz à Kratzau a duré 3 jours et 3 nuits. Elle y reste environ 6 mois, de novembre 1944 jusqu’au 8 mai 1945 (date de libération du camp par les troupes soviétiques).

LE RETOUR ET APRÈS

Un mois plus tard, le 5 juin 1945, elle est rapatriée du camp de Kratzau et transite par le centre de Saint-Avold. La fiche médicale établie à cette occasion ne mentionne aucune maladie et ne signale rien de particulier sur son état de santé qui est qualifié de « moyen ». Elle ne pèse que 31kg. Son fils, nous a raconté que sa mère évoquait parfois son arrivée à l’Hôtel Lutetia, son extrême maigreur, l’examen médical succinct et le ticket de métro remis pour rentrer chez elle. Elle effectue alors un séjour à Chamonix dans un centre de soins pour se refaire une santé et reprendre du poids.

Jeannette à Chamonix en 1945

Jeannette retourne vivre au domicile familial dans le XIIe arrondissement. Ses deux frères, Roger et Marcel ne reviennent pas.

Le 5 septembre 1946, un an après sa libération, Jeannette épouse Joseph Szczekacz, à Paris. Ils vivent dans le logement de ses parents, rue Abel. Joseph est tapissier. En 1947 naît leur premier enfant.

Jeannette en 1946

En 1953 Jeannette entreprend les démarches qui lui valent d’obtenir le titre de déporté politique le 1er octobre 1956, qui confère certains droits notamment une indemnisation calculée en fonction du nombre de jours de déportation. De cette période de sa vie, comme beaucoup de déportés, Jeannette a très peu parlé. Cependant son fils nous a confié qu’elle avait tissé une amitié solide avec Perlette Drai et Germaine Akierman.

En 1957, elle donne le jour à Ghislaine. Quatre ans plus tard, en 1961 la famille quitte la rue Abel. Joseph se met à son compte comme tapissier-décorateur et Jeannette travaille avec lui. En 1968, ils font modifier leur patronyme en SECAZ.

Jeannette décède le 12 juin 1998 à Savigny-le-Temple en Seine et Marne, âgée de 73 ans laissant plusieurs petits-enfants et arrière-petits-enfants. L’une de ses petites-filles se souvient : « Ma grand-mère portait l’Air du temps. Je me rappelle son sourire et cette façon de me remonter le moral quand j’étais adolescente et déprimée. Et ses bracelets qui tintaient quand elle préparait son gâteau fétiche. Après des années de recherche, j’en ai enfin trouvé la recette. Un jour peut-être je le ferai à mon tour. ».

Notes & références

[1] Bien que les troupes alliées aient débarqué en Algérie le 8 novembre 1942, cette mesure discriminatoire antijuive, et les autres qui ont suivi, n’ont été abolies que le 21 octobre 1943. Le décret Crémieux est alors rétabli.

[2] La huitième ordonnance du commandement militaire allemand, le 29 mai 1942 ordonne à tous les Juifs de 6 ans et plus de la zone occupée (sauf les juifs italiens, grecs, turcs et espagnols) de porter « bien visiblement » sur la poitrine gauche une étoile jaune à six pointes. La mesure est effective à compter du matin du 7 juin 1942. Après cette ordonnance, les mesures d’exclusion sont prises : le 8 juillet, les Juifs sont interdits d’accès aux lieux publics, spectacles, cinémas, cabines de téléphone, piscines, manifestations sportives, parcs, et leur accès aux grands magasins est limité à heure par jour. L’étoile permet de les repérer. Cf. : Claire Zalc, « L’étoile jaune, histoire d’un stigmate », L’Histoire, mai 2022, https://www.lhistoire.fr/l%C3%A9toile-jaune-histoire-dun-stigmate

[3] D’autres témoignages assurent que c’était le Dr Horst Fischer, médecin en chef adjoint du camp, qui a opéré la sélection sur la rampe devant le train.

Sources

  • Archives de Paris (registres des écoles, recensement de population…)
  • Service historique de la défense de Caen Dossier DAVCC 21 P 679 385, MOHA Félicie Jeanne épouse SZCZEKACZ
  • Mémorial de la Shoah
  • Jean LALOUM, « Des Juifs d’Afrique du Nord au Pletzl ? Une présence méconnue et des épreuves oubliées (1920-1945) », Archives Juives
  • Dossier DAVCC à Caen 21 P 679 385, MOHA Félicie Jeanne épouse SZCZEKACZ
  • Archives de la Préfecture de police de Paris CC2-8Dossier DAVCC à Caen 21 P 679 385, MOHA Félicie Jeanne épouse SZCZEKACZ
  • Archives de la Préfecture de police de Paris CC2-8
  • Photographies transmises par M. Secaz, fils de Jeannette.
  • Témoignage de M. Secaz

Contributeur(s)

Cette biographie a été écrite par Zaïna Alali, Elsa Alibay, Louise Arnaudin, Naslati Baco, Kaoutar El Haouzi, Margaux Méchin, Eva  Pham Dao, Annaëlle Saudo et Violette Voltz, élèves de 3e au collège Lakanal de Sceaux sous la direction de leur professeure Nathalie Ménoret et avec relecture de M. Secaz, le fils de Jeannette.

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