Marcel MOHA
La famille Moha est une famille de juifs algériens, installée à Paris entre 1921 et 1925. Elle se compose de Charles et Zina (dite Yvonne), les parents, et de leurs quatre enfants : Berthe, Roger, Jeanne et Marcel, qui est l’objet de cette étude.
Berthe, l’aînée de la famille est née le 24 avril 1920 à Alger, sa jumelle, Félicie, est morte à l’âge de 21 mois. Marcel est donc le cadet de la famille, il naît le 11 Novembre 1921 à Alger, cependant sur certains documents est mentionnée la date du 10 Novembre 1921. Peut-être s’agit-il d’une erreur de transcription.
On ignore la date précise de l’arrivée des Moha à Paris mais on sait, grâce aux registres d’inscriptions des écoles, qu’en 1925, ils habitent rue des Nonnains d’Hyères, dans le Marais où une importante communauté juive est installée depuis le XIIIe siècle. Ce quartier est marqué par la présence de nombreuses synagogues et commerces juifs formant le Pletzl. À leur arrivée à Paris, les Moha tiennent une épicerie rue du Roi de Sicile mais cette activité ne dure pas.
En 1925, la famille s’agrandit avec la naissance de Jeanne (dite Jeannette) suivie en 1927 de celle de Roger.
Marcel grandit à Paris dans un milieu modeste, son père est peintre en bâtiment et perçoit une pension d’invalidité d’Ancien Combattant de la Première Guerre mondiale, tandis que sa mère est femme au foyer. Marcel fréquente d’abord l’école de la rue du Grenier sur l’eau, proche de son domicile puis lorsque sa famille s’installe dans le XIIe arrondissement, celle de la rue Charles Baudelaire. Selon l’appréciation qui figure sur le registre de l’école, Marcel a un caractère fort, et même « frondeur ». Puisque nous n’avons aucune trace de poursuite d’études et qu’il a dépassé l’âge de la scolarité obligatoire en 1934, nous supposons qu’il est entré en apprentissage, peut-être avec son père, comme peintre en bâtiment, profession qu’il indique sur des documents postérieurs.
Les Moha ont quittent le Marais pour le XIIe arrondissement où ils s’installent au 13, rue Abel à partir de 1928. Cette adresse est celle de la famille pendant toute la durée de la guerre.
Lorsque les autorités de Vichy imposent aux juifs de se faire recenser, nous supposons que les Moha obéissent à cette injonction. En effet, si nous n’avons pas la fiche de Marcel, nous possédons celle de sa sœur et de son frère (Jeannette et Roger). On peut supposer que les fiches des autres membres de la famille ont été détruites mais il est possible que Charles et Zina aient préféré ne pas faire recenser leur fils aîné.
Grâce à un témoignage recueilli par Jean Laloum, on sait qu’au moment où les arrestations de juifs se multiplient Marcel tente de trouver refuge à Alger. Il part avec son cousin Prosper Arous et Colette Maloveste-Burger, sa fiancée, mais » la tante étant incapable de les héberger tous, ils rentrent rapidement en France. »
En mars 1943, alors âgé de 21 ans, Marcel commence par répondre à la convocation au STO. Son dossier de victime civile indique qu’il est réfractaire. Qu’est-il devenu après ? S’est-il caché chez lui ? A-t-il rejoint un maquis ? A-t-il été recueilli par des amis ou des gens bienveillants ? Ces questions sont sans réponses.
En partant de la droite : Roger, Marcel, Zina et Charles Moha
L’ARRESTATION
Début juillet son frère et sa sœur, Roger et Jeanne, sont arrêtés à Paris et transférés le 5 juillet à Drancy.
Quelques jours plus tard, le 21 Juillet 1944 Marcel, Colette sa fiancée et ses deux parents sont arrêtés, peut-être à Brunoy, où la famille se rendait souvent, bien que nous ne sachions pas s’ils possédaient une maison ou s’ils la louaient. Il est toutefois possible que cette arrestation ait eu lieu à leur domicile parisien. C’est à la suite d’une dénonciation d’un « ami » de la famille que la Gestapo les arrête et que Berthe, la sœur aînée de Marcel en réchappe miraculeusement. Cachée par des voisins, elle n’est pas déportée.
Transférés à Drancy, Marcel et Charles, son père sont affectés chambre 4, escalier 18. Colette, sa fiancée et Zina, sa mère, sont à proximité dans le même escalier mais chambre 4. Ils retrouvent à Drancy Roger et Jeannette arrêtés au début du mois et arrivés à Drancy le 5 juillet.
Cahier de mutations Drancy
Les carnets de fouilles nous indiquent qu’à son arrivée à Drancy, Marcel possédait 550 francs ce qui est une somme assez importante, il se voit attribuer le numéro matricule 131540. Colette, elle aussi, dépose à son entrée à Drancy une forte somme pour un montant de 5505 francs. Au moment de leur arrestation on leur a probablement laissé un peu de temps pour réunir quelques affaires personnelles. Ne sachant pas ce qu’il allait advenir d’eux, ils ont sans doute emporté tout l’argent qu’ils possédaient.
Carnets de fouilles de Marcel et Colette
Le 31 juillet 1944, le convoi 77 part de Drancy en direction d’Auschwitz. Colette et Marcel sont séparés. En effet, Colette n’étant pas juive, elle n’est pas déportée et retrouve la liberté peu après.
On sait grâce aux témoignages des rares survivants que le trajet s’est déroulé dans des conditions effroyables. Wagons à bestiaux bondés, entassement, tonneau faisant office de tinette finissant par déborder… Le 3 août des cris et des ordres en allemand ajoutés aux aboiements des chiens et à l’ouverture des portes annoncent aux prisonniers l’arrivée à Auschwitz-Birkenau. Il faut alors sauter des wagons et se ranger très vite et subir la sélection. D’un côté ceux dont l’aspect physique permet de penser qu’ils peuvent être exploités, de l’autre tous ceux, trop vieux, trop jeunes, trop fatigués ou tout simplement accompagnés d’un enfant qui vont être immédiatement assassinés.
Marcel, mais aussi Jeanne et Roger entrent dans le camp où ils sont séparés, tandis que leurs parents Charles et Zina sont immédiatement dirigés vers les chambres à gaz.
On ne sait rien du quotidien des 6 mois que Marcel a passés à Auschwitz. Il était très probablement, comme tous les autres prisonniers, intégré à un kommando ; trieur de patates, de vêtements, coiffeur… On ne sait …
Entre août 44 et le 15 Janvier 45, Marcel est passé au Röntgen, le centre de radiologie du camp, mais le document est illisible et ne permet pas de savoir pour quelle pathologie.
Au même moment ou presque à Paris, Colette et Berthe cherchent à avoir des nouvelles. Des certificats leur sont délivrés, elles déposent des demandes concernant la famille Moha.
Demande concernant Jeannette déposée par Colette
Verso de la fiche Drancy de Marcel
Verso de la fiche Drancy de Zina
Six mois plus tard, en janvier 45, les Soviétiques pénètrent en Pologne et l’Allemagne nazie organise les marches de la mort. Des milliers de déportés périssent alors dans d’atroces souffrances (faim, froid, épuisement …). En retraçant son itinéraire, on comprend que Marcel a participé à ces marches. Il quitte Auschwitz peu avant l’arrivée des Soviétiques. Il arrive le 29 janvier 1945 au camp de Sachenhausen, au Nord-Est de l’Allemagne, à 45 km de Berlin tandis que les Soviétiques progressent inexorablement vers la capitale. Il est alors transféré à Mauthausen, en Autriche, à près de 600 km de distance où il arrive le 16 février 1945. Marcel reçoit alors le numéro matricule 131540 Il y passe un mois avant d’être déplacé dans un camp satellite ; Gusen II où il arrive le 15 mars avec 284 autres prisonniers. Cet endroit est un centre de production aéronautique qui alimentait l’industrie de guerre allemande dont le nom de code était Bergkristall.
Après son arrivée à Gusen, nous n’avons plus aucune trace de vie de Marcel. Il est donc probablement mort avant la libération de ce camp, le 10 mai 1945. Il avait 23 ans.
Son frère Roger n’est pas revenu.
Sa sœur Jeanne a survécu à la déportation.
Au cours de nos recherches, nous avons découvert l’existence de Jocelyne Callot, la fille posthume de Marcel née le 15 mars 1945. En effet, au moment de la déportation de Marcel, Colette était enceinte et n’a pas été déportée. Malheureusement, elle n’avait aucun document ni aucune information sur son père.
Sources :
- Archives de Paris (registres des écoles, recensement de population…)
- Archives nationales d’outre-mer
- Archives départementales de l’Essonne.
- Mémorial de la Shoah
- Jean LALOUM, « Des Juifs d’Afrique du Nord au Pletzl ? Une présence méconnue et des épreuves oubliées (1920-1945) », Archives Juives.
- Service historique de la défense de Caen Dossier DAVCC 21 P 517 287
- Archives Arolsen